Chaque jeudi, “Les Inrocks” vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, c’est au tour de Las Ninyas del Corro, un duo en provenance de Barcelone qui ressuscite à sa manière, abrasive et juvénile, l’âge d’or du hip-hop 90’s.
Plus que jamais, le passé incarne un refuge. Peut-être parce que le futur n’a jamais été aussi inquiétant. Ou simplement parce que les artistes et leur public cherchent à rappeler à eux des décennies fantasmées, jugées plus authentiques. Convoquer tout l’imaginaire sonore et visuel d’une période considérée comme un âge d’or est un pari risqué, qui fait souvent aller les musiciens contre l’ordre établi de la création : réagir en opposition aux mouvements précédents.
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Battle rap
A Barcelone, le duo Las Ninyas del Corro, malgré le jeune âge de ses deux membres Felinna Vallejo et Laüra Bonsai, a mis en ligne depuis un peu plus d’un an une dizaine de morceaux typiques du boom bap, le rap East Coast des années 90, nommé ainsi en référence à ses rythmiques. Samples de pianos sombres, scratchs, vocalises enragées et graves : pour peu, on se croirait revenu à l’époque où Gangstarr, Mobb Deep et Nas régnaient sur le rap. A une différence près, les deux mc’s chantent en espagnol. Elles ont répondu à quelques questions par mail sur leur projet qui accumulent les vues sur YouTube mais reste totalement hors des radars médiatiques, en Espagne ou ailleurs.
“On s’est rencontré dans des rap battles à la sortie de l’adolescence, vers 11/12 ans, à Barcelone. On écoutait des styles de musique très différents : jazz, R’n’B, soul, flamenco. Ce qui nous a le plus influencé, c’est le rap espagnol old school : 7 Notas, 7 Colores, Mala Rodríguez, Dano from Ziontifik, Hijos Bastardos, MDE Click, Agorazein, Ébano…”
Sur le premier morceau mis en ligne sur la chaîne YouTube du duo, Moon, on retrouve un son downtempo, sale et urbain. Las Ninyas del Corro, du haut de leurs vingtaines, tutoient le même pouvoir d’évocation de la crasse urbaine que leurs aînés new-yorkais. “Nous avons grandi dans une époque baignée de nostalgie. Nos plus grandes influences sont évidemment new-yorkaises : Nas, Wu-tang Clan, Public Enemy, Mobb Deep, Rakim, Onyx…”
« Nous ne sommes pas un groupe de hip-hop féminin, nous sommes le hip-hop, point«
Ce qui sauve le duo du pur exercice de style, c’est une fraîcheur juvénile qui passe du rire aux larmes en un pattern de boîte à rythmes. L’élément déclencheur derrière la formation du groupe a été la mort tragique de Gata Cattana en mars 2017, “notre plus grande inspiration” confient les deux musiciennes. Cette ancienne étudiante en sciences politiques, décédée à l’âge de 26 ans, a rapidement fédéré la jeunesse espagnole grâce à un rap lettré et engagé, à l’image de Lisístrata, devenu véritable hymne féministe qui évoque autant Virginie Despentes que Nietzsche.
On retrouve la même approche sur Bulgaria, brûlot de rap frontal sorti en juillet dernier par Las Ninyas del Corro. Sur ce morceau, le duo chante “nous ne sommes pas un groupe de hip-hop féminin, nous sommes le hip-hop, point.” Elles expliquent ainsi leur vision des choses : “dans le monde du rap, on dirait qu’il y a deux ligues : un “rap” (pour les hommes) et en parallèle une qui serait “le rap féminin” (du moins en Espagne). Quand on aborde la pop ou le rock, on ne divise pas les artistes selon leurs sexes. Pour le hip-hop, on estime que ça devrait être pareil”. Loin d’être didactique, les propos du groupe espagnol sont salvateurs et ouvrent une voie pour une nouvelle génération d’artistes. “A Barcelone, comme à Madrid, il y a une scène underground très riche avec des concerts tous les week-ends et des groupes plein de potentiels comme Eqvvs Lacrima ou le collectif 186”.
Depuis juin dernier, le duo semble passer un nouveau cap, tant dans la production musicale que les clips qui accompagnent désormais chaque sortie. Le très réussi Jumanji, à la production plus cloud, est sorti début septembre et met la barre un peu plus haut en termes de hargne. Les deux mc’s s’y baladent avec une aisance impressionnante. “On garde l’essence du son 90’s en essayant d’évoquer notre quotidien, ce qui nous semble injuste, ce qu’on a envie de dénoncer tout en faisant des références à la pop culture.” Une approche spontanée qui fait des merveilles, loin de toute pose ou calcul commercial. La suite pour le groupe c’est un album qui devrait arriver sous peu et on l’espère bientôt une venue en France. “2020 va être notre année”, affirment Las Ninyas del Corro. On n’en doute pas.
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