De ses premières obsessions, le football et la batterie, Georgia a tiré un style percutant. Depuis sa chambre-studio londonienne, seule aux commandes, elle dévoile son tempérament de feu.
On a déjà croisé Georgia ces dernières années sans le savoir, alors qu’elle se contentait de jouer de la batterie pour d’autres artistes, de Kwes à Micachu & The Shapes, de Juce à Kate Tempest. Avant de s’emparer du premier rôle, Georgia a longtemps préféré rester dans l’ombre pour observer de loin, décortiquer, s’imprégner des sons qui la touchent, accumuler les idées jusqu’à ce que le besoin de les exprimer devienne insoutenable. L’effet Cocotte-Minute sera chez elle dévastateur.
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Ses premières vagues créatives inondent Come in, premier ep dévoilé discrètement l’an dernier sur Kaya Kaya Records, le petit label indépendant créé par son amie Cherish Kaya (Juce). Elle passe rapidement à la vitesse supérieure en début d’année en signant chez Domino, qui prouve à nouveau son flair indiscutable. Avec l’audacieux Move Systems, son premier single dans la cour des grands sorti fin mai, elle fait déferler sa créativité en écrasant tout sur son passage. Rythmes carabinés, basses menaçantes et énergie indomptable – l’avant-goût parfait de son premier album.
Dans le clip, elle montre deux visages. D’un côté, la batteuse androgyne en streetwear informe, planquée sous sa capuche, concentrée sur ses fûts. De l’autre, crinière au vent, la chanteuse extravertie qui assume tout, danse en ondulant à sa façon au milieu des allées d’un supermarché minable ou d’une salle de billard glauque, en minijupe sous sa parka malgré ses rondeurs, regard face caméra comme pour nous demander si ça nous pose un problème.
Un album inspiré par Londres
Assise à un café de St Pancras, elle sait mettre en veilleuse la panthère féroce pour redevenir au quotidien une jeune fille avenante, à la vivacité charmante, qui profite de notre rencontre pour venir accueillir le train de son frère. C’est à Londres qu’elle a fait ses études de musique, travaillé chez Rough Trade, joué dans les équipes de foot pour ados de Queens Park Rangers et Arsenal.
“Mon premier album est totalement inspiré par cette ville, par la vie que j’ai vécue ici jusqu’à présent. C’est un endroit multiculturel où on peut entendre dans chaque quartier des sons du monde entier. Quand M.I.A. a débarqué, les filles de ma génération ont poussé un soupir de soulagement : enfin une Londonienne qui s’adressait à nous. J’ai beaucoup de copines qui ont leur racines dans des pays étrangers et ça nous a tout de suite parlé.”
En plus de M.I.A., elle s’emballe pour d’autres fortes têtes féminines qui ont pour point commun leur inventivité : Missy Elliott, la batteuse Sheila E., ou encore Karin Dreijer Andersson de The Knife et Fever Ray dont elle admire le son à la fois propre et sale, lumineux et sombre. L’influence de ces héroïnes de choc rejaillit dans sa propre musique à différents niveaux.
Comprendre le songwriting traditionnel pour mieux le détourner
Enfermée dans sa chambre où se cache son propre studio, elle a écrit, produit et joué tout ce qu’on peut entendre sur son album éponyme. Le fait que son père soit Neil Barnes, du duo Leftfield, éclaire sa précocité et ses influences.
“Mon papa écoutait beaucoup de techno de Detroit, de la house de Chicago, des sons durs et très industriels. J’imagine que ça a un peu déteint sur moi. J’ai appris à écrire des chansons en étudiant d’abord les chansons d’autres artistes à la guitare : T. Rex, Bowie, Talking Heads, même Burt Bacharach et Sinatra! C’est comme ça que j’ai commencé à me familiariser avec les structures classiques de la pop, à instaurer une sorte de discipline.”
Comprendre le songwriting traditionnel pour mieux le détourner : un credo dont elle a fait sa spécialité. Armée de ces bases solides, Georgia prend la liberté de pulvériser les frontières entre les genres pour créer un hybride très personnel, entre electro savante, pop déviante et grime corrosif. Elle revient à sa conception de la batterie pour expliquer son tempérament :
“La plupart des bons batteurs sont de sacrées personnalités, avec une grande confiance en eux. Même s’ils sont tout au fond de la scène, j’ai l’impression qu’ils voudraient tous être devant. Ils savent que leur instrument peut voler la vedette, visuellement ou acoustiquement. Je vois beaucoup de points communs dans les rôles du chanteur et du batteur et à vrai dire je n’ai pas ressenti de changement radical quand je me suis lancée en solo.”
Sur la pochette conçue par M/M, elle pose au naturel, taches de rousseur apparentes et visage impassible. De ce portrait en noir et blanc transparaît une certaine vulnérabilité, des fissures dans la carapace. Son album comporte quelques accalmies mélancoliques et des paroles tourmentées où elle évoque notamment le divorce récent de ses parents. Cette émotion insoupçonnée la rend encore plus attachante.
album Georgia (Domino/Sony) concert le 21 septembre à Paris
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