Avec un second album dense et agité, GhostPoet émerveille. Depuis Massive Attack, la soul anglaise avait rarement à ce point brillé dans l’obscurité. Critique et écoute.
Que l’on cite Linton Kwesi Johnson, que l’on parle dub poetry, et Obaro Ejimiwe, alias GhostPoet, plaide l’ignorance. Que l’on glisse furtivement le nom de Tricky dans la conversation, et il se rétracte tel un mimosa pudica (espèce dont les feuilles se referment dès qu’on les touche), jurant même n’avoir jamais écouté Maxinquaye de sa vie. Pareille virginité ferait presque envie à nos cerveaux saturés de sons hétéroclites, si elle ne semblait suspecte. Encore que… Ray Davies des Kinks prétendait bien n’avoir jamais eu, ne serait-ce que partiellement, Sgt. Pepper entre les oreilles…
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Alors, sincère ? Bluffeur ? Escroc ? Mytho ? Obaro va-t-il bientôt nous certifier que son crâne lisse comme une boule de bilboquet passe entre les gouttes quand il pleut ? Ou bien a-t-on affaire à l’un de ces autistes volontaires qui, refusant l’enfermement dans un quelconque courant, choisissent une forme d’abstinence de peur de perdre cette liberté de mouvement que procure l’ingénuité ? La question ne se poserait pas si Some Say I So I Say Light, second album du Londonien après Peanut Butter Blues & Melancholy Jam en 2011, n’imprimait en nous l’image d’une embouchure fluviale où viennent se mêler les eaux et limons de cette postmodernité anglaise : newwave mancunienne, trip-hop bristolien, dubstep londonien. Le tout charrié depuis trente ans et filtré par l’intelligence foudroyante de cet ex-courtier en assurances au look ordinaire pratiquant la non-appartenance comme d’autres le zen macrobiotique ou la planche à voile.
“Pourquoi avoir choisi ce pseudonyme de GhostPoet ? Ghost (fantôme) parce que je ne voulais pas me mettre en première ligne. Poet parce que je ne veux en aucun cas passer pour un rappeur de plus. Les deux termes semblaient permettre d’éviter l’éternelle farce de la catégorisation.” Etudiant à Coventry en technique des médias, il empruntait un itinéraire mélomane sinueux, entre Boards Of Canada, Aphex Twin et Squarepusher, ancrage fragile entre ambient et drum’n’bass, quand l’exigence de créer un univers sonore personnel se fit sentir.
“La musique n’avait jamais été autre chose qu’un hobby jusque-là. Je manipulais les sons sur mon ordinateur sans réelle ambition que ce mode de création expérimentale finisse un jour par produire quelque chose d’intéressant.” Il finira pourtant via MySpace par attirer l’attention de Gilles Peterson qui l’accueille sur son label Brownswood et édite un premier album intégralement conçu sur un portable. La réussite de l’objet, nominé au Mercury Prize en 2011, lui ouvrira de nouvelles perspectives telles que la signature d’un contrat avec Pias et une collaboration avec le producteur Richard Formby, qui initie ce geek né aux sensualités de l’enregistrement en mode analogique.
Formby aura en outre l’intuition heureuse d’inviter le batteur Tony Allen sur Plastic Bag Brain, titre à la saveur afro-beat qui a renvoyé fortuitement le Obaro fils d’émigré nigérian à ses racines africaines. “Un jour, mon père m’a fait écouter une cassette de Fela Kuti et, depuis, le mouvement perpétuel de cette musique, sa puissance dénuée de rigidité m’obsèdent et me servent de références.” Car des références, il en faut bien malgré tout, même pour un adepte de l’étrangeté radicale tel que lui. Ne serait-ce que pour accueillir l’envoûtante paranoïa urbaine qui imprègne Meltdown ou Comatose, deux pics d’inquiétude aux beats concassés, aux nappes de synthé létales, aux guitares abrasives dans cette mer de l’intranquillité qu’ouvre devant nous Some Say I So I Say Light, petit chef-d’oeuvre en forme de traité sournois du déracinement heureux.
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