En tournée en France cette semaine, les Belges de Ghinzu y propageront l’énormité, la puissance sonique et les acrobaties dangereuses de leur récent album, Mirror Mirror. À Bruxelles, rencontre bouillonnante avec leur chanteur, John Stargasm.
Interview avec John Stargasm, Bruxelles
Retrouvez la chronique de Mirror, Mirror à cette adresse.
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Le rock, ça t’a pris à quel âge ?
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Ça fait vingt ans que je joue dans des groupes de rock… J’avais alors 15 ans : j’ai donc passé plus de temps dans ma vie à être musicien que non-musicien… Je n’ai que de bons souvenirs de mes premières expériences en groupe de rock. On était mioche, on faisait le mur pour aller voir les Cramps à Cologne, c’était toute une affaire pour trouver un copain avec le permis… Ce qui m’a donné envie de jouer du rock, c’était le côté dangereux de ces concerts, du public : des garçons vraiment méchants, avec des sales gueules, dans une esthétique assez hallucinante. Avant même que le groupe arrive sur scène, il y avait de la crainte, de la peur, de l’électricité. C’était une expérience ultime pour moi. Aujourd’hui, les concerts ressemblent à des défilés de mode. Avec cette bande, on a monté notre premier groupe, Las Vegas Parano, la traduction française de Fear & Loathing in Las Vegas de Hunter Thompson. Notre premier concert a eu lieu dans le salon chez ma mère et on a décidé de sacrifier un poulet, à la John Cale. On avait beau avoir l’air le plus méchant possible, on s’est tous dégonflé, on a gardé un poulet vivant (rires)… Un fiasco complet.
C’était quoi, l’ambition ?
Visiter notre pays, de café en café, de club en club. Vivre des expériences absurdes sur la route. Après, tout s’est passé étape par étape : tenter d’écrire un album, tenter de l’enregistrer… Et du coup, comme il y a toujours un but, il n’y a jamais eu de lassitude. Le rock, pour moi, ça reste strictement associé au plaisir, jamais à la contrainte. Je ne peux pas lui en vouloir : il ne m’a jamais empêché de fonder une famille, d’avoir deux filles que j’adore, de suivre des études, d’avoir un métier qui me plait beaucoup…
Tes parents se sont-ils rendu compte que tu faisais le mur pour aller aux concerts ?
Mon père était derrière moi mais aussi très exigeant de toute initiative. “Je suis d’accord pour que tu fasses du rock, mais j’attends de toi que tu donnes le meilleur pour le faire bien…” Mon père était économiste, je ne pouvais pas le tromper sur les chiffres : il voyait très bien que dans le planning d’un musicien de rock, il y avait suffisamment de trous pour caler des études (rires)… Je me suis donc retrouvé à faire des longues études basées sur le crédit, les systèmes bancaires, l’économie, le business… Elles ne m’ont jamais empêché de faire de la musique.
Pourquoi la finance ?
[attachment id=298]Par déformation familiale, mon père était professeur d’économie, avant de devenir financier… J’ai bien connu, en tant que spectateur, le monde de la finance. La crise du crédit a été passionnante à observer pour moi, je connais ses acteurs, on en a fait cette chanson : Dream Maker. L’histoire d’un génie qui demande : “quel vœu veux-tu que j’exauce ? Tu veux être empereur dans les temps anciens et vivre dans une orgie infinie ? Tu veux l’âme de l’Indien le plus brave ?” Et au fur et à mesure, le personnage dit “oui, oui, je veux” et il devient un junkie de vœux, il en veut toujours plus. Mais on finit par lui dire qu’il n’y a plus de vœux et qu’il va devoir les rendre. Mes paroles viennent toujours de choses très réelles, mais virent au fantastique.
Tu mènes, en marge de Ghinzu, une carrière florissante dans la publicité.
Je m’occupe de ma société de communication, Satisfaction, où je gère la création de campagnes de pub. Je le dis alors que je sais que vis-à-vis de certaines personnes, je me discrédite. Mais ça fait des années que je mène une double, voire une triple ou quadruple vie… Ça a toujours été comme ça, et c’est exaltant. C’est très enrichissant, un remède parfait contre l’ennui, ça pousse à donner le meilleur de soi. La vie est trop courte pour ne pas en avoir plusieurs. Mais bon, en Europe, dans la “culture”, on a encore beaucoup besoin d’authenticité, c’est mal vu de mélanger les genres. L’artiste doit être déchiré, il faut du Rimbaud. Alors qu’aux Etats-Unis, la manière dont on l’emballe fait partie du groupe : regarde ZZ Top, ils l’avaient compris il y a plus de vingt ans alors qu’en Europe, on ne commence à en parler qu’aujourd’hui — et du bout des lèvres. C’est le débat Warhol contre Baudelaire. Et comme si mes paradoxes ne suffisaient pas, nous sommes en Belgique… Un pays où quand tu as 15 ans et que tu vois les Cramps ou les clips hollywoodien à la télé, tu ne te rends pas compte du fossé qui sépare ta situation de la leur… Il n’y a pas cinq groupes de rock en Belgique qui vivent de leur musique. Il n’y a pas la culture de la musique, pas l’industrie, pas de directeurs artistiques… Tu as affaire à des gens qui imitent, qui importent une culture extérieure pour se nourrir. On imite donc ses idoles, en portant les mêmes vêtements. C’est pour ça que les premiers albums d’ici sont mutants, car il n’y a pas de garde-fous, pas de modèles auxquels se raccrocher – juste un mélange entre ce qu’on est et ce qu’on rêve d’être.
Si tu dois un jour choisir entre ta musique et ton agence ?
Je choisirai toujours ma famille. Mais ça ne m’empêche pas de tout faire à fond, de bosser dur, de donner le meilleur de moi-même. Avec Ghinzu, nous avons bien compris que nous ne passerions pas à la télé : nous avons dépassé ce stade primaire où l’on fait de la musique pour être dans le clip, avec des filles, autour de la piscine… C’est souvent le seul but d’un jeune groupe : ils n’ont rien d’autre en commun, pas même des rêves, des ambitions. Ce simple fait de ne pas savoir, de ne même pas être d’accord à quatre, c’est déjà très pénalisant… Alors en Belgique, sans rien comprendre à l’environnement dans lequel tu es censé évoluer. C’est comme si tu rêvais de devenir rédacteur en chef de Rolling Stone aux Etats-Unis et que tu ne parlais pas anglais… Je ne dis pas qu’un groupe ait besoin de briefings, d’un plan de vol, mais déjà une idée commune, une ambition, du travail, ça serait bien.
Qu’est-ce qui empêche, dans ces conditions, les groupes belges de déprimer ?
L’autodérision, un trait fort du caractère belge. On sait que nous sommes un petit marché, avec une médiocrité ambiante qu’on a appris à apprivoiser. On est loin des discours huilés des groupes anglais, des leçons sur le patrimoine et l’excellence des artistes français : on sait qu’il fait mauvais, qu’on s’engueule avec les Flamands, qu’on est enlisés dans des petits conflits communautaires et en même temps, on est fiers et ravis d’êtres Belges. Après, quand on est devant sa guitare ou sa feuille de papier, on ne peut plus être dans la dérision : on le fait de manière la plus entière possible. Là, je suis sérieux.
Pour toi, quand ces rêves et ambitions de musique ont-ils pris forme ?
Longtemps, je n’ai été là que pour le fun, voyager, rencontrer des gens… C’était une façon de m’évader de la même salle de classes, des mêmes profs, des mêmes élèves… C’était ma clé pour l’indépendance. Je n’ai commencé à me poser des questions qu’avec le second album de Ghinzu, Blow (2005). J’ai été très lent à la détente (rires)…
dEUS a été un groupe important pour l’émancipation d’une scène belge ?
C’est un groupe qui donne envie, qui crée un précédent : si eux l’ont fait, nous on peut le faire. On est forcément complexés par la taille du marché. Alors quand dEUS arrive, signe en Angleterre sur un gros label, ça ouvre les portes, ça révèle des possibles. Après, toutes ces histoires de groupes wallons ou flamands, ça ne veut rien dire : nous sommes de Bruxelles, autant flamands que wallons… Dans ma vie, j’ai passé plus de temps à Knokke-le-Zoute qu’à Herve – et les deux, pourtant, c’est MON pays. Il n’y a pas de scène wallonne, car il n’y a rien en commun entre des groupes comme Sharko – qui vit à Lille – et Girls in Hawaï de Bruxelles… S’il y a solidarité, elle est entre tous les groupes belges. Elle se manifeste vraiment quand on se croise sur des festivals à l’étranger… Avec Ghinzu, on est aussi bien potes avec Montevideo que Das Pop… À Londres, il y a vraiment des scènes : tu lances l’idée de psycho-trash-électro et soudain, tu as deux cent cinquante groupes dans cette mouvance. Quand j’écris ou quand je joue, il n’y a plus de frontières, je ne suis plus belge même, on jouera pareil en France, aux Etats-Unis, en Italie…
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