Patti Smith avait tout à perdre avec ce retour : digne et poignant, Gone again rend la légende encore plus belle. Agile, androgyne et culottée, la jeune Patti Smith fut aux rock-stars replètes des années 70 ce que Musidora était aux banquiers bedonnants des Années Folles, une Irma Vep insaisissable se faufilant dans la salle […]
Patti Smith avait tout à perdre avec ce retour : digne et poignant, Gone again rend la légende encore plus belle.
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Agile, androgyne et culottée, la jeune Patti Smith fut aux rock-stars replètes des années 70 ce que Musidora était aux banquiers bedonnants des Années Folles, une Irma Vep insaisissable se faufilant dans la salle des coffres et soulageant les nababs impotents de leur trésor de guerre. Il y avait du rat d’hôtel dans cette longue fille fluette, évadée du New Jersey pour soumettre Manhattan, gambadant au faîte des gratte-ciel, y cueillant des étoiles quand Elton John se contentait d’en orner ses bésicles et platform-boots. Le prodigieux butin amassé des monceaux de louanges, un premier album promis à l’immortalité coûta à la voleuse sa vertu ; les rapines la rendirent rapace. Quand l’émule de Rimbaud se laissa séduire par les méthodes de la bande à Bonnot, le tac-tac des mitraillettes couvrit le tic-tac d’un cœur au rythme duquel les nôtres avaient battu la chamade. A partir de Radio Ethiopia, Patti Smith tenta périodiquement de revolveriser un rock qu’Horses avait révolutionné sans violence. Puis, après un blanc de plusieurs années, Dream of life signala le renoncement au terrorisme. Gone again, marqué par le deuil, est un disque de douleur et de paix chèrement conquise. « Je ne sais pas pourquoi mais quand il pleut, c’est sur moi que s’abattent des trombes d’eau » (Farewell reel) : en quelques terribles années, la camarde a ravi Robert Mapplethorpe, Richard Sohl, le frère et le mari de Patti Smith. La morte saison pèse, sans l’écraser, sur Gone again, disque grave qui jamais ne sanglote. Des mélodies de neige, lumineuses, diffusent une douce chaleur, les flocons de guitares acoustiques recouvrent une terre brûlée (Wing), un violoncelle vulnéraire panse une douleur lancinante (My madrigal). Patti et Lenny Kaye (qui, autrefois, composa Luke the drifter en souvenir de l’alter ego d’Hank Williams) trouvent dans la country et le folk, musiques des vastes solitudes, un idiome ancien et un onguent limpide capables de combattre une affliction profonde. Dans Dead to the world, Patti tombe sous le charme d’un spectre amoureux, éprouve des « sensations ne figurant dans aucun dictionnaire », celles-là mêmes qu’éveille une chanson raffinée jusqu’à l’épure, où le romantisme rompt avec la rhétorique et courtise la spiritualité. Musique terrienne, inspiration céleste. Les lignes limpides tracées par les guitares mènent au firmament : « Si je pouvais faire quelque chose pour toi, tu serais une aile dans un ciel d’azur » (Wing) ; « Un arc-en-ciel apparaît, on dirait un sourire venu du Paradis. Chéri, je ne peux m’empêcher de penser que ce sourire est le tien » (Farewell reel). Images académiques, arrachées aux anthologies de poésie par une voix prodigieuse. On connaissait Patti Smith pitre et pythie, on la découvre émouvante amante. Les mots sont ceux du lyrisme séculaire, le ton celui de l’intimité se mesurant à l’infini. About a boy libère la mémoire de Kurt Cobain, tombée dans les sales pattes de margoulins décérébrés acharnés à l’exploiter jusqu’à la nausée. Implacable montée en puissance, rythme plombé : le son du Detroit destroy prolétaire vit à nouveau dans cette chanson (entre le Dirt des Stooges et le Dum dum boys d’Iggy Pop en solo) commencée sur du velours et conclue toutes griffes dehors. Superbe d’équilibre, Gone again alterne saveurs coquines (Summer cannibals, histoire d’amours saphiques goulues et turbulentes) et poignante méditation sur l’amour et la mort comme un film de François Truffaut qui aurait, sans trébucher, fait le grand écart entre Une Belle fille comme moi et La Chambre verte.
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