Chaque jeudi, Les Inrocks vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, Lous and The Yakuza, entité derrière laquelle se cache Marie-Pierra, une artiste belge de 23 ans apte à toucher le grand public avec sa pop séduisante.
La scène se passe il y a huit ans. Marie-Pierra a alors 15 ans, elle vient de débarquer à Namur, rêve de vivre de sa musique et écrit une lettre à Columbia dans l’espoir de rejoindre les rangs de ce label mythique. Sans suite, forcément : des messages de la sorte, la major en reçoit des dizaines par jour, et ce n’est pas celui d’une gamine belge qui risque de changer la donne.
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Aujourd’hui, c’est pourtant bel et bien sur cette structure que Marie-Pierra s’apprête à publier son premier album, à venir en 2020 sous l’entité Lous and The Yakuza. D’ici là, elle sera la Création des 41èmes Trans Musicales, et aura probablement l’occasion de tester ses chansons face au public ou de dévoiler de nouveaux clips.
Dès lors, impossible pour elle de masquer son enthousiasme, de contenir cet immense sourire et de ne pas conclure chacune de ses phrases par un éclat de rire communicatif. Très vite, comme pour s’excuser de son flux de paroles ininterrompu, elle confesse que notre rencontre se déroule un jour particulièrement excitant pour elle : le clip de Dilemme vient de sortir et cumule déjà presque 100.000 vues en à peine quatre jours.
Impressionnant. Sauf que Lous semble être quelqu’un de profondément exaltée. Lorsqu’on croisait sa route l’année dernière, dans le cadre d’une journée passée aux côtés de L’Or du Commun, dont elle est proche, elle donnait déjà cette impression : celle d’une jeune femme curieuse de tout, impossible à canaliser, “heureuse ass fuck”, comme elle dit.
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Tout n’est pas si facile
Si un tel débordement de joie fait plaisir à voir, surtout dans un milieu rompu aux entretiens donnés sans véritable passion, un tel comportement paraît tout de même étonnant de la part d’une jeune femme qui chante que “la vie ne fait pas de cadeau”. Ou encore : “Si je pouvais je vivrais seule, loin des problèmes et des dilemmes”.
Il faut dire que Lous aurait toutes les raisons de vouloir mettre à bonne distance quelques souvenirs délicats, cette vie passée entre l’Afrique (le Congo, où elle est née en 1996, le Rwanda, où ses parents s’installent en 2005) et la Belgique, entre une vie d’étudiante inscrite en fac de philo et ces quelques mois à dormir dans la rue.
“C’était horrible, rembobine-t-elle. Je me suis fait agresser deux fois, on m’a viré abusivement de l’appart où je vivais, je marchais parfois toute la nuit en attendant de prendre le premier train et de pouvoir dormir un peu. C’est une époque où je dormais peu, où je perdais du poids, où je dealais de la merde pour avoir un peu de thunes. Les conditions étaient clairement difficiles, mais j’ai réussi à me sortir de ce bourbier. Après ça, clairement, tu ne peux que vouloir niquer le game !”, sourit-elle, un brin revancharde.
Lous le dit et le répète : elle n’a de toute façon jamais eu d’autres intentions que de réussir à vivre de sa musique. À chaque fête de famille, elle prend le micro. Un pote lui propose une séance en studio, elle fonce. Ses idées sont claires, ses envies créatives également.
Ne reste finalement plus qu’à peaufiner son style, trouver sa singularité. Pendant un temps, c’est Krisy qui lui enregistre ses morceaux. Par amitié. Puis vient le temps des premières scènes, des premiers EP’s. En mode débrouille, tant l’industrie musicale belge reste étrangement indifférente aux propositions artistiques de Lous.
Ce qui semble lui laisser un goût amer : “Quand tu débutes, c’est très compliqué de savoir comment fonctionne ce système, comment trouver un ingé son ou un studio. J’ai fait plus de 300 concerts et 7 EP’s, mais ça ne changeait rien. Car oui, plus encore qu’en France, il faut beaucoup de chance pour sortir de l’underground belge, surtout quand tu chantes en anglais et que tu proposes une sorte de mélange entre Banks et FKA Twigs.”
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Mi-Kaaris, mi-Dalida
Un jour, Lous s’essaye au français, compose Mon ami et voit son éditeur lui ouvrir les portes. À présent, tous les rêves sont permis. Après avoir passé plusieurs semaines à travailler ses morceaux dans une cave de Molenbeek, elle prend contact avec El Guincho, le producteur de Rosalía.
Surprise : le mec est intéressé, a un peu de temps devant lui et invite Lous et ses Yakuza à Barcelone. À la base, l’idée est simplement de produire deux ou trois morceaux. Finalement, ce sera tout l’album. Parce qu’il a tout de suite eu la vision d’ensemble du projet. Et parce qu’il a su sortir Lous de ses habitudes. “Au fond, je pense que j’ai toujours eu une vision et des ambitions bien supérieures à mes capacités. Mais El Guincho m’a emmenée dans des territoires que je ne soupçonnais même pas. Par exemple, il m’a convaincue d’utiliser de l’autotune. Moi, je pensais bêtement que cet outil était surtout pour ceux qui ne savent pas chanter, mais non, ça permet d’apporter des nuances et des sonorités parfois incroyables.”
Résultat : Gore, ce fameux premier album sur lequel elle travaille depuis deux ans, emprunte à différents genres (au rap, à la variété française, à la pop, aux musiques d’Afrique noire) et permet à Lous and The Yakuza de se façonner un univers personnel, quelque chose qui la situe à mi-chemin entre “Kaaris et Dalida”, comme elle s’amuse à se présenter, avant d’afficher clairement son ambition : “Je veux que mes chansons soient populaires, je veux toucher un maximum de monde et transmettre des émotions positives à un maximum de personnes. C’est le but de la musique.”
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