Avec son quatrième album, le jeune Allemand a mis la pédale douce sur ses penchants pour l’emphase. « Love » reste toutefois une sacrée épreuve pour les cœurs sensibles.
Depuis le XIXe siècle, depuis Beethoven, Schumann ou Brahms, le romantisme allemand a pris, il faut bien le reconnaître, un sacré coup de pompe dans le violon. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’âme allemande, réduite à sa caricature autoritaire et forcément martiale, n’a imprimé en mémoire quasiment que des souvenirs de musiques anguleuses, insurrectionnelles ou glaciales, laissant peu d’espace pour les sentiments. Même (surtout) le rock ou la pop germaniques n’ont jamais rendu à ces glorieux ancêtres échevelés la politesse de leur beau désespoir.
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Aussi, depuis la fin des années 2000, Konstantin Gropper apparaît, derrière le masque de Get Well Soon, comme une exception chérissable, lui qui a réussi à faire en sorte que Rammstein ou la techno minimale ne soient pas les seuls produits d’exportation musicale dont puisse se féliciter la Chancellerie. Alors que paraît le quatrième album de sa formation fantôme, Gropper est catégorique :
“Oui, je suis un romantique, dit-il. Dès l’origine de ce projet, dès le choix de ce nom (“prompt rétablissement” – ndlr), il y avait cette propension au romantisme qui a toujours guidé mes choix. La musique dépourvue d’émotion ne m’attire pas. On peut coller plein de choses derrière le mot ‘romantisme’, mais pour moi c’est avant tout un état émotionnel que j’essaie de traduire en musique.”
Un Werther moderne
Alors, après avoir tourné longtemps autour du sujet, Konstantin s’est résolu à y plonger tête la première en intitulant le nouvel album Love.
“J’ai su dès les premières notes composées pour ce disque que l’amour en serait le sujet central. Il fallait bien que je me rattrape, après un précédent album où il n’était question que de fin du monde, de choses très sombres qui me traversaient l’esprit à l’époque.”
On n’en saura pas plus sur les tourments de ce jeune Werther moderne, mais on sait en revanche qu’à seulement 33 ans la palette des sentiments qu’il a déjà mis en musique constitue l’un des grands trésors de la pop contemporaine.
Depuis 2008 et son déjà impressionnant manifeste introductif (Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon), on a pris goût aux traversées tempétueuses dans lesquelles nous embarque ce songwriter grand luxe, solidement harnaché à sa formation classique (violoncelle, piano, orchestrations) mais qui aura dérivé, parce qu’il était de son propre aveu “trop paresseux”, vers les continents de la pop enflammée à la Divine Comedy et du folk lyrique façon Beirut.
Avec les lumineux et exaltés Vexations (2010) et The Scarlet Beast O’Seven Heads (2012), Gropper a mené sa frégate fabuleuse jusqu’à une forme d’absolue perfection qui pouvait laisser craindre une baisse de régime. Alors, pour calmer ses ardeurs, il a décliné sur quatre ep, sortis en 2014, toute la palette de son savoir-faire, allant jusqu’à consacrer l’un d’entre eux à des reprises surprises, de Careless Whisper (George Michael) à Rocket Man (Elton John) en passant par Always the Sun (The Stranglers).
“J’ai découvert assez tardivement la pop. Ma principale source d’inspiration, jusqu’à présent, avait été le classique et les musiques de films. Pour l’écriture de Love, je me suis plongé dans la pop des années 70 et 80, j’ai écouté Tom Petty, Fleetwood Mac, les Pet Shop Boys, autant de choses pour lesquelles j’avais montré, à tort, une forme de dédain.”
Le piano et la guitare comme seuls guides
Plus sobre et direct que les précédents, Love ne sonne pourtant pas comme un album pour routiers yankees, ni comme un pastiche de l’electro-pop eighties, mais comme du Get Well Soon qui aurait subi une légère cure d’amaigrissement et découvert les vertus de la modestie. L’écriture est toujours aussi subtile, complexe, mais sans artifices frimeurs, et l’enveloppe évite tout débordement qui aurait pu engloutir la fragilité du sujet.
“Auparavant, les arrangements, la mise en scène, c’était la première de mes préoccupations, et je composais en pensant d’abord aux orchestrations. Cette fois, j’en suis revenu au piano et à la guitare comme seuls guides. Les arrangements sont apparus dans un second temps.”
Celui qui avoue que Nirvana l’a détourné de ses études classiques – “même si ça ne s’entend sans doute pas dans ma musique” – demeure un orfèvre distingué pour lequel une simple ballade prend vite la tournure d’une symphonie de poche. Les grandes performance de l’album ont trait aux modulations de sa voix, haut perchée sur le tubesque It’s a Catalogue et ses chœurs en canon, plus ourlée et capiteuse sur It’s Love, où il chante presque comme Mark Lanegan, Gropper s’amusant même à taquiner Morrissey sur son terrain (Eulogy, I’m Painted Money), sortant pour l’occasion des guitares effervescentes (Marienbad) rarement invitées sur ses autres disques.
Il se trouve qu’en enregistrant Love Bowie était pour Konstantin l’un des principaux points d’ancrage, ce qui se devine d’ailleurs en filigrane de chaque chanson.
“Il est l’une de mes deux plus grosses idoles de toute l’histoire de la culture, l’autre étant Stanley Kubrick. Pour des raisons identiques, car ce sont deux artistes qui se sont appropriés des genres déjà établis pour en devenir aussitôt les maîtres. Le troisième de mes héros se nomme Ennio Morricone, j’espère qu’il va vivre encore longtemps.”
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