Ex héraut de la première vague French touch, avec le duo The Micronauts, Georges Issakidis sort « Kareeza », son premier album, à 42 ans. Un grand disque à la beauté acide et psychédélique qui sonne déjà comme un classique de la musique électronique. Un projet que George a nourri de ses voyages et expériences. Rencontre.
Les trentenaires s’en souviennent : en 1998, un duo français The Micronauts sortait ce qui restera une des bombes de la première vague french touch, The Jag. Dans un supermarché ricain, Gregg Araki, qui réalise le clip, filme des jeunes très « Doom genération » déambuler et se mater entre les rayons. Très sollicité, le duo composé de Christophe Monnier et George Issakidis remixe alors à tour de bras pour Underworld, Death In Vegas ou Chemical Brothers. Les Daft s’emparent à leur tour de leur single Get Funky Get Down en 1995.
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Mais en 2000, le torchon brûle. Monnier continue seul l’aventure Micronauts. Issakis fonde de son côté un label, The Republic Of Desire, et s’immerge dans des sphères plus underground. Il lui faudra 15 ans pour enfin, à 42 ans, sortir sur le label KilltheDj son premier album Kareeza. Un album magnifique, habité, qui sonne d’emblée comme un classique et donne envie de jeter aux orties une bonne partie de la production electro contemporaine.
Spirituelle, sensuelle, profondément personnelle et originale, trippée, la musique d’Issakidis est comme une invitation au voyage. Intérieur, bouleversant, parfois aux limites de la santé mentale, mais toujours d’une honnêteté et d’une justesse incomparable. On rencontre George au café A, près de la gare de l’Est. Autour d’un thé vert, il revient sur la génèse de l’album, The Micronauts, les psychédéliques et la nécessité de se « déprogrammer » pour atteindre l’extase. Interview au thé vert, mais un poil trippée, à l’image du clip du premier extrait de son premier album que George à lui même réalisé et que l’on vous présente en exclu :
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour sortir ton premier album ?
George Issakidis – Je n’ai pas vraiment cette sensation. Pour moi, c’était le temps nécessaire. Je n’avais pas totalement disparu. J’ai sorti pas mal de singles, de remixes sur mon label The Republic of Desire. J’ai produit Midnight Mike aussi, qui chante sur un titre de mon disque. J’ai pris du temps pour moi et il m’a été nécessaire pour mettre en place des choses dans ma tête. J’ai beaucoup voyagé. J’ai une passion pour l’Inde et la tantra. J’ai passé pas mal de temps au pieds des Himalayas avec des gourous à faire des yogas très avancés tantriques. Je ne parle pas d’orgie sexuelles. La sexualité n’est qu’une partie de la tantra.
Je trouve que les voyages sont plus enrichissants que tout le reste. A partir du moment où on réalise qu’il n’y pas une façon de vivre, tout est ouvert. Les gens s’induisent beaucoup en erreur. Ils s’imaginent qu’il y a des chemins obligés, qu’il faut avoir fait ci ou ça à tel âge. Or, il y a des façons de faire multiples. Nos sociétés occidentales s’éloignent de choses acquises dans le passé et qui sont extrêmement enrichissantes. Je ressens un lavage de cerveau perpétuel par les médias, le monde de la communication.
Tu as la sensation que l’on s’éloigne beaucoup du désir, de ce que l’on désire vraiment ?
Totalement. Les gens prêtent très peu d’attention à eux mêmes. 99 % des gens sont des robots en chair et en os. Ils sont dans une programmation robotique qui commence très tôt chez l’enfant. Il y a une mauvaise imprégnation des circuits, avec la peur. C’est un grand travail d’arriver à casser tout ça pour parvenir à comme je dis « se dresser sur les deux pattes ». Le point de départ c’est d’accepter qu’il y a des choses qu’on ne contrôle pas. Dans la vie, il faut se rendre. C’est à ce moment-là qu’on peut vivre des extases exquises.
Quel souvenir tu gardes de tes années Micronauts ?
De très bon souvenirs. J’avais 27 ans à l’époque de The Jag. Christophe (Monnier) avait quelques années de plus. Je suis très fier de ce qu’on a fait. Puis ça s’est arrêté net entre nous. C’était une autre époque. On te proposait de faire des remixes pour Morcheeba par exemple pour 150 000 francs. Un mauvais disque se vendait à 15 000 exemplaires. Aujourd’hui, avec ça, tu es disque d’or !
Le disque est une des premières industries a avoir été avalée par les algorithmes. Mais ce n’est pas la dernière. Je pense que le monde dans quinze prochaines années va devenir totalement différent. Je pense que la notion de travail va disparaître, que tout va être automatisé. Je pense que la Chine c’est fini dans 5 ans, que les imprimantes 3D vont tout révolutionner. Je suis très curieux de voir comment tout va se réorganiser.
T’es-tu intéressé à la french touch 2.0 ?
J’ai suivi Ed Banger par le biais de Mickey Moonlight, qui est sur mon album, et de Zongamin que je trouve brillantissime.
Tu achètes toujours des disques ?
Oui. J’en reçois mais j’en achète toujours beaucoup. Ma chaîne hifi et les disques ont été mes deux grands postes de dépense. Même les fringues je m’en fous, je pourrais vivre en habit indien tout le temps. Je trouve ça beau en plus. Et ça enlève toute pensée et désir de distinction, de séparation par rapport aux autres. Moi je cherche le contraire : je veux m’approcher des gens. Je recherche l’inverse de tout ce qui participe à la construction de l’égo. As tu déjà vécu la mort de l’égo avec des psychédéliques ? Si tu prends de l’acide, c’est ce qui arrive momentanément. La cocaïne au contraire prend l’ego et le met sur piloti : Je suis Georges Issakidis, je suis musicien, bla bla.. Tu essayes de te vendre sans cesse. L’acide ou les champignons prennent ton ego et le vaporisent. Tu vois alors tout de manière extrêmement différente.
Ton disque s’apparente à un voyage intérieur. Tu emploies des sons très profonds, particuliers. Tu les as tous créés toi même ?
Oui. Je pense qu’on est arrivé à une saturation des sons pré-programmés. Quand je suis dans mon studio, à Bastille, au bout de quelques heures, j’entre dans une espèce de transe. La majorité du temps, j’enregistre mes morceaux live, en une seule prise. J’enregistre énormément de matière. Je suis dans un état alterné de conscience. Je ne me souviens même plus comment j’ai fait !
Tu y vas la journée, la nuit ?
Avant, je bossais la nuit. A présent je suis devenu très matinal. J’aime me réveiller tôt. Je m’assois en lotus, je médite. J’attends que mon mari se lève et apparaisse. A partir de là, la journée a bien commencé. (rires)
M/M a signé ta pochette. Ce sont des amis de longue date ?
Je les connais depuis 1993. Michael bossait pour Eden et les Inrocks. Ils ont fait toutes mes pochettes, sauf une que Jerome Mestre avait réalisé. Ils font partie intégrante de l’aventure Republic of Desire.
Tu es canadien. Ta famille, d’origine grecque, s’y est installée pour fuir le coup d’état militaire.
Mon père est sorti un matin et il est revenu immédiatemment. Il a dit a ma mère « il y a des tanks dans les rues ». Six mois plus tard ils étaient au Canada. Ils ont quitté le pays sans parler un mot d’anglais, avec mon frère de neuf ans. Moi je suis né au Canada. J’y suis resté jusqu’à mes 19 ans, âge où je suis venu à Paris. Je parlais très peu. J’ai appris le Français à la Sorbonne et sur l’oreiller, la meilleure école ! Je fantasmais sur paris, la culture. Je suis resté. J’adore Paris, je trouve la ville magnifique. J’aimerais juste que les Parisiens soient plus gentils… Je passe aussi pas mal de temps à Vancouver.
En DJ tu joues toujours a des tempos très lents, très sensuels.
J’adore ça.. Je trouve que les gens dansent différemment si tu joues lentement. Ça donne le temps de s’exprimer. Là, je réfléchis au live. Je ne veux pas faire un truc derrière un laptop. Le studio a été intense, il faut que je trouve une situation qui me permettre de retranscrire cette intensité. Mais comme pour l’album, je ne suis pas pressé.
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