En tournée en France cette semaine, les Belges de Ghinzu y propageront l’énormité, la puissance sonique et les acrobaties dangereuses de leur récent album, Mirror Mirror. À Bruxelles, rencontre bouillonnante avec leur chanteur, John Stargasm.
Comment votre son a évolué, jusqu’à gagner cette puissance ?
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Sur un album, il y a d’abord les compositions, puis les paroles, puis la production. Sur les deux premiers albums, ça m’a beaucoup frustré, nous n’avons pas été à la hauteur sur la production. L’intensité du live n’était jamais traduite en studio. Le son restait naïf, maladroit – ça tuait même parfois l’esprit originel de la chanson. C’est la première chose qu’on a demandée au producteur Nick Terry (Klaxons, Libertines…) quand nous avons débarqué à Londres : traduis en studio cette émotion, cette dynamique. Il nous a traînés dans un concert et m’a demandé : “Qu’est-ce que tu entends ?” “Des vibrations.” “Bon, on va donc commencer par un mix où on va exagérer la batterie et la basse et tout construire autour de ça.” Et huit jours plus tard, on avait à peine fini deux morceaux (rires)…
Avez-vous changé vos méthodes pour ce nouvel album ?
Sur ce troisième album, on a passé énormément de temps en amont, des années, chaque chanson a son histoire. Ça a été un jeu sans fin : faire et défaire. Qu’est-ce qu’on s’en fout d’écrire, d’enregistrer et de mixer une chanson en une journée ? La manière a compté plus que tout. Certains morceaux ont trois textes différents et un nombre incalculable de versions… Et pourtant, même avec ces centaines de pistes enregistrées, nous savions toujours où nous en étions. Ceci dit, malgré les mois, voire les années, passés sur ces chansons, j’ai encore envie de changer des trucs… Pour The End Of The World, il a fallu trancher parmi trente intros… C’est déjà un monstre, cet album : alors imagine ce que c’était quand nous avons dû passer de quarante à douze titres… Savoir qu’il y a un choix, une alternative, c’est grisant. Si ça ne tenait qu’à moi, j’y serais sans doute encore, à trifouiller les centaines de pistes. Pour mesurer l’ampleur du drame de Ghinzu, il faudrait aller chez Greg, notre guitariste. Pendant l’enregistrement, il avait fait en sorte que toutes les prises qui passaient par la control room soit déviées aussi dans une pièce à lui, dans laquelle il pouvait rajouter des sons, après coup ou en live… Quand il est venu nous voir dans notre studio, le producteur Dimitri Tikovoi est parti en courant, il est devenu fou quand il a vu comment s’était organisé…
C’est quoi, ce studio sur la pochette ?
Là où on répétait, on vient de s’en faire virer après trois ans… C’est dans un immeuble administratif, des bureaux très cliniques, éclairés au néon… On n’arrivait pas à trouver d’autre local et pour les louer, nous nous sommes fait passer pour une société, totalement fictive. Et là, nous avons installé tout notre matériel pendant un week-end, pour ne pas être repérés. Ensuite, on ne commençait qu’à 19h, quand les autres bureaux fermaient. Un putain de studio de répétition pirate (rires)… Les bureaux à côté de nous, c’était Mecalux, des mecs qui vendent des rangements métalliques pour les entrepôts. Ils nous aimaient pas du tout, ils nous regardaient de haut.
Vous apparaissez aujourd’hui à visage découvert. Vous ne portez plus ni masques, ni perruques afros…
Nous sommes plutôt des déconneurs. Il suffit qu’en arrivant dans un studio télé, on découvre un stock de perruques ou des masques de singes pour aussitôt les porter. C’est juste un gimmick. Le problème, c’est quand ça devient une image : notre maison de disques, en France, voulait qu’on continue les perruques, trouvait que ça nous représentait, nous identifiait. On a donc joué le jeu, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’une perruque, ça finit par puer, par donner chaud. Il y en avait une tellement sale qu’on l’appelait “le scalp du fumeur de crack”, d’autres ressemblaient à des poils de yack séchés (rires)… C’est devenu ridicule à la fin. Mais on trouvera d’autres façons de brouiller les cartes.
Encore ta schizophrénie ?
Je n’ai aucun problème à dire qu’il y a un autre personnage sur scène. Le problème, c’est de savoir qui est sur scène, qui est dans la vie, qui est en train de donner cette interview. Lequel des deux se sent mieux ? Dans chaque parole, il y a cette volonté de s’évader, par un personnage, vers le fantastique. La chose la plus importante, quand on va voir un concert, c’est que tu sois transporté, que tu te retrouves autre part. Pour moi aussi, c’est peut-être une façon de m’évader du quotidien, de l’ennui. Ou alors : une manière de revenir à des choses que l’on n’a pas l’occasion de visiter en profondeur parce que tu es prisonnier d’un quotidien. C’est clairement à la frontière de l’entertainment et du moi profond. Sur scène, je cherche aussi bien à jouer les chansons au mieux qu’à me réfugier dans un univers parallèle.
Tu as créé ce personnage, John Stargasm, qui est chanteur de Ghinzu. Mais qu’est devenu le nom sur ton passeport.
Le nom, c’est John Israël, voire John-David Israël… C’est comme ça que m’appelle le facteur ou les policiers quand ils m’arrêtent… Mais je ne suis pas attaché à mon nom. Mon esprit est gouverné par une multitude de personnes, je me métamorphose de manière successive en différents rôles. Il y a moi quand je bois, moi quand je ne bois pas, moi quand je suis sur scène, moi quand je raconte une histoire à ma fille, moi quand je fais l’amour… Tous ces personnages sont extrêmement différents les uns des autres. Quand je rentre de tournée, par exemple, je passe deux nuits à l’hôtel avant de rentrer à la maison, pour me réajuster. Et là, je n’aurai aucun problème pour sortir les poubelles. C’est bien, de malaxer son ego, sa personnalité. J’assume ma schizophrénie à 100%.
Album Mirror Mirror (Atmosphériques/Barclay)
Concert Paris, 3 avril (Bataclan, complet. Zénith le 23/10) + tournée en France (Printemps de Bourges le 25/04)
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