Sur un premier album radieux, romantique et naïf, Granville convie le soleil de Californie en Normandie. Critique.
Peu importe qu’on ait déjà fait la plaisanterie : depuis quelques années, c’est Caen le bonheur. Soutenue par la dynamique salle de concerts le Cargö, la scène musicale locale n’a eu de cesse d’afficher sa vitalité depuis le premier album d’Orelsan. Qu’ils soient en pleine explosion (Concrete Knives, The Lanskies) ou à suivre (Clockwork Of The Moon, Jesus Christ Fashion Barbe, Dalton Darko & The Sorry Sorrys), les groupes caennais ont en commun de regarder loin vers l’Ouest – ils ont beaucoup moins à voir avec Noir Désir qu’avec les Fleet Foxes ou les B-52’s.
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Dans cette belle famille locale, Granville, qui a emprunté son nom à la ville manchoise voisine, avait été remarqué l’an passé à l’occasion d’un premier single qui fantasmait Jersey en Hawaii du 50. Le groupe, formé autour de la chanteuse poids plume Melissa, publie cet hiver un album écrit dans la langue de Gainsbourg. “Les choses sont allées si vite. Au départ, notre seule ambition était de jouer de la musique dans notre salon, pieds nus et en buvant des verres. À la fin de l’enregistrement de l’album, on a d’ailleurs réalisé qu’il s’était écoulé seulement un an et deux mois entre la dernière prise et le premier mail qu’on s’était envoyé pour évoquer une collaboration.”
En marge de l’action culturelle menée par le Cargö, la scène caennaise doit aussi sa vitalité au bar L’Écume des Nuits, qui organise tous les jeudis des soirées open-mic auxquelles participent les formations locales. C’est là qu’il y a deux ans Sofian et Arthur ont croisé la route de Melissa : à peine majeure aujourd’hui, la chanteuse venait alors de quitter le lycée pour former le groupe folk Raspberry Curls.
S’agissant des groupes formés en Normandie, il a longtemps été coutume d’expliquer une certaine connivence avec la scène anglaise par la proximité géographique. Granville, qui a en outre emprunté le nom de son premier single à une île anglo-normande (Jersey, donc), accorde pourtant peu de crédit au voisinage. “Cette proximité était valable pour Saint-Lô il y a quinze ans : toute une scène britpop s’était formée autour de la salle du Normandy. Nous sommes plus jeunes : Granville appartient à une génération qui a découvert la musique avec internet. On aurait écouté autant de musiques anglaises et américaines si on avait grandi dans l’Est.”
Au panthéon du groupe, on trouve d’ailleurs une belle famille d’artistes variés : aussi bien Gainsbourg et Lio qu’une tribu de groupes indés venus de par-delà les mers – Girls, Blood Orange, Best Coast, Solange… À ces références sonores, le groupe ajoute enfin un béguin pour le cinéma de Sofia Coppola ou de Michel Gondry. “On aime les tableaux vaporeux, les choses contemplatives. On écoute la musique pour l’évasion. Avec Granville, on n’est pas là pour parler des problèmes du quotidien ou pour s’impliquer dans des causes, même s’il y en a des tas à soutenir bien sûr. Notre ambition est de jouer une pop naïve et poétique, simple, guillerette et touchante à la fois. Comme dans Amoureux solitaires, comme dans La Chanson de Prévert.”
Pour enregistrer Les Voiles, Granville les a mises, quittant Caen en direction du Sud. Le groupe ne s’est pas arrêté loin : dans le Perche, il s’est réfugié dans le studio du Hameau, que fréquentent moult formations indés du pays (Mina Tindle, Jil Is Lucky, Fortune…). Là, il a confié les commandes de l’enregistrement au Normand Nicolas Brusq. “On voulait un album live, avec des petites erreurs, des fragilités. Nicolas avait réalisé le deuxième album de Kim Novak, un disque dont on adore la production et qui est peut-être le seul album français qui sonne comme un album de Girls, avec une allure de disque américain.”
De cette union est né un disque de pop au charme très américain justement, qui fait souffler un vent West Coast sur une douzaine de ballades romantiques et naïves. Un album qui rêve d’Hawaii (Jersey), danse dans les boums (Le Slow), part en vacances à la mer (le rohmerien Adolescent) et se fait beau (La Robe rouge). Tout en évitant les clichés, Granville dessine ainsi un univers juvénile et pastel, fragile, teenager et touchant comme un film de Wes Anderson, du reste autre idole revendiquée du groupe.
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