Chaque jeudi, Les Inrocks vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, Roxanne Clifford, ancienne chanteuse des bien-aimés Veronica Falls, se réinvente et troque sa guitare contre des machines sous le nom de Patience.
La gueule de bois n’a pas toujours l’allure que l’on croit. Quand s’est terminé Veronica Falls – très charmant, quoique morose, groupe à guitares londonien du début de la décennie – sa chanteuse avait tous les droits de se plonger dans la sinistrose qui irriguait jusque-là leurs comptines pour pierre tombale. Mais Roxanne Clifford a fait ce que l’on n’attendait pas forcément d’elle, fuir au soleil. « Je ne voulais pas que se finisse Veronica Falls mais je pense aujourd’hui que c’était le bon moment, et je suis contente que cela ait eu lieu », nous raconte-t-elle près de cinq années plus tard. Cette période, l’Ecossaise l’a passée à Los Angeles et à tourner le dos à ses démons. A composer de la musique aussi. Coupée de ses amis de la capitale britannique, la jeune femme a bien dû se débrouiller toute seule. Le résultat s’intitule Dizzy Spell, paru début mai sous le pseudo de Patience.
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« J’aime tellement les paroles larmoyantes »
Musicalement, les nouvelles chansons de Roxanne Clifford n’ont que peu en commun avec celles qui l’avaient fait connaître il y a près de dix ans. Peut-être uniquement les années 1980, à l’origine des références contraires de ces deux projets. « Je faisais du rock indé façon ligne claire depuis trop longtemps, j’avais besoin de changement », rigole la chanteuse. Les complaintes d’ados tristes qui n’aiment rien d’autre qu’écouter les Smiths un jour de pluie ont laissé la place à de petits tubes en apparence plus festifs. Ce n’est pas Ibiza mais la synthpop de Patience pourrait très bien accompagner les fêtes sans fin et les néons de San Junipero, l’émouvant épisode rétrofuturiste de Black Mirror.
« Je pense qu’il y a toujours ce côté clair-obscur : j’aime tellement les paroles larmoyantes, ironise la chanteuse avant de détailler. Par exemple, The Girls Are Chewing Gum est plutôt très pop, mais les paroles sont assez tristes en réalité. J’aime la façon dont la synthpop peut être à la fois immersive et exaltante. » Sur cette chanson qui ouvre Dizzy Spell, la brune à l’éternel carré semble s’adresser à ceux qui pouvaient craindre qu’elle ne perde le goût du glauque en Californie. « Toutes les filles fondent au soleil, les filles sont comme du chewing-gum », ricane-t-elle ainsi sur fond d’italo-disco.
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Arriver à ce résultat n’aura pas été de tout repos. Jusque-là, Roxanne Clifford n’avait jamais travaillé toute seule. Quand elle débarque à Londres, il y a une dizaine d’années, elle est accompagnée de Patrick Doyle, avec qui elle a déjà eu différents groupes dans leur Ecosse natale. En 2009, ces deux-là forment donc Veronica Falls en compagnie de la Française Marion Herbain à la basse et de James Hoare à la guitare. En quatre ans, ils sortent deux très jolis albums aux singles désarmants (Teenage, The Fountain, Bad Feeling) qui ouvriront la voie à tant d’autres groupes (de Fear of Men à Alvvays) et puis silence radio. Officiellement, Veronica Falls ne se sont jamais séparés, mais dans les faits, ils n’existent plus. « Nous avions beaucoup tourné, passé énormément de temps ensemble. Nous sommes même entrés en studio pour ce qui aurait dû être notre troisième album. Nous avions enregistré plusieurs chansons, le disque était quasiment prêt. Mais quand Patrick, notre batteur, a décidé de quitter le groupe, tout s’est terminé. Nous étions arrivés au bout de cette histoire. Mais il n’y a pas eu de grandes disputes et nous avons tous souhaité laisser la porte ouverte, d’une certaine manière. Patrick est décédé l’an passé, mais je ne pense pas que nous serions retournés ensemble de toute façon. »
Alors, la musicienne a dû réapprendre à composer avec de nouvelles amies, les machines. « Au départ, j’avais une boîte à rythmes et un synthé rudimentaires. Je bidouillais aussi sur mon ordinateur. Tout était nouveau, excitant et libérateur. Je pense que j’en avais simplement marre de la dynamique, de cette injonction à écrire des chansons d’une certaine manière. Il y avait donc quelque chose de thérapeutique à me retrouver seule. Faire partie d’un groupe peut parfois être si stressant. » De fait, si l’on reconnaît sa voix, l’écriture de Roxanne Clifford, moins dans l’urgence que jadis, se retrouve modifiée par de nouveaux processus. « J’avais l’habitude de composer en chantant avec ma guitare, de finir une chanson très rapidement. Avec les machines, je me sens poussée à rajouter des nappes encore et encore. J’en suis à un point où mon écriture est hybride, où je compose à la fois à la guitare et aux machines. J’aime cette direction. »
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Ce goût pour l’exhaustif explique en partie pourquoi il lui aura fallu six ans depuis le second disque de Veronica Falls pour revenir avec des nouveaux morceaux. « J’avançais très lentement, sans obligation. Et puis entre-temps, j’ai enregistré un album qui ressemblait énormément à Veronica Falls, mais je ne l’ai pas sorti. J’avais vraiment besoin de changement. » En tout cas, la chanteuse promet qu’elle ne prendra pas autant de temps pour terminer le successeur de Dizzy Spell. « Je me sens plus en confiance aujourd’hui. »
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