Fils spirituel d’Igor Stravinsky et de Leonard Bernstein, John Adams prend à bras-le-corps les formes traditionnelles de la musique classique pour y faire entrer les rythmes et les thèmes de la modernité. Artiste géomètre, il fignole des machines infernales aux mécanismes subtils et ingénieux. Le chef français René Bosc lui consacre une soirée dans le […]
Fils spirituel d’Igor Stravinsky et de Leonard Bernstein, John Adams prend à bras-le-corps les formes traditionnelles de la musique classique pour y faire entrer les rythmes et les thèmes de la modernité. Artiste géomètre, il fignole des machines infernales aux mécanismes subtils et ingénieux. Le chef français René Bosc lui consacre une soirée dans le cadre du Festival de Radio France de Montpellier.
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Vulgaire, John Adams ? A y regarder de près, son oeuvre agite et divise depuis déjà quelques années le petit milieu musical français. Décadent ou musicien de variétés pour les uns, Messie d’une tonalité retrouvée pour les autres, on n’en finit pas de se déchirer à son propos, de proférer les jugements les plus excessifs parfois les plus ridicules. Lors d’un récent concert au sein du mythique Théâtre des Champs-Elysées qui avait déjà vu, au début du siècle, le scandale de la création du Sacre du printemps de Stravinsky, puis cinquante ans plus tard celui de Déserts d’Edgar Varèse , l’exécution par un orchestre français des Chairman dances d’Adams souleva des huées dans une partie du public, alors qu’une autre, la majorité, applaudissait à tout rompre. De même, lorsque le compositeur, à l’invitation du chef de l’Ensemble Intercontemporain David Robertson, vint diriger au Châtelet un concert de ses oeuvres, l’accueil mitigé du public trahit les profondes dissensions des musiciens de l’Intercontemporain, constitué autant de partisans que de réfractaires. Le résultat fut inversement proportionnel aux espérances : d’excellents interprètes se fourvoyant dans un programme, a priori, de qualité… A 50 ans, John Adams peut donc être fier de déchaîner, à son insu, les passions les plus vives et cela, même parmi d’éminents « confrères » français, d’esthétiques et de sensibilités diverses : de Pascal Dusapin à Philippe Manoury, de Philippe Hersant à Nicolas Bacri. S’il est plus d’une clé pour pénétrer dans l’univers d’un artiste, il est certainement utile de connaître le milieu où se déroula son enfance, le Massachussetts, puis le New Hampshire. Adams se souvient d’avoir « été élevé dans une maison où l’on ne séparait jamais Benny Goodman de Mozart ». Pour lui comme pour ses illustres prédécesseurs qu’on songe à Charles Ives ou Leonard Bernstein et une grande majorité d’Américains d’aujourd’hui, il n’y a pas à choisir entre un choral de Bach et un standard de Duke Ellington, une chanson de Billie Holiday et un ouvrage lyrique de Debussy ou Weill, une partition de Stravinsky et un solo de John Coltrane. De même, l’idée d’opposer, comme dans la tradition européenne, musique « sérieuse » et « variété » n’a pas de prise sur cet esprit nourri de multiples cultures. Ainsi, ses compositions des débuts sont-elles marquées par le minimalisme radical de la première manière de Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass, auquel s’ajoute une recherche sur les sources sonores inspirée par John Cage, figure tutélaire de la musique contemporaine du xxème siècle, comme l’est Marcel Duchamp pour les arts plastiques.
C’est la double influence de Cage et Reich qui permit à Adams de s’affranchir du sérialisme mode d’écriture développé surtout en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale , avec des partitions célébrant la répétition tels Phrygian gates pour piano (1977) et Shaker loops pour septuor à cordes (1977). Pour cette dernière, le compositeur reprend l’idée reichienne d’une musique créée à partir de brèves cellules mélodiques ou rythmiques multipliées à l’infini (« loops ») contrebalancée par la danse frénétique et spirituelle de la communauté religieuse des Shakers : « Il s’agit partiellement d’un jeu de mots sur le verbe musical anglais « to shake » qui signifie soit faire un trémolo avec l’archet sur les cordes, soit faire des trilles rapidement d’une note sur l’autre. Mais avec ce jeu de mots, j’évoquais également des souvenirs de ma propre enfance : j’ai été élevé pas très loin d’une colonie de la secte des Shakers, aujourd’hui disparue, près de Canterbury, dans le New Hampshire.«
A partir des années 80, combinant la rugosité du minimalisme à un lyrisme racé, Adams compose trois partitions majeures Grand pianola music (1982), Harmonielehre (1985) et Fearful symmetries (1988) , qui intègrent l’éclat orchestral de Stravinsky et le brio de Bernstein. Adams se défend d’avoir voulu « épater le bourgeois » dans Grand pianola en « écrasant les uns contre les autres » certains clichés musicaux : « Pianola a commencé par l’image d’un rêve : j’étais sur une autoroute, suivi par deux longues limousines noires et brillantes. Arrivés à ma hauteur, ces véhicules se transformaient en deux pianos, les deux Steinway les plus longs du monde… entre sept et dix mètres de long peut-être. Fonçant sur l’autoroute, ils lançaient des salves d’arpèges en si bémol et mi dièse majeur. Je me suis revu en train de traverser les couloirs du conservatoire de San Francisco, du temps où j’enseignais, cette cacophonie de vingt pianos jouant Chopin… » Un autre rêve est à la base d’Harmonielehre, celui d’un gigantesque pétrolier surgissant dans la baie de San Francisco et semblant s’élever comme une fusée dans le ciel : l’orchestre d’Adams s’y déploie avec majesté, sur des rythmes complexes et d’amples mélodies, comme dans la dernière section somptueux miroitement sonore où le compositeur imagine sa fille Quakie portée sur les épaules du grand mystique du Moyen Age, Maître Eckhardt, « flottant dans l’espace, tandis que l’enfant lui murmure à l’oreille le secret de la grâce ». Grisé par un rythme populaire, Fearful symmetries se révèle d’un dynamisme flamboyant, renforcé par l’exubérance jazzistique des vents.
La réalité historique immédiate suggère au compositeur, en collaboration avec la librettiste Alice Goodman et le metteur en scène Peter Sellars, deux opéras ancrés dans l’actualité : Nixon in China (1987) et The Death of Klinghoffer (1991). Le premier évoque, non sans humour, la rencontre historique du libéralisme américain et du communisme, personnifiés par Nixon et Mao. Pour le second, Adams prend modèle à la fois sur les Passions de Bach et les ouvrages lyriques de Kurt Weill (notamment Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny et Les Sept péchés capitaux) pour introduire en contrepoint du récit dramatique un choeur hérité de la tragédie grecque qui souligne et commente l’action. Prenant pour thème le détournement par des terroristes palestiniens du bateau Achille Lauro en 1985 et le meurtre d’un passager juif américain, Adams évoque sur le mode de la tragédie le conflit arabo-juif et les guerres économiques auxquelles se livrent les Etats. Ecrit la même année, son diptyque symphonique El Dorado témoigne d’un souci écologique : pour preuve, le rythme menaçant du premier volet intitulé A Dream of gold allusion à la découverte du Nouveau Monde par les Espagnols et l’oppression des Indiens , culminant « treize minutes plus tard dans un vaste et brutal crescendo, qui se consume à la façon d’une réaction en chaîne, comme le Boléro de Ravel, mais sans la séduction ».
Loin des querelles esthétiques parisiennes, René Bosc chef montpelliérain de l’Ensemble Diagonales qui, l’an passé, dirigeait déjà lors de ce même Festival de Montpellier des oeuvres d’Américains (Michael Torke, Steve Reich et Frank Zappa) et qui avait assuré la création française de Lollapalooza d’Adams consacre cette année un concert entier à John Adams. Son choix est plutôt judicieux avec la reprise d’une oeuvre phare de 1992, la Symphonie de chambre, croisement halluciné du bruissement sonore des dessins animés américains des années 50 avec la roborative Première symphonie de chambre de Schoenberg, dont elle reprend l’effectif, plus un synthétiseur, une batterie, une trompette et un trombone. Cette course effrénée et acrobatique culmine dans le fulgurant troisième mouvement intitulé Roadrunner, cette bestiole qu’on voit courir au bord des routes de l’Ouest le célèbre Bip-Bip du dessin animé. Jacques Prat (violon) et Dominique Taouss (piano) assurent la création française de Road movies (1995), une partition grand écran « à l’image des paysages qui défilent lorsqu’on roule sur l’autoroute. Ce pourrait être la Californie, le Nevada ou tout autre lieu. » , d’une virtuosité extrême, en particulier dans le chaos bringuebalant du premier mouvement et le deuxième mouvement « 40 % swing » ! Son troisième ouvrage lyrique, I was looking at the ceiling and then I saw the sky (1995), est autant inspiré par la scène de Broadway et les comédies de Weill que par les « concepts-albums » rock de la fin des années 60, « en particulier Abbey Road des Beatles. Il n’y a pas réellement de plan, mais les chansons possèdent une unité harmonique et de discrètes allusions installent peu à peu l’histoire. Deux autres disques de Bob Dylan, Blonde on blonde et John Wesley Harding, sont conçus à l’identique : ils créent une atmosphère, sans histoire précise. D’ailleurs, sur scène, j’utilise l’équivalent d’un groupe de rock. » A Montpellier, le choix qu’a opéré René Bosc parmi les vingt-deux chansons de I was… a été approuvé par le compositeur content d’avoir trouvé un interprète qui possède « l’esprit de ma musique : virtuose, sauvage, précis avec humour et intelligence ». Adams a enfin trouvé une famille en France.
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