Chaque jeudi, “Les Inrocks” vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, le trio bordelais Videodrome, qui cache derrière ses références à la pop culture le synth punk le plus brutal entendu de mémoire récente.
« Imaginez ce jour où tout a basculé : ce fameux jour béni où le disco a fait l’amour avec le punk. […] La scène se passe en 1978, dans le sud-est de Manhattan. Deux soirées courues ont lieu le même soir, une au Max’s Kansas City, l’autre au Loft. La foule se presse et les queues sont si longues à l’entrée des deux clubs qu’elles finissent par se croiser. Les gens discutent, se lancent des vannes, se moquent de leurs accoutrements respectifs. Ça s’échauffe un peu, mais il est difficile de différencier le public gay bariolé, venu danser sur les edits disco de David Mancuso, des punks débraillés avec panache venus se la mettre sur le bruit sauvage de Mars et D.N.A. » Cette anecdote, rapportée par le musicien érudit Rubin Steiner dans sa petite histoire de la no-wave, raconte effectivement un moment important de la musique moderne : celui où deux mouvements se rallient autour d’une même approche physique et anti-conventionnelle, où punks et clubbers se découvrent des intérêts communs sur un trottoir new-yorkais dans un Manhattan pré-gentrifié. Des jeunes gens modernes qui vont peu à peu donner naissance au paradigme dance-punk, celui qui a fait suer trois générations de noctambules mais ressemble à un drôle de souvenir d’ancien combattant dans les années Angèle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
From Bordeaux, with love
Depuis Bordeaux, Videodrome reprend pourtant cette formule simple et ô combien efficace : synthés, rythmiques binaires, chant scandé, le tout joué à fond droit dans le mur comme si le coronavirus était déjà aux portes de la “belle endormie”. Sur Live Fast, Die Like David Carradine, dont la sortie est prévue le 28 février, le trio bordelais se distingue par une approche brutale et pourtant ultra catchy d’un punk synthétique dont on avait oublié l’efficacité quelque part au milieu des années 2000. Comme le confirme Arthur : “Le punk qui fait danser c’est tout sauf une utopie ! Il suffit de se pencher sur les années 2000, notamment la scène ‘sass punk’, tout ce post hardcore incroyablement libre avec des groupes comme The Faint, VSS ou Femme Fatale. Et puis, à Bordeaux, il y a Kap Bambino, difficile de faire plus punk et plus dansant. Je citerai aussi Death From Above 1979, parce que je n’aurais jamais eu l’idée de me passer d’une guitare sans eux. En tout cas ce n’est pas dans les années 80 que l’on va chercher le plus de choses, on picore plus naturellement dans ce qui a déjà été digéré de cette décennie par les artistes des années 2000, et l’une des grandes différences avec ce second disque ça a été évidemment de donner libre cours à ces influences plus dansantes ».
Loin d’être un énième rejeton un peu modasse de la nostalgie 80’s, Videodrome s’est choisi un père spirituel de choix dans la catégorie vie sonique brûlée par les deux bouts : l’essentiel et regretté Jay Reatard (disparu en 2010). On retrouve dans la musique du trio français le même emballement électrique que chez le défunt punk de Memphis, héros d’une formule qui réussit comme rarement à trouver un équilibre entre la violence et les mélodies accrocheuses : « Avec un album comme Blood Visions, où tout va à cent à l’heure sans jamais laisser de répit et sans pour autant être un album punk indigeste, il a posé un certain étalon en termes d’intensité et de musicalité. Chaque track a quelque chose à apporter, tout est brut et en même temps tout est à fleur de peau… C’est toutes ces caractéristiques que consciemment ou non on laisse transpirer dans Videodrome”, raconte Arthur.
https://www.youtube.com/watch?v=lJ1MJan4Sow
Live Fast, Die Like David Carradine contient son lot de morceaux de choix et s’annonce déjà comme un des frissons les plus brutaux et inattendus de ce début d’année 2020. This Is Not Love (This is a Hijack), qui fera oublier la piteuse reformation de Death From Above 1979, Lowlife et sa new wave de petite frappe avinée ou Cool Kids, Cop Killers, assez salace et irrévérencieux pour venger toutes les fins de manifs de ces derniers mois sont des arguments suffisants pour se jeter tête baissée dans ce disque. S’y ajoute Videostore, plus évident tube du disque, qui emporte tout sur son passage avec son petit côté Joy Division crade, taillé pour les bastons de fin de soirée. Interrogé sur le sens de cette pépite punk, Arthur raconte : « On se souvient avoir été kids et aller louer des VHS avec nos parents, mais à ce moment-là on ne se mettait absolument pas à la place de l’étudiant qui bossait derrière le comptoir, c’est quand on est devenu nous-même étudiants qu’on s’est rendu compte qu’on n’allait pas avoir beaucoup plus de choix que de se retrouver auto-entrepreneurs sur des vélos à faire les coursiers Deliveroo ou ce genre d’enfer. Même ‘un petit job à la con’ comme être un vendeur dans un vidéoclub, ça paraît être de la folie à côté de ce genre de perspective actuelle. C’est un constat : ‘No golden age’ (le morceau se termine d’ailleurs sur cette phrase NDLR) ».
Autant en effet, vivre vite au son de ce disque. Quant aux pratiques de feu David Carradine, on ne saurait vous recommander de prendre tout de même certaines précautions.
Sortie le 28 février 2020 sur Metro Beach en coproduction avec Le Turc Mécanique et Musique d’Apéritif.
Release party le samedi 14 mars 2020 à Biarritz (L’Atabal) avec Frustration et Kap Bambino (plus d’infos ici)
{"type":"Banniere-Basse"}