Chaque jeudi, “Les Inrocks” vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, c’est au tour de l’Américaine Dottie, qui vient de sortir “Part”, second mini-LP autoproduit, une petite brume de shoegaze sentimental comme on l’aime.
L’anecdote est connue : la scène shoegaze tire son nom de la légendaire timidité de ses artistes sur scène, les yeux rivés sur leurs pédales d’effets pour éviter le regard du public. Il existe donc une tradition de l’introversion, de la gaucherie et du no look dans ce courant toujours très vivant de la musique à guitare, qui a même inspiré une création théâtrale dernièrement (l’attachant Shoegaze de la Compagnie Chevauchée).
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A première vue, l’Américaine Dottie ne semble pas cadrer avec ce dogme de sobriété : sa dream pop baignée dans les distorsions, pourtant bien héritée de Slowdive ou My Bloody Valentine, contraste vivement avec ses vidéos, journal intime occasionnel et girly à volonté. On y voit la jeune blonde de 27 ans faire ses bagages pour sa tournée scandinave, on la suit dans son quotidien, le dernier single de Metronomy en fond sonore, quand elle ne nous sert pas des tutos pour faire des chansons à sa façon (on n’y apprend pas grand-chose) ou teindre ses cheveux en chantant du Hannah Montana. Pas exactement ce à quoi Kevin Shields a l’habitude de se livrer.
“En personne, je suis extrêmement timide et mal à l’aise, confie heureusement Dottie. J’essaye juste d’attirer un peu de public autour de mon projet de cette façon, et d’entrer en contact avec des gens. C’est marrant à faire, et si les gens veulent me connaître, ils le peuvent.” Le parcours et le profil de cette musicienne autodidacte collent donc bien à celui de la shoegazeuse en règle : des instruments en main dès l’enfance, un goût pour la musique “dure” dès l’adolescence, un coup de foudre avec le shoegaze à 16 ans, un déménagement à Austin pour rejoindre la scène locale, un premier girl band garage pour briser la glace, et enfin un projet solo ultrasensible, distribué en ligne au gré de son inspiration.
Symphonies embrumées
Les productions de Dottie rejoignent le versant le plus doux et flou du shoegaze, celui de Cocteau Twins et du Tamaryn des débuts, où les voix, les humeurs, les vagues de bruit, menacent à tout instant de s’effondrer dans un nuage de fumée. Son premier mini-album, Everything Is Before Us, jouait l’abstraction presque totale, mais son dernier, Part, gagne un peu en chair et offre une poignée de chansons à saisir dans le brouillard. “Je joue simplement ce que je veux entendre et ressentir, dit-elle. J’essaye des trucs à la guitare, dès qu’un riff me plaît j’enchaîne rapidement sur le reste du morceau, et c’est fait. Côté ambiance, c’est souvent du côté sombre – il se trouve juste que j’aime les chansons tristes.” Si le cachet “fait maison” et la spontanéité de bien des artistes sur Bandcamp peut lasser, chez Dottie c’est un signe de fragilité qui contraste avec la fureur musclée et ultra-maîtrisée qu’on retrouve souvent dans les productions shoegaze plus professionnelles.
Car même si cette scène a été une des premières dans la sphère rock à mettre autant de filles en avant, elle n’est pas encore exempte de machisme, comme Dottie en a fait les frais en ligne. A son annonce sur Craigslist il y a 2 ans pour monter un groupe de shoegaze, un homme lui répond : “J’ai écouté tes sons, c’est une abomination, mais si tu veux un rencard avec un zikos, on peut s’arranger.” Relativement impassible, Dottie explique “être traitée comme ça plus ou moins régulièrement, sous différentes formes. Des mecs supposent que je ne sais pas porter ou me servir de mon matériel, ou s’étonnent de trouver ce que je fais vraiment bien. Par chance, je parviens à nourrir mon faux complexe de supériorité avec ça.”
Le détachement et l’évasion qu’inspire le son de Dottie répondent d’ailleurs idéalement à ce type de nuisance, et à d’autres encore. A l’instar du Common Era de Belong (chef-d’œuvre moderne et méconnu du genre, dont Part pourrait être la version DIY pour adolescente isolée), ses mini-tubes lointains opèrent un glissement vers un ailleurs trouble et romantique qui coupe du réel avec délice.
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