Le prodige Sufjan Stevens se lance dans un projet titanesque : dédier un album à chacun des cinquante Etats américains.
C’est ainsi, l’optimisme pompeux, que l’on envisage l’arrivée au Paradis : accueilli par des sons étrangers, des froissements de nuages, les plaintes du vent, des échos stellaires, des chuchotements d’orages et une vaste chorale d’anges sexués’ Si cet album de Sufjan Stevens enchante, impose immédiatement la rêverie et l’hébétude, c’est qu’il ignore tout des us et coutumes prosaïques de la musique d’ici-bas. Ce disque, le troisième d’un graphiste du Michigan réfugié poétique à Brooklyn, n’a ainsi accepté le dialogue qu’avec le Grand, l’Ailleurs, l’Inconnu : pop astrale, onirique et exaltée, celle qu’aurait pu envisager Arthur Lee (Love) ou Nick Drake s’ils avaient été chefs d’orchestre de la fanfare du Paradis.
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De Beta Band à Jim O Rourke, de Cardinal à Sea & Cake, beaucoup de musiciens ont ces dernières années tenté cet album, cette révolution de palais dans la pop-music : ils y ont mis tout leur talent, mais Sufjan Stevens du génie. Et chaque chanson, chaque silence, chaque envolée vertigineuse ouvre ici des brêches béantes vers le vide, des fenêtres vers l’inconnu. Qu’on nous pardonne ce transport peu commun, mais cette musique est une authentique et trop rare révélation.
Sufjan Stevens est également membre honoraire de la Danielson Family, cette étrange et méconnue secte américaine à la pop céleste, qui envisage, à chaque album, des Beach Boys produits par Dieu le père : ceci explique sans doute la ferveur, la religiosité de ces saynètes en apesanteur. Il est aussi écrivain, primé pour ses nouvelles aux Etats-Unis : ce format court, ramassé convient parfaitement à son songwriting tournoyant, le circonscrit à des poèmes bouillonnants, où la géographie, la politique, l’absurdité et l’intimité se pourchassent pour offrir aux musiques, prodigieuses d’imagination et de liberté, une littérature à leur altitude. On ignorait que le Michigan culminait si haut.
NDLR : Michigan a été réédité en juillet 2004 et complété par deux inédits.
JD Beauvallet
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