Le fameux Festival Gnaoua d’Essaouira, au Maroc, a fêté ses 15 ans. On y était et on n’a pas entendu que de la musique.
« Une belle endormie.” C’est ainsi que la représentante de l’Autorité palestinienne Leila Shahid se souvient d’Essaouira. C’était il y a vingt-cinq ans, à la faveur d’une première visite en compagnie de son mari le poète Mohamed Berrada. Comment imaginer que la belle deviendrait un jour l’insomniaque qu’elle est aujourd’hui ? Qu’un perpétuel brouhaha s’élèverait de ses ruelles grouillantes de visiteurs ? Que l’écho métallique des ensembles de musique gnaoua s’y répercuterait jusqu’au bout de nuits transfigurées ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Réveillée, la cité portuaire du sud marocain l’est, plus que jamais, à plus d’un titre. Plus une seule artère qui ne possède son riad restauré en maison d’hôtes, son ébénisterie, son restaurant, son échoppe de souvenirs. Cet authentique miracle économique, le Festival Gnaoua et musiques du monde n’y est pas étranger. Pour son quinzième anniversaire (il s’est tenu du 21 au 24 juin), les organisateurs souhaitaient établir une manière de bilan en ajoutant des paroles à la musique.
Ce furent ainsi un arbre à palabres bien fructifié et un forum réunissant chercheurs, politiques, journalistes et artistes d’horizons divers autour du vaste thème des cultures en liberté. Des interventions souvent brillantes (avec la remarquable Leila Shahid), des échanges parfois véhéments, des éclairages salutaires donnèrent tout son sens à cette initiative, dans un contexte de convulsions agitant le monde arabe, Maroc inclus.
Le président du Conseil national des droits de l’homme, Driss El Yamani, y évoqua le triste sort qu’a connu un colloque prévu à l’université d’El Djedida autour de l’oeuvre de l’écrivain Abdellah Taïa. Pris d’assaut par des étudiants islamistes, le doyen de l’établissement finissant à deux doigts du lynchage, l’événement dut être annulé, sous prétexte que Taïa est homosexuel et que ses écrits sont contraires à la notion de “culture propre” qu’ils défendent.
Le Maroc moderne avance, mais parfois à reculons. L’espace d’un festival, les remparts d’Essaouira peuvent donc abriter plus qu’un simple petit commerce prospère, plus qu’un sanctuaire pour ces merveilleuses musiques de saltimbanques mystiques en robes de fakirs. A la lumière des récents événements, l’idée apparaît comme une évidence.
C’est dans cet esprit de vigilance et d’espérance qu’André Azoulay, président et fondateur de l’association Essaouira Mogador, parla de la vocation de ce rendez-vous annuel (dont il fut l’un des initiateurs) avec lyrisme, se disant fier d’avoir fait à l’échelle d’une ville “mieux que les Nations unies, mieux que les politiques”.
Après quatre jours de festivités, personne n’aurait pu lui nier cet acquis. De cette édition un peu spéciale, nous retiendrons en particulier l’altérité complice de ces fusions où se rencontrent musiciens gnaouas et artistes du monde entier. La Malienne Oumou Sangaré, les Pakistanais Fareed Ayaz et Abu Mohammad, les Sud-Africains de Soweto Kinch, le collectif tambourinaire ouestafricain Djembe New Style, tous adossés à la vibration gnaouie, nous firent ainsi redécouvrir le destin de cette ville à l’étonnante baraka.
D’avoir été à travers son histoire à la fois berbère, juive, phénicienne, romaine, arabe, africaine et hippie, elle peut s’offrir aujourd’hui en amante universelle d’un monde à espérer. D’un monde enfin guéri de ses turpitudes sectaires.
Et aussi : à signaler, la sortie du CD/DVD Festival Gnaoua et musiques du monde, retraçant l’histoire du festival à travers une sélection d’extraits des concerts (en exclusivité Fnac ou sur www.festival-gnaoua.net)
{"type":"Banniere-Basse"}