A ceux qui se plaindraient encore du déficit des grands auteurs de théâtre, nous ne saurions trop conseiller d’aller découvrir Chat et souris (moutons), la onzième oeuvre de Gregory Motton, mise en scène par lui-même.
Au terme de la petite heure d’entretien que nous aura accordée Gregory Motton, on ne saura rien de lui. Absolument rien de plus que ce qui est écrit dans la préface des textes de ses pièces : « Né à Londres en 1961 d’une mère irlandaise et d’un père anglais, il vit à Londres. En 1987, sa première pièce Chicken a été jouée… » Inquiet, nerveux, une allure de rock-star, il veut appeler une amie traductrice pour être sûr d’être bien compris, terrorisé à l’idée d’être trahi. Le risque est pourtant mineur, du moins en ce qui concerne la conversation puisqu’il ne répondra que par « oui » ou par « non », poussant parfois la volubilité jusqu’à un « c’est possible » ou un « peut-être », voire dans les cas désespérés un « je ne sais pas ». C’est seulement sur la question de la mise en scène du texte et de la lecture qu’on peut alors en donner qu’il sort de ses gonds et que l’on saisit du même coup sa perception de la trahison. « Je ne supporte pas cette idée du metteur en scène tout-puissant qui se sert du texte pour faire son petit objet. Qu’est-ce que ça veut dire cette prétendue liberté ? C’est comme si un imprimeur changeait les didascalies dans un roman ! Le metteur en scène doit donner à voir ce que l’écrivain a écrit pour le public. Il ne doit pas devenir un obstacle entre le public et l’auteur par ses intentions. Si j’écris que l’action se passe dans une chambre, je ne comprends pas pourquoi il va la montrer sur le mât d’un bateau. Quand je vois mes textes, je ne les reconnais plus et c’est extrêmement douloureux. Si je mets en scène mon texte, je ne suis pas là pour créer quoi que ce soit, je suis payé pour suivre mon texte. »
Mais alors pourquoi Gregory Motton écrit-il pour le théâtre ? « J’ai commencé, ça a marché, j’ai continué. Je n’aime pas particulièrement le théâtre. Il se trouve qu’en Angleterre un auteur de théâtre va être publié, va être joué et donc va être plus facilement connu. Il y a énormément d’auteurs de théâtre alors qu’en France, il y a davantage de romanciers. C’est sûrement parce que les metteurs en scène anglais ont moins de pouvoir.« Motton a été découvert ici à travers les mises en scène que Claude Régy a faites de Chutes et de La Terrible voix de Satan. « Toute l’ironie de mes textes avait disparu et je ne les reconnaissais pas. Je ne sais pas ce que le public a perçu de mon écriture à ce moment-là. » En 1996, dans la salle du Petit Odéon, surprise, on découvrait un auteur férocement drôle. Motton et son ami Ramin Gray signaient une première mise en scène de Chat et souris (moutons).
C’est cette même pièce qui est produite à Gennevilliers, cette fois en français avec des acteurs français (dont l’excellente Elisabeth Mazev) et toujours avec Ramin Gray pour la mise en scène. « Sans lui, ce serait impossible. D’ailleurs, le travail théâtral en lui-même ne m’intéresse pas plus que ça, si ce n’est que je suis beaucoup mieux payé comme metteur en scène ! » Chat et souris (moutons) n’est pas un texte sur la ferme. On ne saura d’ailleurs pas pourquoi Gregory Motton affectionne les noms d’animaux dans les titres de ses pièces, il marmonnera un « Je ne sais pas, peut-être parce que ma mère a habité dans une ferme » très éclairant. Il en sera de même pour ce qui est du choix des patronymes des protagonistes, à l’exception d’Espridbite, un nom qu’il a directement emprunté au critique anglais Dick Witte. « Il aurait pu s’appeler Robert comme tout le monde, mais il a choisi Dick Witte qui se traduit par Esprit Bite ! » Pour Gengis, il y a bien une référence au roi mongol Khan, et alors ? C’est écrit dessus comme le port-salut et basta.
On s’aventurera quand même à un bref argumentaire de la pièce même si Motton prévient que si « quelques lignes suffisaient pour parler de son travail, il n’aurait qu’à écrire des cartes postales » ! Gengis, épicier de son état, décide de s’enrichir pour le bien du consommateur et pratique une politique de Leader Price à l’échelle de la superette de quartier. Gengis s’emballe, tient de grands discours : « Tout ce que je veux maintenant, c’est la destruction et la victoire, et l’échec et la mort et la victoire et la souffrance et la défaite et la mort et la victoire. » Tata, plus pragmatique, traduit par : « Allons-nous rester ouverts tard le soir ? » Gengis agrandit son capital et rétrécit tout le reste. A commencer par son espace. Tout le monde partagera le même lit dans la même pièce ; quant à son cerveau, il ira jusqu’à subir une trépanation. « Il n’y a pas vraiment de personnages dans mes pièces, ce sont plutôt des figures qui me permettent de raconter un certain nombre de choses, des prétextes. » L’épicerie se situe dans le même quartier populaire du nord de Londres, Finnsbury, que le domicile de l’auteur. Pure coïncidence là encore. Comme tout le monde, Motton habite là où l’on trouve des logements grands et pas trop chers !
Pour les références, on ne sera pas plus avancé. Etre anglais ? « Je n’ai pas le choix et ça pourrait être pire. » La politique ? « Que dire ? Allez voter ! Non franchement, je ne vois pas l’intérêt de parler politique. » Ses goûts artistiques ? « J’aime bien les films anglais des années 60, ceux où l’on voit les rues de Londres. J’aime la « vieille peinture », la française du xvième siècle par exemple. J’aime bien la peinture qui me donne envie de peindre. Il ne faut pas qu’elle soit trop bonne pour que mon ambition soit réaliste ! » On l’aura compris, Gregory Motton se paie définitivement notre tête. On pourrait s’énerver, mais c’est impossible, les airs blasés ne sont que l’armure qui tente de protéger un homme en proie à la désespérance de ceux qui, visionnaires, donnent à lire le monde. Sans le vomir, en le biaisant avec l’élégance d’un poète, par l’absurde et l’ironie. Tout ce qu’il a à dire, il l’écrit magnifiquement. Pour le spectateur de Chat et souris (moutons), la découverte se fera dans le rire (jaune) et débarrassé de tout complexe devant tant de talent. Gregory Motton se met en scène avec toute l’irrévérence qu’il faut, en cousin peu éloigné de parents qui s’appelleraient royalement Monty Python.
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