Quittant la French Riviera et leur pop solaire, les quatre surdoués des claviers s’émancipent sur un second album magnétique s’inspirant des musiques industrielles berlinoises.
Certains groupes ne savent jouer que quatre accords et s’appliquent à mettre en action cette science toute leur carrière, avec plus ou moins de brio. Pour les quatre Niçois de Griefjoy, ça serait plutôt le contraire : “On a appris la musique très jeune, au Conservatoire, donc le revers de la médaille, c’est qu’on peut s’y perdre”, explique Guillaume Ferran. Eternels insatisfaits, le compositeur-chanteur et ses amis d’enfance Billy Sueiro, David Spinelli et Romain Chazaut reviennent avec un second album, amorçant un virage à 90 degrés qui, sans renier la pop orchestrale voire presque maniérée de leurs débuts, fait voler en éclats leurs rôles de jeunes premiers prêts à tout pour plaire au jury.
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Un disque “mojito”
Coupant le cordon avec leur ville natale, ils débarquent à Paris et changent les règles du jeu. Fini les courbettes et les concours – qu’ils remportent presque tous (et à juste titre), du Conservatoire jusqu’aux inRocKs lab en 2009. Sans tomber dans la crise d’adolescence, Griefjoy décide d’enregistrer un disque qui lui ressemble, tout simplement :
L’album est pensé comme un disque “mojito”, un cocktail electro-pop à consommer sans modération, qui se veut moins cérébral et plus accessible, mais cette renaissance n’est pas sans douleur et leur âme de bosseurs et de perfectionnistes les rattrape vite. Pendant presque un an et demi, ils s’enferment dans un studio parisien et expérimentent jusqu’à trouver la bonne formule. Dans leurs éprouvettes se côtoient des orfèvres de musique électronique et minimaliste, comme le label Erased Tapes (défendu entre autres par le Berlinois Nils Frahm et l’Islandais Olafur Arnalds) et des voisins plus cinglés tels que les Canadiens de Caribou ou les Anglais Hot Chip. Mais pas question pour ces aficionados des guitares de s’en remettre uniquement à la MAO et à une glaciale base de données à coups de “kick-snare” ou autre noms d’oiseaux.
Avec une approche de producteur électronique voisine de l’illuminé Jacques, Griefjoy commence par enregistrer des textures sonores en acoustique, par exemple un vieux triangle, des guitares bidouillées, un pied de batterie capricieux ou encore des synthés vintage – “On s’est plus intéressé à la recherche de textures qu’à l’arrangement de partitions, où tout est écrit.”
Entre tubes et expérimentation
De ces échantillons organiques traficotés naît un alphabet musical qui va s’imbriquer et épouser à merveille leurs chaudes mélodies au piano et la voix flûtée de Guillaume. Construit en escalier, l’album Godspeed compile ainsi treize titres qui dévalent à toute vitesse, de tubes pop bien rodés (Lights on, Hollygrounds) vers des expérimentations électroniques beaucoup plus abstraites (Godspeed). Bien malgré lui, Griefjoy, qui rêvait de coucher de soleil et de simplicité, démontre ici que la musique est une science comme les autres :
“On aime cette science de la mélodie accrocheuse et de l’efficacité en dix secondes, qui t’attrape. Et on aime autant celle de Jon Hopkins que celle de Justin Bieber.”
Amorçant un changement de cap, Why Wait est un clin d’œil aux métissages soul et r’n’b de Disclosure. Beaucoup plus sombres, Into the Dream et Virus précipitent une transition et détonent par leurs rythmiques métalliques inquiétantes, faussement bercées par une voix déformée, parfois même dupliquée et superposée à gogo.
Cherchant le compromis, Labyrinth et Talk to Me subliment cet album avec des mélodies magnétiques, de véritables boules de flipper s’aimantant à merveille à la voix sensuelle et organique de Guillaume. Quant à Murmuration et Scream Structure, pièces centrales, elles semblent chargées d’une forêt d’électrons prêts à foncer dans le tas, ravagées par cette envie d’expérimenter sans cesse, cette envie sublimée dans un premier morceau entièrement instrumental : Godspeed, véritable course-poursuite entre l’homme et sa machine, entre un piano jazzy et un système binaire. Et ce n’est donc pas un hasard si l’ingénieur du son Francesco Donadello, qui a signé des galettes pour Moderat ou Gonzales, a mixé celle de Griefoy dans son studio berlinois Vox-Ton.
Concerts le 4 mai à Nice (festival Crossover), le 23 septembre à Paris (Gaîté Lyrique)
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