Avec un premier album d’electro sensible, mélangeant habilement songwriting et audaces de production, le Londonien Ghost Culture est l’un des grands plaisirs de l’hiver. Rencontre, critique et écoute.
Au sein du label londonien Phantasy, le patron a montré le bon exemple, en signant aussi bien la techno robotique de Daniel Avery que la pop fugitive de Connan Mockasin. Mais pour Erol Alkan, mélanger ainsi songwriting pur et electro raide a toujours été une seconde nature, inaugurée dès 1993 lors de DJ-sets qui enchaînaient dans la liesse Pastels et Underground Resistance, Blur et Orbital.
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Mais de toutes ses trouvailles, sa dernière signature Ghost Culture est sans doute celle qui réussit le mieux à concilier une écriture pop mélancolique et des dérivés nonchalants de techno ou de house, sans la moindre trace de couture, sans cette impression de placage que réservent souvent les remixes electro de tubes pop.
Virtuose made in London
Ghost Culture est ainsi un pur produit du club – et des clubs londoniens en général. Le jeune homme, James Greenwood dans le civil, se souvient, à 17 ans, avoir fait le mur de sa banlieue pour se frotter aux frissons de la nuit londonienne, suivant même au gré des soirées son futur patron Erol Alkan.
“En plein milieu d’un set electro, il balançait une chanson de T-Rex, ça nous rendait fous. A l’époque, je n’imaginais même pas lui parler un jour, ou même contacter un label. Je ne faisais même pas vraiment de musique.”
James Greenwood est un gros menteur. Avant de devenir Ghost Culture, il a longtemps joué de la musique. Du saxophone et de la clarinette. Virtuose dès ses 8 ans.
“J’étais obsédé par des gens comme Miles Davis ou Lee Morgan. Souvent, je lis des interviews d’artistes de mon âge qui racontent avoir vécu une expérience déterminante en découvrant Nirvana. Moi, ça a été John Coltrane.”
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Le chant berlinois
Viendra ensuite la révélation d’une pop à la fois électronique et sensible, découverte dans les aventures berlinoises de Bowie, puis dans les albums de New Order et Depeche Mode, “deux groupes transcendants”. Comme chez eux, une robotique implacable est ici dominée par une humanité fragile, incarnée par des mélodies aux douces mélancolies et surtout un chant plaintif, faussement plat mais omniprésent.
“C’était un principe : composer des chansons et pas des tracks. Je connais les limites de ma voix, mais chanter est devenu un plaisir, un besoin… Je n’oublierai jamais cette auto-interview de David Byrne où il pose cette question : ‘Pourquoi continues-tu à chanter, alors que ta voix n’est pas à la hauteur ?’ ‘Parce que si je chantais bien, tu ne me croirais pas !’ J’aime ce mélange entre un coeur fragile et la robotique des machines. Je déteste cette tendance des musiques électroniques à tout nettoyer, polir, perfectionner… Mon album, c’est une réaction à ces musiques cliniques, corrigées jusqu’à ne plus être humaines.”
Et de Glass à Giudecca, le Londonien réussit là quelques ententes cordiales entre un chant de crooner esquinté (il vénère également Nick Drake ou Elliott Smith) et des machines qui dévient, détournent cette musique sans collier. Car sans cette rigueur métronomique des machines, elle aurait pu s’effilocher en un genre de folk de science-fiction – le magnifique Glaciers, slow perturbé de cordes sensibles, donne une indication de voies à explorer –, mais aurait alors perdu au change.
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Entre guitare sèche et machines
Car Ghost Culture fait partie de ces artistes qui composent de manière traditionnelle et se remixent dans le même élan, avec un naturel qui fait les grandes chansons electro-pop – on est ici à la hauteur du légendaire remix par Todd Terry du Missing d’Everything But The Girl par exemple. On imagine d’ailleurs fort bien la musique de Ghost Culture jouée à la guitare sèche, débarrassée de tout habillage électronique. L’idée le fait sourire.
“A vrai dire, je compose tout à la guitare sèche à la base. Mais en même temps que je compose sur cet instrument, dans ma tête, j’entends déjà la chanson finale, avec les beats, les séquences, les arrangements… Tout me vient d’un bloc. C’est pour ça que je ne peux jamais me relâcher : ça peut me tomber dessus à tout moment. Et là, il me faut un instrument ou un ordinateur sous la main.”
Il réfute pourtant tout statut de maniaque du studio, de démiurge incapable d’abandonner ses machines. “Comme il n’y a aucun restaurant autour de mon studio, c’est la faim qui me force à le quitter. Je rentre chez moi cuisiner un truc et une fois rassasié, je n’ai plus envie de sortir.”
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