A 19 ans, l’Australien Ben Lee a déjà derrière lui un parcours d’ancien combattant. Punk précoce avec ses Noise Addict, il enflamma les publics de Sonic Youth ou de Beck avant de se découvrir songwriter haut de gamme sur l’estimable Grandpaw would puis sur un Something to remember me by étonnamment mature et paisible. Alors […]
A 19 ans, l’Australien Ben Lee a déjà derrière lui un parcours d’ancien combattant. Punk précoce avec ses Noise Addict, il enflamma les publics de Sonic Youth ou de Beck avant de se découvrir songwriter haut de gamme sur l’estimable Grandpaw would puis sur un Something to remember me by étonnamment mature et paisible. Alors que ses disques sont enfin distribués en France, rencontre avec un flambeur d’étape.
Tout va très vite dans le monde de Ben Lee. Pensée, paroles, destinée : le jeune Australien flambe les étapes, méprise la patience du haut de ses 19 ans, prend des raccourcis au pas de charge, coupe les virages. Car ici, pas question de perdre une seconde : Ben Lee occupe au maximum l’espace et le temps, histoire d’être partout à la fois au cas où il se passerait quelque chose quelque part. Une angoisse de l’instant très teenager qui, chez d’autres, passerait pour du brassage d’air et du bruit pour rien. Mais chez ce jeune chien fou, la vie est déjà extraordinairement remplie. Concrètement : dix-neuf années de faits d’armes tassés au chausse-pied. Le parcours est légendaire et démarre par quelques fameuses premières parties australiennes. Avec Noise Addict, le groupe qu’il a formé en 92 alors qu’il n’a que 14 ans, Ben Lee essuie les plâtres pour Sonic Youth, Fugazi, Pavement ou Beck. Impressionné, Thurston Moore, qui a vu le gosse s’époumoner en première partie, l’invite à enregistrer une maquette pour son propre label. Mais c’est finalement le très tendance label des Beastie Boys, l’excellent Grand Royal, qui se montre le plus convaincant. « Ce qui a dû les intéresser chez moi au départ, c’est que j’avais une certaine arrogance qu’on ne peut trouver que chez les adolescents. Je croyais tellement en moi… »
Suivent trois disques, enregistrés aux Etats-Unis pendant les vacances scolaires le premier, Grandpaw would, sort en 1994. Ben Lee a alors 16 ans, chante des pop-songs gamines qui parlent des Pixies, de ses petites amies, parfois même de petites amies qui aiment les Pixies plus que Ben Lee. Le deuxième, Meet the real you, enregistré avec Noise Addict, déboule dans la foulée, concentré de punk-rock fougueux et spontané, soupape du trop-plein d’adrénaline. Jetant aux orties les bruyants et brouillons brûlots de Noise Addict, Ben Lee découvrait l’année dernière la maturité : ce sera donc un album acoustique et sage, Something to remember me by, un unplugged comme un vieux routier. Ben Lee a effectivement alors 18 ans. Mais si la guitare musarde, l’Australien, lui, fréquente le monde, s’y trouve des amis célèbres (Beastie Boys, Liz Phair, Melissa Auf Der Mauer de Hole…) et une petite amie fameuse (Claire Danes, starlette hollywoodienne héroïne du dernier Roméo et Juliette en date).
Quelques tours du monde plus tard, Ben Lee a toujours son physique d’adolescent mal dégrossi et pas tout à fait terminé. Incroyablement confiant en lui-même, il canalise désormais la montagne d’énergie qui semble le transporter pour créer une musique parfaitement à l’opposé de son agitation : une musique mûre, sereine, adulte, un folk sec et loin des palpitations des gommeux piailleurs. Où Ben Lee, vieilli en fût de chêne et en programme accéléré, découvre en même temps les peines de coeur et les choix d’avenir, le songwriting pondéré et une carte d’ancien combattu. Ses raisonnements, ceux d’un enfant précoce, vif et pertinent, en sont presque effrayants. « Noise Addict était la parfaite expérience pop adolescente : des gamins de 16 ans qui se bourrent la gueule alors qu’ils n’ont pas le droit on était mineurs , qui traînent, font des conneries, sont imprudents. Ça paraît un peu limité mais c’était une belle histoire, un peu idéaliste. J’avais besoin de commencer par ça, ça faisait partie de ma logique de progrès. Noise Addict ne pouvait pas durer : ce groupe existait parce qu’on était jeunes et la jeunesse finit toujours par mourir. On a fait un disque, c’était suffisamment cool. Et un groupe avec plusieurs songwriters dedans, ça ne me va pas, l’ego intervient trop, trop d’idées fusent. J’aime bien pouvoir contrôler les gens et ce qu’ils font, j’aime faire en sorte qu’ils suivent mes règles de leur propre gré ce que je fais sur mon dernier album, où j’amène tous ces collaborateurs, Melissa Auf Der Mauer, Petra Hayden (Spain, That Dog), mes amis et leur propre créativité mais sous ma propre direction. Les gens m’ont déjà critiqué, en disant que pour un garçon de 19 ans, je faisais de la musique de vieux, démodée. Mais je m’en fous, je ne suis pas là pour faire progresser la musique, je laisse ça à Atari Teenage Riot. Ça ne me préoccupe pas vraiment de laisser ma trace dans l’histoire de la musique. Quand on voit un artiste jouer avec pour seul accompagnement un piano, un violon ou une batterie, on trouve toujours dans sa musique quelque chose de désuet et de formidable à la fois, une certaine tension humaine et tragique. »
Loin de ses camarades de promotion Pampers tous ces Silverchair, Ash ou Symposium à la moyenne d’âge souvent égale au QI , Ben Lee pourrait vite être envoyé au grand cimetière des prétentieux, avec ses certitudes, son recul, son discours réfléchi et sa maturité fiérote. Imbuvable, Ben Lee, quand il assène avec un aplomb de fossile ses vérités ? « Quand je m’intéresse à une forme d’art, que ce soit la littérature, la peinture ou la musique, je recherche quelque chose qui, pour un bref moment, me montrera l’intérieur et la profondeur des choses, de la vie. Au début, j’ai souvent été plus intéressé par la musique d’un point de vue philosophique : j’aimais écouter un disque et souffrir en l’écoutant. Ce n’était pas une passion facile à partager avec des amis. » Pourtant, Ben Lee, insupportablement heureux et enthousiaste sur tout, sait se rendre sympathique, franchement drôle, intelligemment joyeux. Loquace et passionné, le bouillonnant jouvenceau profite pleinement et consciemment de sa chance pour laisser libre cours à ses passions qu’il collectionne avec gourmandise. Car Ben Lee n’est pas du genre à se contenter de la musique, veut tout à la fois, aime tout, touche à tout (cinéma, écriture…), sort beaucoup, part dans toutes les directions sans jamais pourtant s’éparpiller, se perdre de vue.
Ce garçon épuisant et jamais épuisé semble ne jamais s’arrêter et exprime à 200 à l’heure des envies que l’insularité australienne a failli étouffer. « J’ai grandi à Sidney où j’ai été un enfant heureux. C’était très tranquille, au bord de la mer, les gens y sont cools. Le problème, c’est que cette mentalité ne pousse pas beaucoup à travailler, n’incite pas à briller. Je n’arrive plus à y rester, ça me tire trop vers le bas, la paresse. Beaucoup d’Australiens grandissent avec un complexe d’infériorité, ils n’attendent pas grand-chose de la vie, ni d’eux-mêmes. Ils pensent être très isolés, s’imaginent que le reste du monde n’a rien à foutre d’eux. Je me sentais un peu prisonnier là-bas. Quand on va à New York, on rencontre plein de gens intéressants qui ont confiance en ce qu’ils font. A Sidney, on rencontre des gens très bien, mais qui n’ont aucune confiance. L’Australie est une limite. D’un côté, la culture est très riche, avec une histoire turbulente bien que récente ; de l’autre, c’est une société assez violente, qui étouffe et réprime les gens. Ce pays donne et prend beaucoup. Il fait bien sûr toujours partie de ma vie, mais j’ai réussi à me sortir de cette mentalité. »
Sans cesse écartelé entre deux continents et deux modes de vie, Ben Lee concilie dans ses chansons les grands espaces australiens et le folk américain, aussi farouchement amouraché des chansons de Frank Black que de celles de Dylan. « Il a un côté retors qui me plaît beaucoup, j’ai toujours eu horreur des gens évidents. Chaque fois que j’ai été malheureux dans ma vie, j’ai écouté Blood on the tracks et tout s’arrangeait immédiatement. J’aimerais avoir cet effet sur les gens. » Avançant sur tous les fronts à la fois, il brasse ainsi une culture musicale acquise à toute vitesse et avec boulimie du karaoké de Thriller, fait maison avec deux magnétophones à cassette, à la découverte de Pussy Galore ou des Modern Lovers à un amour du verbe hérité d’une enfance passée à dévorer des livres (ceux des parents compris), à mémoriser d’improbables combinaisons de mots, à répertorier le vocabulaire inconnu, à écrire des scénarios et à raconter des histoires à ses camarades de classe. Personne n’est dupe : l’enfant Ben Lee, déjà parfait dans son rôle d’entertainer, ne parlait pas uniquement pour le plaisir, mais bien pour asseoir sa position de centre d’attractions local. « J’adorais prendre le risque de la vanne qui tombe à plat, j’aimais le stress du silence de mort potentiel à la fin de l’histoire. C’est le côté excitant de la représentation. »
Une telle exaltation et un tel foisonnement de désirs et d’idées passerait ailleurs pour du dilettantisme et de la superficialité. Chez Ben Lee, la tête dans les nuages de la gloire mais les pieds fermement sur terre, l’enthousiasme sait rester simple, modeste et surtout concret. Sa musique accessible et pourtant finaudement complexe ne nécessite pas on n’est pas chez Palace ou Sonic Youth un long apprentissage dans les tréfonds de l’histoire. Susceptible de plaire « à des quinquagénaires comme à des gamins de 10 ans », elle est un parfait exemple d’oecuménisme, de cessez-le-feu mélodique. A l’image de son consensuel créateur, sympathique crâneur, aux larges ambitions étonnamment réalistes. « Je mène une vie très excitante qui me fait parfois un peu perdre ma direction. Mais mes projets et mon petit succès me suffisent, ils sont ma raison d’être. »
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