Passion fumante et beaux délires selon Gasiorowski.
A la mort de Gasiorowski, son ami Monory dit : « Merde alors, je ne vais plus pouvoir parler de peinture avec personne. » Le 19 août 1986, Gérard Gasiorowski, 56 ans, meurt vraiment. Cette fois, plus question de disparaître, de s’arrêter de peindre, de jouer à L’Artiste blessé (1975), de s’inventer des « représentants » puis de les supprimer ; de prendre le masque de l’Indien dans son atelier (1976) ou de se cacher dans sa barbe ; d’enduire de couleur des objets, de monter un mur pour tromper l’ennemi. Neuf ans après, la rétrospective du Centre Pompidou ne permet pas seulement de voir enfin se déployer, série par série, le combat-les amours de l’artiste avec la peinture. Des toiles précisionnistes noir sur blanc de L’Approche depuis 1965, des Croûtes contemporaines (1970-71), des Albertine disparue et des Aires (1973), jusqu’aux Ex-voto (1984) et Six Figures inintelligibles (1986). En même temps réapparaît ce personnage si doué, aussi « désespéré, d’une drôlerie stupéfiante » : Gasiorowski, fou de peinture et amant de Kiga l’Indienne, qu’il dénomme en façonnant son propre nom et qui « est peinture comme une source est source ». Du coup de chapeau (L’Académie Worosiskiga) jusqu’aux Jus et Tourtes composés de ses excréments, en passant par les Amalgames critiques et les Régressions, avant les agrestes Meuliens et la célébration de Cérémonies, d’un Hommage à Manet, l’artiste lui aura tout fait. Lui lancer des fleurs, la cultiver comme plante en pot (Les Fleurs/Les Pots de fleurs, 1973), lui déclarer La Guerre (1974) ou lui faire aveu d’Impuissances. Amour vache la peinture d’un boeuf s’intitule La Beauté (1971). Mais relation féconde sous couvert de vastes fictions, machines de guerre-machines à peindre, tout un arsenal au camouflage littéraire, assez de postures, de stratégies défensives pour protéger une passion délirante. L’amant de Peinture lui aura tout fait, jusqu’à supprimer l’article et ajouter une majuscule, manifester son intimité et La faire passer avant tout. A-t-il atteint son but après avoir reçu à Lascaux « cette pluie de peinture diffusée dans l’obscurité dérangée, et l’innocence », avec cette oeuvre ultime dont il parle juste avant décès : « Je suis dans le fleuve de la peinture et tout ce que je touche est emporté par ce courant. Fertilité montre ce qu’il en a toujours été de ma peinture : un devoir que je n’ai pas choisi, compulsif, celui de toujours tout recommencer, car c’est ma seule façon de continuer Peinture. » Mieux que « sa vie est un roman », dire : sa vie est Peinture.
C’est à vous monsieur Gasiorowski ! Centre Georges Pompidou. Catalogue, 278 pages, 200 F.
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Anne Bertrand
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