La voix et la sagesse d’un folk-singer centenaire dans le corps d’un ado blondinet : en attendant la sortie de son premier album, nous avons accompagné George Ezra en train jusqu’à Budapest, la ville de ses fantasmes.
Rien de plus facile que de repérer George Ezra à l’intérieur de la gare de l’Est : il suffit de chercher un grand blond avec un étui à guitare, entouré d’un essaim d’une trentaine de personnes. Ce jour-là, on rejoint l’Ezra Express, vaste opération visant à emmener ce jeune songwriter de son fief de Bristol à Budapest. Pourquoi ce pèlerinage ? Pourquoi ce concept délicieusement désuet de voyage en train ? C’est en sillonnant l’Europe sur des rails pendant un mois que George Ezra a écrit la majorité de ses chansons, une expérience fondatrice qui suit les préceptes de ses héros troubadours – seul avec sa guitare acoustique et ses pensées, griffonnant sur des carnets à idées.
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« Bienvenue à bord de l’Ezra Express »
Depuis dix-huit mois, il interprète un morceau charmant intitulé Budapest sans jamais y avoir mis les pieds. Il fallait donc y remédier en organisant un périple original quoiqu’un brin démesuré, avec à chaque ville-étape un concert et de nouveaux arrivants (gagnants d’un concours, représentants du label et journalistes) qui viennent se greffer au groupe.
Après des escales à Londres, Bruxelles et Paris, il est l’heure de repartir. Avec une voix profonde qui contraste avec son visage enjoué, George Ezra nous accueille d’un “Bienvenue à bord” tonitruant. Derrière son nom flamboyant, l’Ezra Express est un simple TGV sans aucun lien de parenté avec la locomotive à vapeur du Poudlard Express, de l’Orient Express ou du Darjeeling Limited. C’est parti pour six heures de route direction Munich. Avant de faire plus ample connaissance, George Ezra commence par s’octroyer une sieste pour souffler un peu.
Depuis plus d’un an, il est en tournée permanente, souvent seul en train à parcourir la Grande-Bretagne dans toutes les diagonales imaginables pour assurer des premières parties, puis plus récemment des têtes d’affiche. A ses débuts, il a fait ses armes dans toutes les arrière-salles de pubs de Bristol. La saison des festivals qui approche ne va pas calmer la situation.
“Je ne me projette pas au-delà d’une semaine, nous confie-t-il, sinon ma tête va exploser.”
De l’angelot à l’ange déchu
A 21 h 30, arrivée à Munich. Sous une pluie battante, en hommage à son single lancinant Did You Hear the Rain?, on l’accompagne dans une ancienne centrale électrique, reconvertie en salle de concerts. Le public est installé sur des tapis ou des sièges futuristes en forme de bancs d’église – le volume de cette nef de béton lui donne un écho de cathédrale industrielle.
A peine arrivé, George Ezra entre en scène. L’angelot sociable et détendu qui a passé sa journée à déambuler en chaussettes dans le train se change en ange déchu. Une guitare sèche déglinguée qui va droit au but. La voix surpuissante d’un seigneur des ténèbres, nourrie par des cicatrices et des épreuves qu’il n’a souvent vécues que dans ses cauchemars. Des chansons tour à tour torturées et apaisantes, puisées aux sources du folk, du blues et de la soul.
Encore sonné par cette messe noire, on reprend la route dès le lendemain matin, direction Budapest. La durée du trajet aidant (sept heures et demie), on se prend à rêvasser : Woody Guthrie, Hank Williams, Johnny Cash et Bob Dylan réunis tous les quatre dans un train de marchandises brinquebalant à travers les Etats du Sud américain. Le projet Ezra Express est désormais riche d’une soixantaine de personnes, réunies dans une voiture entière. Sur le siège d’à côté, George Ezra nous raconte son parcours.
“Je viens de la région du Hertfordshire, au nord de Londres. J’ai grandi entouré de musique, avec une mère artiste et un père qui chante et joue de la guitare, mais ils ne m’ont jamais forcé à suivre cette direction. C’est peut-être pour ça que j’ai été attiré. Peu à peu, la musique est passée de l’arrière-plan au premier plan de ma vie. »
Storyteller débarqué d’un autre âge
Quand on lui demande par quelles étapes l’amoureux de musique est devenu musicien, il hausse les épaules et ricane : “A vrai dire, je ne me considère toujours pas comme un musicien, ni comme un guitariste. J’adore écrire des chansons et, si je joue, c’est seulement pour les accompagner. Je n’ai jamais cherché à améliorer ma technique. Elle s’est développée naturellement, à force de jouer. Je me vois plutôt comme un storyteller.” La dernière fois qu’on a croisé cette ambition d’un autre temps, c’était chez Jake Bugg, un autre surdoué du folk.
George Ezra ne fait pas son âge. Il vient tout juste d’avoir 21 ans, mais on lui en donnerait cinq de moins. A l’inverse, la force de sa voix et les tourments de ses textes semblent le vieillir de plusieurs décennies. A 13 ans, il se met à la basse et, un an plus tard, demande à son père de lui apprendre à jouer de la guitare. Il se met à chanter dans la foulée.
“Ça n’a pas été évident. En fait, j’ai vraiment commencé à chanter seul sur scène en arrivant à Bristol il y a trois ans. J’y ai suivi des études de songwriting avec des matières comme histoire de la pop-music, théorie musicale, structures de chansons…”
BBC Sound of 2014
Aussi passionnants que ces sujets paraissent, il arrête après douze mois ses trois années de formation grâce à un mot d’excuse de choc : un contrat chez Columbia. Cet hiver, il a été sélectionné dans la très select liste BBC Sound of 2014 qui parie sur les talents à venir (aux côtés de Jungle, Banks, FKA Twigs, Nick Mulvey…). Pendant le trajet, après s’être fait laminer aux dominos par des fans belges, il se promène avec un casque pour faire écouter son album en avant-première à tous ceux qui le lui demandent. La production étincelante, très orchestrée, offre un contraste saisissant avec les versions brutes qu’il interprète en concert.
“Bientôt, je jouerai avec un groupe. On est en train de répéter, dès qu’on a un peu de temps libre. C’est incroyable de ressentir cette puissance derrière moi. Les chansons sont complètement différentes, comme si elles en avaient besoin. Jouer seul avec ma guitare, ça a des limites. En studio, j’essaie de faire entrer en collision mon amour pour des musiques du passé et une volonté de rester ancré dans le présent, de mélanger un style ancien et un son contemporain, avec des paroles et des outils d’aujourd’hui.”
« Un voyage scolaire déglingué »
La joie est palpable quand il pose le pied à Budapest. Sa chanson du même nom, une merveille de pop frêle et lumineuse, rentre au bercail. Le lendemain après-midi, il la joue dans un écrin de verdure à deux pas du Danube. Quelques heures plus tard, on le retrouve au Hello Baby Bar, un palais du XIXe siècle dont la cour intérieure a été couverte. Une scène s’ouvre sur des balcons en fer forgé et des moulures décrépies, dans un décor irréel au glamour fané. Comme on peut le deviner, la foule fait un triomphe au morceau Budapest, que George Ezra se fait un plaisir de jouer une seconde fois en rappel, en prononçant le nom de la capitale avec l’accent hongrois.
“C’est comme si un voyage scolaire déglingué s’achevait, nous glisse-t-il le lendemain matin, à l’heure des adieux. Plus jeune, je participais à des pièces de théâtre et c’est ce même esprit de groupe que j’ai ressenti.” Le titre de son premier album, Wanted on Voyage (littéralement, “réquisitionné pour le voyage”), prend alors tout son sens. Ces trois mots sont traditionnellement inscrits sur l’étiquette des bagages que l’on souhaite conserver avec soi pendant un trajet. Cette fois, l’Anglais a emmené dans ses valises des gens venus de toute l’Europe et des rêves en pagaille, débordant de son baluchon.
Concert le 28 novembre à Paris (Gaîté Lyrique)
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