Cheap et toxique, la techno portes ouvertes de Curtis décomplexe définitivement l’électronique française. Qu’on nous pardonne cette rhétorique fastoche, mais sur la carte en relief des musiques électroniques, on situera la techno baladeuse de Curtis exactement entre Ian Curtis et Curtis Mayfield. Ce qui n’engagerait en rien il y a dans ce vaste trou […]
Cheap et toxique, la techno portes ouvertes de Curtis décomplexe définitivement l’électronique française.
Qu’on nous pardonne cette rhétorique fastoche, mais sur la carte en relief des musiques électroniques, on situera la techno baladeuse de Curtis exactement entre Ian Curtis et Curtis Mayfield. Ce qui n’engagerait en rien il y a dans ce vaste trou noir suffisamment d’espace pour faire tenir Manchester, Detroit, Chicago, Paris et leurs banlieues si ce DJ d’Argenteuil (ce qui change, question ramponneaux, de Versailles) ne réussissait pas cet authentique exploit : allier la froideur martiale du premier avec la sensualité humide du second. Curtis, donc, nom dans le mille. Beaucoup des chroniques amoureuses que vous avez lues au sujet de Cassius, Bosco ou même Daft Punk étaient, en fait, destinées à Grand hotel.
Grand hotel, comme on dit auberge espagnole, et surtout pas maison close : l’ouverture d’esprit de cet album rappelle qu’il existe, désormais, un tunnel sous la Manche. Du coup, la belle liberté que s’autorisent des Wiseguys ou des Propellerheads en Grande-Bretagne avec les mêmes matières premières le hip-hop, la pop, le P-funk, la techno, l’acid-house ou l’easy-listening a fatalement déteint sur une France sourdingue aux diktats effrayants encore distribués par certains magazines de paroisses, par une sale race menacée d’extinction. Car depuis leur mirador, les gardiens rigoristes de la techno ont souvent pris en ligne de mire ces rockers défroqués, de Thomas Bangalter à Curtis. Du haut de leurs ricanements incultes et de leur bigotisme, ils n’ont pas même été capables de voir que passer du rock sauvageon des Stooges et du MC 5 à la techno squelettique de Juan Atkins ou Derrick May n’était qu’une même et unique façon de rester, encore et toujours, à Detroit, Mecque de la musique cradouec, furieuse mais mélodique, sans gras.
« Cheap et toxic », martelle d’une voix absente le second titre, ce qui pourrait, comme chronique de cet album, s’avérer largement suffisant. Car toxique, assurément, ces titres le sont : impossible, par exemple, de s’extirper des mâchoires acérées du déjà vieux Superstar dog, chien savant autant que méchant, capable des plus astucieuses pirouettes sur le dance-floor comme de mordre la mémoire à pleines dents. Difficile, aussi, d’échapper à l’attraction fatale du coquet All stars, de quitter la table du Casino on Mars. Mais cheap, Grand hotel l’est également, au sens le plus noble du terme : pas du radinisme d’idées de rigueur dans la lo-fi, mais une économie d’effets de manche qui évoque d’illustres pionniers de la mélodie servie sur l’os, de Mantronix à A Guy Called Gerald. Car en privilégiant systématiquement le peu, en négligeant les manières élégantes, Curtis laisse la part belle aux muscles et aux nerfs, qui pilotent seuls le joueur Sick Cæsar ou les chicoreurs Dinmusic ou Overactive quitte à abandonner le terrain au très décérébré et agaçant Stretch. Mais tant de vigueur, d’astuces, de permissivité et de sensualité transforment Grand hotel souvent en un gigantesque hôtel de passe, où breakbeats, pop techno et electro forniquent à qui mieux mieux.