Grandaddy, c’est fini. A l’occasion de la sortie du testament discographique du groupe, le très beau Just Like the Fambly Cat, nous avons rencontré Jason Lytle, leader du groupe, qui nous parle en profondeur bouleversante de cette séparation et de ce nouvel album.
Dans quel état d’esprit es-tu, comment te sens-tu, physiquement ?
Ca va, psychologiquement parlant. Je ne suis pas non plus dans la meilleure des formes possibles : quand je suis à la maison, je fais beaucoup de vélo, ça me permet de libérer un peu d’énergie. Je commence donc à être un peu nerveux depuis deux jours. Mes jambes ne tiennent plus en place J’ai aussi pris un peu de poids, ce qui m énerve. A chaque fois que je sors, je picole beaucoup trop, ça n’aide pas. J’ai arrêté pendant un certain temps, six mois. Puis j’ai arrêté d’arrêter : je m’ennuyais… (rires)
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Comment te décrirais-tu ?
Je ne sais pas. J’ai l’impression d’être normal. J’ai l’impression, la plupart du temps, d’être un quidam dans la moyenne des quidams, mais je me sens également sans repos possible. Quand je vois la facilité qu’ont la plupart des gens à passer des heures à ne faire strictement rien, je réalise que je ne suis pas comme eux : l’inactivité me rend dingue, je dois toujours faire quelque chose. Ce qui n’est pas forcément facile pour moi : je ne joue pas aux jeux vidéos, je ne regarde pas beaucoup la télévision. Et quand je la regarde, c’est uniquement -et justement- pour débrancher mon cerveau.
Et quand tu ne le débranches pas, que fais-tu ? Tu écris en permanence ?
J’aime lire. Parce que j’ai grandi en skatant, il a toujours été naturel pour moi de combiner le fait d’être créatif et celui d’être physique : j’adore quand je peux mêler les deux. J’ai notamment besoin d’être en parfaite forme physique pour être en paix avec moi-même. Pour exploiter le champ de force que je ressens parfois autour de moi. Mais à part ça, je suis quelqu’un dans la moyenne.
Pourrais-tu être artiste si tu étais réellement quelqu’un de « moyen » ? Il te faut un carburant, non ?
Je ne sais pas… Au contraire, je me demande s’il ne me serait pas totalement impossible de faire la musique que je fais si je n’étais pas, justement, quelqu’un d’à ce point dans la moyenne. Je n’ai jamais appris à jouer, je viens d’un monde très élémentaire, et même si je me suis pas mal entraîné sur mes instruments, je n’ai fait que trouver une méthode pour appliquer le plus facilement possible ce que mon esprit pense, sans aller plus loin. Je veux jouer comme un enfant, je veux continuer à avoir l’impression de découvrir les choses pour la première fois à chaque fois que je prends un instrument en mains. En revanche, il y a tellement de choses différentes que j’apprécie dans chaque instrument qu’une frustration peut survenir : j’aimerais, de temps en temps, être un excellent joueur de piano, pouvoir m asseoir avec ma guitare et impressionner les gens avec ma seule maîtrise, j’adorerais chanter de l’opéra et captiver les gens avec ma voix nue. Mais je me suis concentré sur la multitude, des bouts de beaucoup de chose. C’est ce que j’essaie de maîtriser : enregistrer et combiner différents instruments. Je suis devenu le maître de rien en particulier.
N’est-ce pas étrange de promouvoir un album qui sera, on le sait déjà, le dernier ?
Oui, c’est assez étrange. Mais je pense aux fans, à ceux qui ont aimé Grandaddy toutes ces années. J’espère avoir l’opportunité d’expliquer aux gens quelle est la situation. C’est à mon avis un bon album, et j’espère aider à en vendre quelques uns.
Comment te sentais-tu quand il t’a fallu annoncer, aux autres membres du groupe ou à tes fans, le split du groupe ?
Ca n’a pas été soudain : ce fut un développement très graduel, ou plutôt un manque de développement très graduel. Les choses se sont longtemps déroulées assez normalement dans le groupe : toujours quelque chose de nouveau, une étape à suivre, de nouvelles frontières à explorer. Et tout juste suffisamment d’argent pour justifier la présence et les efforts de chacun. Puis les choses ont commencé à se casser la gueule. Vers la fin de la tournée suivant Sumday, je me suis rendu compte qu’on ne regardait plus vraiment vers l’avenir, qu’on continuait par simple inertie. Ca me tracassait. Assez profondément. Je me demandais sérieusement si je voulais continuer ça, si ça valait le coup, si on pouvait encore avancer. Est-ce que ce que l’on fait est bon ? Les gens aiment-ils ça, sont-ils excités ? J’en ai parlé au groupe. Personne n’avait de réponse. Je savais que je devais faire un autre disque, en groupe, en tant que Grandaddy ; je ne sais d’ailleurs même pas où en est notre contrat aujourd’hui…
Mais le truc le plus important pour moi était ma volonté de bouger : à côté de tout ce qui se passait dans le groupe, je savais que je devais déménager, changer d’endroit. Et ce dernier album que j’allais faire avec le gorupe serait une sort d’hommage à Modesto, à l’endroit où nous avons vécu toutes ces années. Un hommage et un adieu.
Pourquoi ce besoin de quitter la Californie ?
Tout est lié. Il était vraiment primordial pour moi de bouger : l’endroit était en train de me tuer, il m était devenu impossible d’y survivre. J’en avais profité, mais c’était fini, je ne pouvais plus en profiter. J’aurais aimé rester en Californie, mais c’est finalement un endroit assez étrange. J’ai une nuit rêvé que je ne déménageais pas, et ce que je voyais de cet avenir éventuel n’était pas très joli (rires). J’ai pensé à San Francisco, mais la ville était trop proche. J’avais besoin d’un changement radical, besoin d’une rupture totale avec tout ce que je faisais ou étais.
De quoi devais-tu t’échapper ?
Des vieux amis, des vieilles habitudes. Beaucoup trop de fantômes. Rester à Modesto n’était tout simplement pas possible. Pas mal de gens que je connais là-bas sont inévitablement devenus de véritables alcooliques, des junkies. Et il n’y a pas grand-chose à faire, en termes récréatifs. La seule chose qui m y maintenait était le groupe. Et le groupe a disparu, donc… Toute cette merde s’est déroulée en même temps et, pendant tout ce temps, je savais que j’allais vivre un immense changement. Je ne me suis pas assis en disant « bon, je vais faire ça, puis ensuite ça, et après ça ». J’ai essayé d’être intuitif, de suivre ce qui guidait naturellement ma voie, et celle du groupe.
T’ennuyais-tu au sein de Grandaddy ?
Ca a été quelque chose de très spécial. Mais nous avons vieilli. Je m’étonne même que nous soyons restés aussi longtemps ensemble. Ca a commencé d’une manière très pure, un groupe de copains qui joue chez eux, puis voyage dans le monde entier, s’amuse pas mal, passe du bon temps, vit des aventures, qui joue à la télé… Plutôt excitant. Jusqu’au moment où on se dit, un peu blasé, « bon, encore un show télé, encore un concert de plus, merde, il faut penser à écrire un album ». Ca devrait être stimulant. On essaie de trouver ça excitant, de se forcer. Il y a eu d’excellents moments mais au final, la plupart du temps était du temps perdu. Ce n’est pas une manière très efficace de faire les choses. Gâcher ce temps me posait un problème de conscience, ça finissait par me rendre dingue. C’est génial pendant une heure et demie, quand nous sommes sur scène, en train de jouer. Mais ce court instant nécessite tellement de choses… C’est ridicule. Pour un groupe comme le nôtre, qui n’est pas très riche, qui se demande toujours comment on peut faire les choses, c’est carrément épuisant. Et c’était pour moi une pression énorme : j’avais l’impression de tout supporter sur mes seules épaules. Faire l’album, enseigner les chansons aux autres, structurer les sets des concerts, faire les interviews, s’inquiéter que tout fonctionne. Il me fallait fournir une incroyable énergie mentale pour tout tenir ensemble.
Et tu devais, en plus, fournir de l’énergie au reste du groupe ?
La plupart du temps, oui. Pour certains membres du groupe, c’était sans doute beaucoup plus amusant que cela ne l’a été pour moi : ils restent posés toute la journée, font ce qu’ils veulent, puis montent sur scène et jouent très fort, puis finissent dans une soirée, et peuvent tranquillement aller se coucher. C’était pour moi plus compliqué. Et j’avais l’impression d’un cycle sans fin. Je suis une de ces personnes qui ne savent jamais quand s’arrêter, quand faire une pause, pour leur propre bien. Ca a fini par me détruire : une grande partie de cette érosion était tout simplement physique. Mentalement, c’était sans fin. Je n’en voyais pas le bout. Je m’épuise sur l’album, j’enseigne les morceaux au groupe, je m’épuise en tournée, puis je m’épuise à nouveau sur un nouvel album, et ainsi de suite. Peut-être nous aurions pu faire les choses différemment. Tout le monde me dit qu’on aurait pu faire des pauses, qu’on y a été trop fort pendant trop longtemps. Mais je ne sais pas car de toute façon, quand on ne faisait pas les choses, il y avait aussi toujours des gens pour nous dire qu’on était sensés les faire. C’est assez perturbant. Et je n’ai pas toutes les réponses. Je sais juste que ça ne pouvait pas continuer. Et plutôt que de voir tout ça s’autodétruire, d’une manière qui aurait pu être vraiment affreuse, il valait mieux faire ça proprement, se serrer la main, et terminer.
Et c’est un au revoir, ou un adieu ?
Je ne sais pas, quelle différence ? Un adieu, j’imagine. Même si nous sommes encore amis : c’était justement l’un des principaux objectifs. Nous ne sommes pas morts. Nos fans ne verront pas des types totalement tristes, misérables, alcooliques et pathétiques. Ca aurait vraiment été moche.
Tu vas continuer à écrire et publier de la musique ? Comment faire pour que ça ne soit pas aussi épuisant ?
Ce serait stupide de ma part de penser aux choses de cette manière. Quand j’envisage les choses, je veux qu’elles suivent un tout autre chemin. J’ai beaucoup appris, j’aime à penser que je suis de ceux qui savent appliquer le savoir accumulé à leur avenir. Les choses, au sein de Grandaddy, ont fini par m’échapper. Beaucoup trop de personnes dépendaient du groupe, et surtout de moi. Quand on tourne, l’équipe au complet représente une quinzaine de personnes : quinze êtres humains qui tournent en attendant leur tâche, qu’il faut maintenir heureux, occupés. A la maison, chez moi, passer du temps avec autant de gens ne m’arrive jamais. Etre à ce point entouré est donc un environnement très peu naturel pour moi. En tournée, tu peux compter quinze secondes, et tu parleras à quelqu’un, quelqu’un de demandera quelque chose, viendra frapper à ta porte. Impossible de passer un peu de temps tranquillement, seul, de profiter un peu de l’inactivité pour se poser un peu. Sauf, à la rigueur, aux toilettes.
Tu sentais l’obligation d’être une sorte de bon père pour tout ces gens ?
Oui, une sacrée responsabilité. Et je crois n’avoir jamais abusé de cette position. Ils réalisent maintenant, et réaliseront plus tard, l’importance que tout cela avait pour moi. Et nous étions tous importants : Grandaddy en tant qu’entité est clairement le résultat de l’alliance de toutes nos personnalités. Mais j’étais quand même le capitaine du bateau. Il me fallait rallier les troupes en permanence. Essayer de dérider un public qui parfois n’y était pas vraiment, essayer de pousser le groupe à prendre plus de plaisir, pour que les personnes dans la salle apprécient plus notre concert. J’étais sans doute un assez bon leader, et j’avais une plutôt bonne équipe. Mais arrive un moment où il faut savoir changer d’embarcation. Ou sauter à la mer et nager seul.
Les choses auraient-elles pu être différentes si les autres membres avaient eu la même implication que toi ? Ou peut-être ta propre obsession du contrôle les a-t-elle empêchés d’être plus impliqués ?
C’est la nature humaine : on prend généralement le chemin où l’on connaît le moins de résistance. Peut-être ont-ils pris les choses, et ma propre nature, comme elles sont venues. Sans essayer d’aller plus loin. J’ai essayé de déléguer, au fil des années, et je l’ai fait. Mais le plus important, les choses qui réclament les décisions les plus lourdes me revenaient tout de même : ils savaient que c’était mon bébé.
Quant au succès commercial : avez-vous eu ce que vous méritez ?
Je ne sais pas. Je ne sais même pas si on méritait quoique ce soit. Je ne dis pas ça d’une manière pitoyable, je ne dis pas « nous ne méritons rien ». Nous n’avons jamais rien attendu en particulier, et ça nous a aidés à garder la tête sur les épaules. A chaque fois que quelque chose de positif nous arrivait, nous en étions épatés, comme des gamins. Toutes ces années, on s’est laissé aller, on a suivi le courant. Pas de réunion avec tableau blanc et pointeur laser pour déterminer combien on devait vendre de disques ou attirer de spectateurs. Ca aurait peut-être été une bonne idée, finalement…
Un peu plus de succès financier aurait-il changé le cours des choses ?
C’est possible, oui. De plus beaux vêtements ou des voitures plus grosses ne pouvaient pas rendre le groupe plus heureux : dans notre cas, c’est beaucoup plus basique que ça. Etre pauvre provoque la dépression. Etre déprimé t’empêche de vouloir faire quoi que ce soit. Etre déprimé est épuisant, on passe son temps et on dépense une énergie folle pour assurer les fonctions les plus basiques de la vie. On s’auto-consume. J’ai été pauvre, vraiment pauvre, pendant des années. Je sais comment ça marche : pour certains membres du groupe, l’argent, ou le manque d’argent, était naturellement devenu leur problème principal. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Même les tournées : on pourrait imaginer qu’elles nous permettaient d’amasser pas mal d’argent, mais ça n’a jamais été le cas. Nous n’avons jamais fait un dollar sur nos concerts. Seule la vente de disques nous permettait de survivre, à peine. Si les gens considèrent l’argent comme il doit l’être, il devient un outil. On peut acheter de la liberté, on peut faire ce que l’on devrait faire. Si nous avions eu plus d’argent, ça nous aurait également sans doute permis de tourner d’une manière différente, on aurait pu structurer les tournées de manière à ce qu’elles ne soient pas à ce point épuisantes. J’aurais pu avoir mon propre bus à trois étages, doré, avec une piscine sur le toit, juste à côté du jacuzzi ; les autres auraient sans doute du partager de petits vans… (rires)
La dépression est quelque chose qui a marqué ta vie ?
J’ai longtemps, et durement, lutté contre la dépression. Des années. Ma mère était aussi gravement dépressive, d’une manière pathologique. Mais en vieillissant, je la vois plus clairement arriver : je sais un peu mieux me préparer, faire ce qu’il faut pour m’en protéger. Mais à chaque fois que je me crois sain et sauf, que le temps est au beau, quelque chose arrive et je replonge. Les tournées, en particulier, ont été très difficiles. Ca a pu parfois devenir vraiment noir. Je ne trouvais pas ma place, ce n’était pas naturel pour moi. Et pour créer ce petit espace naturel, je me mettais à picoler. Beaucoup trop. Tant qu’on boit, on n’a pas à s’inquiéter de la dépression, on ne fait pourtant que la nourrir un peu plus. On est simplement saoul, tout le temps. Un peu ou très saoul, mais ça permet de ne pas trop penser au noir, c’était pour moi la seule manière de me préserver. De me créer un monde que je pouvais sembler contrôler, à l’intérieur d’un autre monde, plus réel, où tout m’échappait. Je finissais par redouter ces tournées : je me souviens très bien en avoir parlé aux autres vers la fin de l’enregistrement de Sumday, ça m’effrayait tellement que je ne voulais pas le terminer et devoir passer à la phase suivante. Il était important pour moi, en enregistrant Just Like The Fambly Cat, de savoir dès le départ que je n’allais pas devoir tourner ensuite. Nous ne tournerons pas, pas comme nous l’avons fait. Si, d’une certaine manière, je pouvais juste prendre ma guitare, me balader en voiture, et faire quelques concerts ici ou là, faire mon propre chemin et mon propre emploi du temps, voir ce que j’ai envie de voir entre chaque concert, rencontrer des gens d’une manière normale, peut-être alors recommencerai-je. Ca sonne romantique. C’est ce qu’une tournée devrait être.
Nous ne sommes pas Radiohead ou Coldplay, mais c’est devenu si gros, si lourd : même à notre niveau, la logistique infernale que nécessite une petite tournée… Tout ça me dégoûte un peu. C’est carrément malsain. Et je ne peux pas ne pas y penser. Impossible pour moi de me retrouver sur scène, entouré de milliers de dollars d’équipements divers, sans penser à tout ce que ça coûte. Mon attention se fixe sur un détail, un petit truc cassé, je me demande combien ça peut coûter, ça m’affole. Je vois le support du clavier, il donne des signes de fatigue, je me dis en plein concert « aïe, il va falloir en acheter un autre », je regarde ma guitare, il ne me reste que six médiators, et je ne pense plus qu’à ça. Je devrais être en train de penser aux paroles, en train de prendre du plaisir, être inspiré, excité. Mais mon esprit se fixe, sans répit, sur ces conneries. Tout cela vient aussi de mon côté manuel, un truc que j’ai toujours eu : je ne jette rien, je répare tout, ma propre voiture, mes instruments. Ca aurait été différent si j’avais grandi avec des assistants, des servants : je serais comme Sean Lennon, je n’aurais à m’inquiéter de rien.
Quand as-tu commencé à penser à Just Like the Fambly Cat ? Comment s’est-il fait ?
Il m a fallu à peu près un an et demi pour le mettre en forme. C’est difficile de me remettre tout en mémoire : il s’est passé beaucoup de choses pendant sa confection. Cet album a tout traversé. Toutes les émotions possibles. Les plus hauts sommets, les profondeurs les plus abyssales. J’étais très amoureux, puis j’ai eu le coeur totalement brisé. Une partie de l’album a été faite dans une parfaite sobriété, le reste a été fait dans une sobriété beaucoup moins parfaite. (il sourit) Sans même parler des choses du quotidien : quand on a son propre studio chez soi, ces événements très basiques, ces petits hauts et ces petits bas ont aussi un impact plus évident sur le résultat final. Le téléphone sonne, quelqu’un frappe à la porte, il faut sortir acheter quelque chose à manger… Tout ça, petites et grandes histoires, a eu une énorme influence sur l’album, sur sa couleur. Je trouve le disque assez éclaté. Comme un festival de cinéma. Beaucoup de films différents, réalisés par le même homme mais dans des circonstances très variées.
Le temps va avoir un autre impact dans le Montana, où tu déménages.
Ce n’est effectivement pas le même climat que la Californie : froid comme l’enfer. L’expression est amusante, d’ailleurs, « froid comme l’enfer »… Le scénario changera sans aucun doute, plus que le reste, que l’esprit. C’est un endroit absolument magnifique. Les étés y sont vraiment agréables, mais les hivers sont de vrais hivers, des hivers qui ne plaisantent pas. Je n’aurai probablement plus le problème que j’avais de temps en temps en Californie, quand le temps est si beau qu’il m’est impossible de m’enfermer pour enregistrer.
Quelle a été l’atmosphère, pendant la confection de l’album ?
C’était un peu bizarre avec Jim Fairchild. Il a fait une tournée avec son propre groupe, Earlimart, il a aussi pas mal joué pour Modest Mouse. Il a fait pas mal de choses en dehors de Grandaddy : il a toujours été plutôt doué pour s’occuper. Il n’était donc pas là. Il y a également eu cette période bizarre pendant laquelle j’ai arrêté de boire. Je ne parlais à personne, je devais m’éloigner des gens : en gros, tous ceux que je connais se défoncent très régulièrement la gueule, impossible pour moi, dans ces conditions, de les approcher. Je ne suis pas capable d’aller dans un bar pour ne profiter que d’une super atmosphère : j’y vais pour boire. Je me suis donc imposé des mois d’isolation. Et je savais que j’allais devoir parler au groupe, je savais que ce serait compliqué : l’album s’est fait pendant cette période. Je savais ce qu’il allait être, et j’étais jaloux de ma propre oeuvre, très protecteur. Elle était en train de devenir quelque chose de spécial : le résultat de bonnes raisons, de sentiments justes, d’une certaine énergie qui a été capturée. Personne ne pouvait entrer là-dedans, j’avais peur des interférences. J’avais l’impression d’avoir réussi à prendre des photos de mes enfants, à chaque étape importante de leur vie. J’avais peur de perdre tout ça. J’avais un bon disque, personne ne pouvait se tenir en travers de ce qui était en train de se monter.
Tu considères Just Like the Fambly Cat comme votre meilleur album ?
C’est le plus complet, sans doute. Des idées complètes. Alors que je peux réécouter des centaines de chansons plus anciennes, et te dire précisément ce qui manque, ce qui ne va pas, tel son qui ne colle pas, telle chose à laquelle on aurait alors du penser. Il était primordial pour moi que ça n’arrive pas avec cet album.
Et comment t y es-tu pris ?
Le plus important a été ma longue période sans boisson, six mois de sobriété totale. J’avais un problème, et il a fini par échapper à mon contrôle. Tout ce qui s’est passé dans le même temps ne m’a pas aidé à le régler : je n’en voyais pas la fin, je souffrais, et le travail n’avançait pas. Un très bon ami à moi, quelqu’un qui a été et reste mon héros intime, est mort. Le même scénario, exactement le même, que pendant Sumday. Je devais faire quelque chose. J’ai littéralement pris mon répertoire, j’ai appelé plein de gens, « Salut, c’est Jason Lytle, j’ai besoin d’aide, viens s’il te plait » En un mois, j’étais clean. Mais mon cerveau s’est remis à mouliner à très grande vitesse. Je pensais être un cas avant cela, mais ça n’a jamais atteint les mêmes proportions qu’à cette époque : j’avais l’impression que tout allait, dans ma tête, à 3 millions de kilomètres par heure. J’ai commencé à canaliser tout ça dans des chansons, à les amener à des niveaux que je ne connaissais pas avant. Cet album n’aurait pas été le même si je n’avais su m’imposer cette sobriété.
Tu as également découvert, à ce moment, que tu te débrouillais mieux seul ?
J’obtiens mes meilleurs résultats quand je suis tout seul, c’est vrai. Pour une raison ou pour une autre, j’ai longtemps pensé que je devais me sentir coupable pour ça. Que c’était un problème obsessif, que je voulais pathologiquement tout contrôler. Mais en ce moment, je redeviens un enfant. Un enfant qui aurait déjà tout le savoir et la sagesse que j’ai acquis depuis toutes ces années. Et je n’ai pas à en avoir honte.
Que peux-tu me dire à propos de Dave, le producteur ?
Je suis quand même le producteur principal de l’album, il l’est aussi un peu, c’est vrai, mais c’est surtout au niveau du mixage qu’il a bossé. On a à peu près le même age, on possède exactement le même humour, on écoute la même musique. Il est très professionnel, il contrôle très bien sa méthode. Et c’est un type adorable, passionné : on a fini, à un moment, par épuiser nos ressources financières, mais il a répondu qu’il s’en foutait qu’on arrête de le payer, qu’il était trop engagé pour s’arrêter. On s’est tous les deux impliqués avec une patience dingue, obsessive, on est devenus de vrais nerds, les plus petits détails nous prenaient des heures. Quand un morceau était terminé, on se congratulait deux minutes. Puis on se regardait : « que penses-tu de cette basse ? on peut pas trouver autre chose ? » Ca a été ça pour chaque chanson. Le même sketch. Ca a fini par devenir une blague. Jusqu’au point final.
Et le titre ? Tu expliques que les chats familiaux ont tendance à simplement disparaître quand ils savent qu’ils vont mourir C’est un symbole fort !
Je l’ai écrit assez tôt, en très grosses lettres, sur les murs du studio. C’est une idée qui m’intrigue. Et ça collait bien avec mes trucs personnels : je suis devenu obsédé par cette idée de disparition. Cette idée, combinée avec le fait que je quittais Modesto, combinée avec les chansons, qui donnaient l’impression de littéralement entrer dans ce concept, combinée à la fin du groupe… Aucune réflexion à avoir : c’était le thème, donc le titre. Et c’est une idée que je connais bien : enfant, j’ai vécu ça des dizaines de fois. Quand on vit à la campagne, on est souvent entouré de chats : c’est ce qu’ils font, ils disparaissent. C’est quelque chose d’honorable. Quelque chose que je peux apprécier.
Avec l’aimable autorisation de V2
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