Porté par la révolution vocale de Cleo Tucker, le duo GIRLPOOL, dépasse ses limites sonores et plonge dans l’inconnu. Fascinant.
Girlpool nous avait prévenus. Dès Hire – pas le premier extrait de ce troisième album mais son premier véritable single dévoilé à la fin de l’année 2018 –, Cleo Tucker parlait de “nouvelle vie”. Etait-ce une manière de préparer au changement drastique opéré par le duo de Los Angeles avec ce What Chaos Is Imaginary ? Pas impossible. Depuis la parution de son prédécesseur, Powerplant, en 2017, beaucoup de choses ont été bouleversées dans l’écosystème du groupe. Fusionnelles dès leur rencontre (à peine quelques mois avant la parution de leur premier ep en 2014), Cleo et Harmony ont pour la première fois dû composer à distance. “Pendant un an, j’étais à New York, et Harmony à Philadelphie”, raconte Cleo. Jusqu’à présent, il était difficile de savoir qui composait quoi tant mélodies et choeurs s’entremêlaient avec candeur.
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Transition F to M
Sur la côte est, éloignées l’une de l’autre, chacune se singularise. “Nous avons collaboré différemment, poursuit Cleo. J’aime dire que chacune a construit sa maison et que l’autre en a peint les murs. Nous avons davantage écrit de manière personnelle.” A ce jeu, Cleo Tucker vole la vedette sans trop d’efforts. Grâce à sa voix d’abord. En transition F to M depuis plusieurs mois, Cleo a vu son chant se transformer sous l’effet de la testostérone. “C’était comme se jeter dans l’inconnu. Je ne savais pas ce qui allait se passer pour ma voix quand elle a commencé à changer.” Cleo mue, perd une octave et doit réapprendre à maîtriser son instrument. “J’ai d’abord ressenti beaucoup de frustration. C’était surréaliste de ne plus reconnaître une chose si intime.” Le résultat est un entre-deux fascinant, l’impression de suivre en direct son “gender flow”, comme Cleo se plaît à l’appeler.
Langueur atmosphérique
Surtout que pour accompagner sa nouvelle voix grave et décidée, Cleo a composé les chansons les plus instinctives du groupe, Swamp and Bay et surtout Hire, tube évident et meilleur morceau du duo. “C’est une chanson pour tout envoyer bouler.” Fortes de cette assurance toute nouvelle, les anciennes ados tristes de L.A. dynamitent leurs propres limites. Que de contraste avec Before the World Was Big (2015), premier album primitif et autarcique. Face à l’Atlantique, c’est comme si Girlpool avait trouvé une vieille caisse de vinyles qui dérivait des côtes anglaises depuis 1993.
Certaines des plus belles réussites du disque (What Chaos Is Imaginary, Roses, Minute in Your Mind) doivent moins au rock lo-fi de leur début qu’à la langueur atmosphérique et à la perversion sonore des bien-aimés aînés shoegaze (Lush et Slowdive, surtout). “Nous avons grandi en écoutant ces groupes, mais nous ne nous sommes pas dit : ‘Allez, faisons de la musique comme un putain de groupe anglais’, ironise Cleo. Ce n’était pas notre but.” La timide Harmony complète : “Cela faisait un petit moment que nous enregistrions des démos plus bruyantes. C’était le bon moment pour tenter un son plus large, jouer plus fort et voir où cela mènerait ces chansons.” La révolution est rarement un geste très contrôlé.
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