Ca c’est Paris. Enfant chéri du Cap -Vert, Tito Paris est devenu en quelques années un guitariste recherché et un compositeur prisé par les plus grands interprètes dont Cesaria Evora. C’est aussi un chanteur d’une rare suavité que couronne son troisième album, Graça de tchega. Ophélia appartient au circuit restreint des cafés concerts de […]
Ca c’est Paris. Enfant chéri du Cap -Vert, Tito Paris est devenu en quelques années un guitariste recherché et un compositeur prisé par les plus grands interprètes dont Cesaria Evora. C’est aussi un chanteur d’une rare suavité que couronne son troisième album, Graça de tchega.
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Ophélia appartient au circuit restreint des cafés concerts de Mindelo que Cesaria Evora a écumés au temps du dénuement. Elle y recevait l’obole de notables en virée et lustrait sa voix à l’alcool qu’une tablée d’officiers de marine en permission l’invitait à lamper entre deux chansons. Aujourd’hui encore, il ne se passe pas une soirée sans que l’honorable gargote, éclairée à la lueur de bougies précipitamment allumées pour cause soudaine, mais fréquente, de panne d’électricité, ne résonne des arpèges endeuillés d’une guitare ou des stridulants coups d’archet d’un violon. Mais avant d’être une enseigne, réputée pour l’atmosphère typique et une cuisine qui ne l’est pas moins, Ophélia est une personne conforme, jusqu’au tablier à fleurs, à ce que l’on imagine devoir ressembler la patronne d’un cabaret dans une ville portuaire sous les tropiques : grande, solide, avec une voix qui porte et un verbe que l’on sent pouvoir devenir péremptoire à la moindre alerte. Sénégalaise d’origine, Ophélia parle un français sans échardes et n’est jamais rétive à nouer la conversation, ses innombrables souvenirs d’hôtesse la conduisant infailliblement à évoquer ces temps heureux où la cité maritime baignait sans modération dans le labeur le jour et l’amusement la nuit. Ses propos ne cherchent jamais à dissimuler un fond de nostalgie qui lui fait considérer, avec la même netteté de ton que lorsqu’il lui faut refuser une demande de crédit, les mérites comparés de la musique d’hier et d’aujourd’hui. « Ce dont manquent les musiciens de maintenant, c’est de sensibilité. Avant, la musique cap-verdienne n’intéressait que les autochtones. Les artistes n’espéraient rien ou pas grand-chose et, perdus pour perdus, laissaient parler leur cœur. Depuis, il y a eu l’ouverture vers les communautés implantées en Europe ou en Amérique, puis est venu le succès de Cesaria et le miroir aux alouettes d’une carrière internationale. Le seul de la jeune génération qui ait su conserver le sentiment, le seul qui sache jouer à la manière des anciens, c’est le petit Tito Paris… »
« Ophélia ? J’avais 10 ou 11 ans et des culottes courtes la première fois que j’ai joué chez elle. » Tito en a 33 maintenant, mais son visage lisse, sa sveltesse de jockey ou ce sourire dont rien ne semble pouvoir anéantir la radieuse ingénuité nous le font immédiatement imaginer minot, se mesurant, avec ce culot propre aux enfants qui ravit tant les adultes, à des musiciens parmi les plus réputés du coin ayant quatre ou cinq fois son âge. « Mon père était marin. De ses voyages, il ramenait des instruments : un jour, un petit orgue électrique, un autre, une batterie. Mais j’ai commencé par jouer du cavaquinho et de la guitare. Je jouais avec Luis Morais, le meilleur clarinettiste cap-verdien, et le pianiste Chico Serra qui accompagne parfois Cesaria et à qui l’on doit un style unique, faisant la synthèse des différentes manières de jouer qu’avaient lancées les plus anciens comme Tututa, Arnaldo Conçalves ou Antonio Marques Da Silva. J’avais une chance extraordinaire de fréquenter ces types parce qu’ils étaient pour ainsi dire les gardiens du trésor. » On comprend soudain les raisons qui amènent la brave Ophélia à se montrer si exclusive dans ses faveurs et à offrir au seul Tito les lauriers avec lesquels elle refuse si obstinément de couronner les autres. Tito Paris est pour ainsi dire un enfant de ce petit Olympe de terre rouge, un chérubin ayant grandi à l’ombre des dieux musiciens d’un archipel qui compte autant de styles qu’il existe de variétés de poissons frayant dans l’océan. Quel aurait été le parcours d’un Dizzy Gillespie si, dès 16 ans, il n’avait été recueilli par l’orchestre de Teddy Hill puis dans celui de Cab Calloway, où on lui inculqua ce désir de perfection qui distingue les grands des très bons ? Le Cap-Vert possède cet inconvénient qui, dans certains cas, peut se révéler un immense avantage : c’est un pays en forme de points de suspension, une menue poignée de confettis de terre oubliée sur le chemin du carnaval volcanique qui passe entre Afrique et Brésil. Avant que les lilliputiennes proportions de l’endroit ne finissent par le faire ressembler à un bagne insulaire et marquer la moindre rencontre sur sa croûte aride du sceau désenchanté de la promiscuité, Tito profitera du proche voisinage des meilleurs pour parfaire son éducation et se forger un style.
Puis, à l’âge de 18 ans, ce sera l’exil au Portugal, où il entre au service d’une légende de la morna, Bana, un élève de B. Leza, le Carlos Gardel local. Voilà pour la tradition. Sa route croisera encore celle du groupe Voz de Cabo Verde qui, à la manière des orchestres du Cotton Club de New York belle époque, va jouer un rôle déterminant tant dans l’évolution artistique, avec en particulier l’électrification des instruments, que dans la constante aptitude à révéler certaines individualités. Lorsque Tito entre comme guitariste dans Voz de Cabo Verde, la formation est dirigée par Paulino Viera, futur pianiste et arrangeur de Cesaria, et par Dany Silva, dont les influences blues et rock s’intègrent peu à peu dans la polychromie sonore. Voilà pour la modernité. Tito est alors connu pour être la meilleure guitare en provenance de l’ancienne colonie portugaise et beaucoup Celina Pereira, Paulo de Carvalho, Vitorio Salomé, noms appartenant à l’aristocratie de la chanson cap-verdienne souhaitent le retenir dans leurs orchestres respectifs.
Aujourd’hui Tito est maître chez lui. Après un premier album instrumental paru en 1987, composé de mornas et de coladeiras, où il rendait compte de son exceptionnel touché de cordes, d’un raffinement qui juxtapose fluidité et économie, il enregistre sept ans plus tard Dança ma mi criola qui en un tournemain le transforme en superstar. La chanson-titre est omniprésente sur les radios du Cap-Vert mais aussi du Portugal, d’Angola, de Hollande et dans les régions à forte concentration cap-verdienne des Etats-Unis. Bien que Dança… n’ait pas été écrit de sa main (mais par celles de Toy Viera et Ramiro Mendes), les autres titres de l’album révèlent un compositeur hors pair, l’un de ces funambules des îles qui font leur petit numéro en équilibre précaire avec, pour balancier, rythme d’un côté et sens mélodique de l’autre. Preuve de la contagion dont cette chanson fut la cause, mais aussi de ses dispositions particulières à occuper tous les terrains, on pouvait l’écouter le matin jouée à la guitare sèche sur une terrasse de Praia ou de Mindelo par quelque busker local et la retrouver à minuit, en version originale, occupée à remplir les pistes de danse des boîtes à la mode. Car la musique de Tito Paris est populaire comme la musique de Benny Moré pouvait l’être. Du folklore urbain qui réconcilie ces choses que certains préjugés condamnent à vivre isolément : le lointain et l’immédiat, le mouvement et l’attachement, l’accessible et le secret. « Je ne dirais pas que ma musique est faite pour la contemplation, la danse reste la priorité, mais elle possède tout de même quelque chose qui vient de l’intérieur. » Ce quelque chose, Ophélia l’appelle sentiment. Lorsque l’on pense se trémousser avec l’abandon nécessaire à la pratique de la coladeira (le bassin est résolument collé à celui de votre partenaire, les deux pelvis ainsi joints ondulent en cherchant l’harmonie entre eux et avec le rythme), on se surprend à trouver une intention personnelle, un reflet d’âme qui en éclaire la mission charnelle. « La coladeira est un style musical essentiellement consacré aux thèmes lascifs et machistes. Il y avait toujours un cocu dans ces histoires. J’ai été le premier à y faire entrer l’amour alors que l’amour était traditionnellement réservé aux mornas. » Jouée par n’importe qui d’autre, cette musique retournerait sans doute à sa fonction primordiale de coagulateur de corps en sueur et serait promptement qualifiée de « balloche ». Et surtout chantée par n’importe qui d’autre… Car Dança, entre autres mérites, eut celui de faire découvrir la voix de Tito, peut-être la plus belle en langue portugaise actuellement, à la texture Scotch Brit, un côté douceur et l’autre abrasif, un timbre à la fois miel et éraillement qui n’a d’équivalent que dans la soul américaine du côté de Sam Cooke. Et dire que Tito n’osait pas chanter ! « J’étais trop timide. Un soir sur scène, Dany Silva a annoncé « Et maintenant mon guitariste va vous en pousser une. » J’étais dos au mur et je n’ai pas pu me défiler. Tout le monde attendait mon premier album. Les gens qui m’avaient entendu chanter sur scène se procuraient des cassettes pirates. » A la timidité, Tito ajoute une modestie qui lui fait s’attribuer pour qualité essentielle celle d' »écouteur de musique ». « Je sais que mes oreilles sont bien accordées. J’écoute beaucoup de choses et notamment de la salsa qui imprègne fortement mon nouvel album. Mais j’aime aussi le classique. Mon rêve serait d’enregistrer certaines mornas avec un orchestre symphonique. Sinon, j’adore Nat King Cole…« Et comment l’en blâmer. En dépit de la distance culturelle, les deux possèdent en commun un sex-appeal vocal et un sens inné de l’équilibre orchestral.
Le nouvel album, Graça de tchega, s’il confirme les qualités de songwriter et d’interprète, ajoute à sa panoplie un fort talent pour habiller les chansons. L’intro du morceau éponyme, avec cette lente et grave montée des cuivres, est à elle seule une merveille de goût.
Tito évolue sur le terrain excessivement glissant du charme. Un secteur d’activités qui moins que tout autre ne peut tolérer la médiocrité. Mais de cela, les dieux, qui se sont beaucoup penchés sur son berceau, semblent l’avoir à jamais préservé.
Tito Paris, Graça de tchega (Lusafrica/Mélodie)
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