Chaque jeudi, Les Inrocks vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, la Norvégienne Girl in Red transforme les frustrations de l’adolescence en hymne.
“Il faut que je termine les chansons sur lesquelles je travaille actuellement et qu’ensuite je fasse une pause. J’ai simplement besoin de vivre.” Ces derniers mois sont allés vite pour Marie Ulven, trop sans doute. Il y a un an, une chanson de la jeune femme sous son pseudo de Girl in Red, est postée sur YouTube. Rapidement, les vues s’accumulent et à même pas vingt ans, Marie est déjà un petit phénomène quand sort son premier EP l’automne dernier. Depuis, elle enchaîne les dates en Europe et plus récemment aux Etats-Unis, où elle a passé plusieurs semaines. Lundi prochain, elle sera à la Boule noire, à Paris, et dévoilera un tout nouveau morceau. Le concert est complet depuis un bail, preuve que sans faire les gros titres, la Norvégienne a déjà un public de fidèles. Mais dans cette précipitation, elle a un peu peur de perdre le fil de sa musique.
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Iggy bedroom pop
L’arme de Girl in Red : il est très facile de s’identifier à ses chansons. Ses mots, simples mais tranchants, racontent les frustrations de l’adolescence avec une naïveté désarmante. Depuis les Stooges, de jeunes adultes flamboyants transforment leur ennui en fulgurance. Marie Ulven est de cette trempe-là, mais ne sonne en rien comme Iggy et ses potes. Fille de son temps, Girl in Red ne fait pas de différence entre Miley Cyrus et Morrissey. Au cours de notre conversation, le seul début d’influence qu’elle citera au détour d’une phrase sera Taylor Swift. “Mais je n’ai pas commencé la musique pour ressembler à quelqu’un d’autre ou faire des reprises, démine-t-elle. J’ai fait de la guitare parce que j’avais le besoin de créer quelque chose.”
Elle apprend aussi à enregistrer, produire et mixer seule, tout ça sur son ordinateur. “Mes chansons n’ont été touchées que par moi, explique-t-elle. J’aime tellement la musique que j’ai simplement appris en bidouillant de mon côté. Je n’ai même pas eu besoin de regarder des vidéos sur YouTube.” On parle parfois de bedroom pop pour évoquer ces ados, de Clairo, dont elle a fait la première partie, à Boy Pablo, qui publient leurs histoires de lycéens sur la plateforme vidéo de Google sans trop se poser de questions. “J’ai l’impression d’être déconnectée de ce monde et de ces artistes. Nous ne nous connaissons pas personnellement ; on ne traîne pas ensemble. Je fais sans doute partie d’un mouvement mais pas d’une bande. C’est davantage une histoire de son.”
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D’autant plus que la vie artistique de Marie ne se cantonne pas au monde virtuel. Quand on la rencontre à Oslo fin février, dans le cadre du festival By:larm, sorte de Trans Musicales scandinaves, la chanteuse s’apprête à vivre une semaine chargée – plusieurs concerts et un prix de Meilleur espoir à la clef. Deux jours après notre discussion, on comprend aisément ce qu’il fait d’elle la principale attraction de l’événement. Sur scène, on l’avait imaginée seule derrière un Mac. Il n’en est rien. Cinq musiciens arrivent pour l’accompagner, trois guitares en tout. Mais il n’y a que Marie, son sourire bienveillant et son charisme, qui irradient. Les trente minutes suivantes de sa très courte performance, elle les passera à nous rouler dessus. Ses comptines de chambres à coucher deviennent hymnes – ce n’est pas encore Glastonbury, mais ça y ressemble bien.
https://youtu.be/R6JTyM7ZhG4
Elle débarque sur scène en courant et en agitant un drapeau arc-en-ciel. Girl in Red n’est pas en mission, mais elle entend bien utiliser cette vitrine. “Je n’avais pas Instagram ou Snapchat quand j’ai commencé à réaliser que j’étais gay. Ça a été difficile à accepter car je n’avais aucun modèle de mon âge.” Qu’elles l’aiment en retour ou non, les filles sont partout dans ses chansons. “They are so pretty, it hurts / I’m not talking about boys, I’m talking about girls”, reprend-elle ainsi dans le refrain de Girls. Dans le premier article de taille qu’un média anglo-saxon lui a consacré, elle se voyait intronisée “icône queer”. “Je n’ai rien contre le fait d’être une icône. J’aurais tellement aimé avoir quelqu’un comme moi quand j’étais plus jeune, une musicienne queer qui semble heureuse, qui va bien. Je veux bien être l’icône queer de quelqu’un ! Pour autant, je ne veux pas être connue uniquement parce que j’écris des chansons d’amour à propos de filles et être résumée à cela.”
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Il n’y a pas de raison – son message parle à tous et s’inscrit dans une glorieuse lignée.“I don’t wanna be your friend, I wanna be your bitch”, chante-t-elle, la mâchoire contrite par la rage et la frustration, sur sa chanson la plus connue I Wanna Be Your Girlfriend, comme un écho au Add It Up de Violent Femmes. Plus loin, un sample prononce “teenage depression” dans une voix déshumanisée sur fond de pop enjouée – The Smiths et The Drums seraient fiers d’elle. “Généralement, je suis plutôt joyeuse mais j’ai des moments d’intense tristesse, où je pense que je n’arriverais plus jamais à rire.” Ses morceaux sont autant de livres ouverts sur ses peines de cœur. D’où son besoin de faire un break. “Il faut que me trouve de nouvelles passions, parce que la musique est petit à petit en train de devenir une profession”, explique-t-elle. “J’ai besoin de ressentir des choses. Côté affectif, ma vie a été plutôt chiante ces derniers mois. Je n’ai pas eu d’histoire d’amour, ni de grosse rupture. Je n’ai ni été très triste ni très heureuse. Il faut que je vive ces choses avant de sortir quelque chose, afin que les gens puissent s’identifier à ma musique.” Qu’elle prenne le reste de 2019 pour elle, la prochaine décennie lui tend les bras.
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