Pour sa 6e édition, le Garage MU Festival a concocté trois jours de concerts du 8 au 10 juillet à La Station – Gare des Mines (Porte d’Aubervilliers) avec notamment Arthur Satàn, Zohar, OKO DJ ou encore Tout Bleu. Rencontre avec le Collectif MU, aux manettes de l’événement et de La Station, et François, co-fondateur de Teenage Menopause, l’un des labels invités et ami de longue date.
Bien implantée dans le nord de Paris, La Station – Gare des Mines se transformera du 8 au 10 juillet en repaire d’anniversaires pour une triplette de labels et collectifs alternatifs adeptes des OVNI et groupes bizarroïdes. Durant trois jours, le Garage MU Festival célèbrera donc les dix ans de Teenage Menopause, le label franco-belge des lascars François et Elzo, de Knekelhuis, l’écurie de Mark Knekelhuis établie à Amsterdam et du Garage MU, le second lieu du Collectif MU, organisateur de l’événement qui tient également les rênes de La Station.
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Ce sera l’occasion de côtoyer ces dénicheurs au flair redoutable, creusant dans les terres fertiles de l’underground de France et de Navarre, et surtout de voir en live ce bon vieux Arthur Satàn, les Athéniens zinzins de Bazooka, le projet déjantée de Patricia Kokett, la pop de Tout Bleu ou encore Zohar, Spill Gold, The Pilotwings ou encore OKO DJ et Rio. Et comme on fait rarement les choses à moitié à La Station, un marché d’éditions et de labels indépendants, aka le Black Market, sera ouvert le samedi et dimanche.
Avant les festivités, on a réuni Éric Daviron et Valentin Toqué, membres du Collectif MU, programmateurs musique à La Station et organisateurs du Garage MU Festival, ainsi que François, co-fondateur du label Teenage Menopause. Ensemble, ils ont préparé la soirée d’ouverture du festival ce vendredi 8 juillet. Rencontre.
C’était un peu une évidence d’inviter Teenage Menopause pour cette 6e édition du Garage MU Festival ?
Valentin Toqué (Collectif MU) – Oui, quand même !
François (Teenage Menopause) – J’ai tellement gratté à leur porte, ça fait six éditions que j’essaie ! Ils ont été obligés de m’accepter cette fois-ci.
Éric Daviron (Collectif MU) – C’était assez évident car on se connaît depuis longtemps. On a fait des soirées ensemble à l’époque du Garage.
Valentin Toqué (Collectif MU) – Le Garage MU c’est le lieu historique du Collectif MU, situé à la Goutte d’Or. On a fait nos premiers concerts là-bas à partir de 2012. C’est ce qui a pré-figuré La Station qu’on a ouverte ici, à Porte d’Aubervilliers, en 2016.
Éric Daviron – D’ailleurs, Teenage Menopause était déjà présent à la première soirée qu’on a faite à La Station.
Valentin Toqué – Oui, on avait fait un week-end d’ouverture avec trois soirées dont certaines avec des groupes du label comme Ventre de Biche ou Scorpion Violente.
François – On a fait pas mal de soirées Anticlub avec vous aussi.
Valentin Toqué – Depuis 2017, on a l’autorisation d’ouvrir La Station la nuit. Notre programmation a donc évolué vers les musiques électroniques. Pour nos soirées Anticlub, on essaie de prendre le contrepied des soirées techno en mettant des groupes en live toute la nuit. Et, en effet, pour la première Anticlub, Teenage Menopause était déjà là.
Qu’est-ce qui relie le label Teenage Menopause au Collectif MU ?
F – Une esthétique musicale commune. Mais aussi des valeurs comme le décloisonnement et cette envie de brasser différents publics. Je parle au nom de Teenage Menopause mais on cherche à défricher et à flirter avec les frontières des genres musicaux. En France, on aime bien les étiquettes. Avec les gens du Collectif MU, on aime effriter toutes ces cloisons. Ça se voit très bien avec la programmation de cette 6e édition du Garage MU Festival. Sur la première soirée qu’on a préparée ensemble, on a ramené autant de groupes garage avec une formation instrumentale de type basse/guitare/batterie que de musiques électroniques au sens large. Chez Teenage, on va aussi vers le spectacle vivant avec des artistes comme Tsirihaka Harrivel. En ce moment, on produit un film autour de la musique de Ventre De Biche.
C’est ce côté transversal qui vous réunit.
F – Totalement. Récemment, La Station a produit le spectacle Ruine d’Erwan Larcher et a organisé la 4e édition du festival Ideal Trouble qui rassemble des groupes très visuels. On se retrouve là-dessus. On aime tous·tes sortir de notre zone de confort. Même si on apprend sur le tas depuis des années, on ne se cantonne jamais à nos savoirs-faire.
VT – Comme le Collectif MU a commencé les concerts en 2012 et que Teenage a été lancé en 2011, c’est intéressant de faire un parallèle entre nos évolutions en terme de son. À l’époque, au Garage MU, c’était très orienté cold wave. Mais depuis les débuts de La Station en 2016, on programme tellement de soirées en si peu temps qu’on est obligé de mélanger les genres. Il y a six ou sept ans, les familles musicales comme le rock et l’électro était très cloisonnées. Mais, de notre côté, on s’est rendu compte qu’on pouvait faire une soirée mêlant garage et cold wave puis finir en nuit électro. C’est super !
F – En effet, Teenage Menopause et le Collectif MU ont vraiment cette histoire commune. Avant Teenage, que j’ai fondé avec mon partenaire belge Elzo Durt, on organisait déjà des soirées où on revendiquait autant le garage que l’électro. Les rockeurs venaient secouer la tête sur de la techno.
Au sein du Collectif MU comme chez Teenage Menopause, comment faites-vous pour dénicher des groupes ?
F – Encore un point commun avec le Collectif MU et donc La Station : c’est l’urgence des choses. Quand on a monté le label, on découvrait un groupe le lundi, on allait les voir en concert le vendredi puis on enchaînait le mixe et le mastering et hop, trois mois après on avait les disques. Mais comment on les découvre ? En se cognant 200 concerts par an. Aujourd’hui, c’est un cercle vertueux. On entretient de longues collaborations avec certains groupe comme Prince Harry, Ventre de Biche ou Jessica93. On les accompagne sur plusieurs albums et on perçoit l’évolution de leurs musiques. Pour les découvertes actuelles, soit ce sont des trucs que je ponce depuis longtemps, soit ce sont des groupes qui sont dans les radars.
VT – C’est un peu pareil pour nous. À La Station, si tu prends les deux grandes familles musicales, c’est essentiellement rock et électro. Elles ne se côtoient pas forcément de base. Mais les ponts se font plutôt par communauté de gens. Les groupes dont François parlent, on les connaît tous·tes. Quand on a affaire à un nouveau projet, c’est souvent un mec ou une meuf de tel ou tel groupe qui nous est déjà familier. Sur le versant électronique, on s’entoure beaucoup de collectifs. Chacun a sa spécialité. Ici, on n’est pas dans le délire house. Peut-être un peu plus techno. Mais c’est surtout de la musique électronique déstructurée. La vraie pointure dans l’équipe c’est Mathilde Quéguiner qui s’occupe de la programmation de Station Électronique, notre festival électro qui aura lieu en septembre.
Cette année, vous avez concocté ensemble la première des trois soirées du Garage MU Festival. Pourquoi attirez-vous l’attention sur la scène d’Athènes avec notamment Bazooka, Rio et OKO DJ ?
F – On aurait aimé en faire plein d’autres ! Mais le prix des billets d’avion a vachement augmenté. Il y a une scène foisonnante à Athènes depuis plusieurs années. En garage, avec Acid Baby Jesus ou Bazooka. Mais il y a aussi une scène électronique de ouf avec le label Berceuse Héroïque ou la boutique Anthropia qui fait à la fois des musiques traditionnelles et des musiques électroniques. OKO DJ, qui est Parisienne de base, habite là-bas avec son mec, Louis, qui est dans Pilotwings, également à l’affiche ce vendredi soir.
VT – C’est ce qu’on te disait, tout le monde se connaît.
F – Pour Rio, il n’y avait pas eu de release party officielle à Paris. Leur nouvel album marche bien et ce sont de grands amis de La Station. Donc Teenage propose Rio qui invite Athènes à La Station pour le Garage MU Festival !
VT – C’est hyper alambiqué. Après on ajoute Deafkids parce qu’ils n’ont pas pu venir jouer à La Station à cause du Covid.
F – Et Arthur Satàn qui propose son album solo mais Arthur Satàn c’est la quatrième sortie de Teenage en 2012. C’était JC Satàn à l’époque. C’est trop cool de l’avoir pour cette soirée tant il est légitime dans le paysage. En plus, c’est un groupe de Born Bad Records, notre grand parrain à tous·tes.
Deafkids viennent spécialement du Brésil. Est-ce important pour vous de brasser une certaine diversité ?
VT – C’est cool d’avoir des groupes fidèles qui viennent régulièrement sur la scène de La Station et de soutenir la scène locale. Mais on apprécie aussi les groupes internationaux, dont on a été privé avec la crise sanitaire, qui n’ont pas encore joué ici. C’est le cas de Deafkids qui font du hardcore très vénère. Tu te rends compte qu’il y a des scènes alternatives dans tous les pays du monde.
Tout à l’heure, vous évoquiez Bord Bad Records comme un modèle. En quoi ce label vous inspire ?
F – Quand on a décidé de monter Teenage avec Elzo, un soir de déglingue, c’est parce qu’il y avait JB [le boss de Bord Bad Records, ndlr] qui sortait des disques à côté depuis quelques années. Elzo faisait des pochettes pour JB et on organisait déjà des petits concerts avec des groupes de Bord Bad comme Frustration ou Jack Of Heart, qui est d’ailleurs notre deuxième sortie chez Teenage. Elzo est illustrateur et moi je suis mécanicien donc on ne savait pas du tout comment sortir des disques. Je ne dis pas qu’aujourd’hui on fait ça bien mais, en tout cas, on a appris sur le tas. JB a toujours été là pour nous soutenir.
ED – JB a toujours été un exemple d’ouverture musicale. Au-delà du rock, il a des sorties intéressantes. Il a beaucoup contribué au décloisonnement dont on parlait tout à l’heure.
F – En France, on a de la chance d’avoir Born Bad Records. C’est une structure qui a allumé la lumière, qui a montré qu’il était possible de faire des choses à contre-courant et hors des limites des familles musicales. De prendre soin des groupes sans être à l’arrache. De faire des beaux disques, pas trop chers. Born Bad nous prouve qu’on peut revendiquer une place dans le paysage où on ne nous attend pas forcément.
Comme Born Bad, Teenage Menopause et le Collectif MU sortent sans cesse de leur zone de confort. Que vous apporte cette prise de risques ?
ED – Avec le Collectif MU, on a un désir d’indépendance. On pourrait faire tourner La Station en mettant des têtes d’affiche tous les week-ends qui ramèneraient du monde et on gagnerait deux fois plus d’argent. Mais personne n’est intéressé par faire ça. On a envie de défendre des esthétiques qu’on aime et de ne pas rentrer dans une routine de salle mainstream.
F – De mon côté, je ne gagne pas mon argent, au moins mon loyer et ma bouffe, sur la musique. J’ai donc une marge de manoeuvre précieuse. Il y a toujours un risque financier parce que c’est un pari d’investir sur un disque. Au-delà de ça, je m’ennuie assez vite. Je ne suis pas là pour reproduire un schéma. On a sorti 42 albums chez Teenage et il y a en 6 en route. On part sur des styles plus radicaux et chelous genre de la techno médiévale ou du flamenco avec de la trap. C’est aussi en ça que je me retrouve sur ce que fait le label Knekelhuis basé à Amsterdam, qui assure la soirée de samedi au Garage MU Festival.
VT – L’autre jour, Éric disait que Knekelhuis c’était un peu le Teenage Menopause hollandais.
F – Ah ! Mon coeur bat très vite !
ED – C’est vrai, vous n’êtes pas très éloignés l’un de l’autre.
F – C’est l’une de mes principales influences. Mais pour revenir à ta question sur les risques, je dirais plutôt que Teenage comme le Collectif MU laissent une grande place à l’inattendu.
Aujourd’hui de plus en plus de labels indépendants et lieux alternatifs fleurissent sur Paris. Pensez-vous que c’est une réaction à des événements trop onéreux ou trop institutionnels ?
VT – Il y a une tendance portée par les politiques publiques et par les promoteurs. C’est de l’urbanisme transitoire. Par exemple, on a pu ouvrir La Station grâce à un projet de la SNCF et grâce à la Ville de Paris. En effet, il y a pas mal de tiers-lieux, friches artistiques ou lieux apparentés ici. C’est très visuel. Parfois, on entre et on se dit que c’est un tiers-lieu mais il faut regarder les projets proposés. Ça peut être un vrai projet artistique, des choses pour servir des artistes comme des ateliers à moindre coûts. Mais certains lieux vont davantage jouer sur le paraître parce que c’est cool d’être une friche en ce moment.
F – Quand tu parles de “lieu”, je vois un endroit impalpable comme des lieux d’échanges, de goûts, de valeurs. Paris peut se montrer oppressante. Les publics ont besoin de ces lieux informels comme La Station, Le Sample à Bagnolet, les labels et les radios indés, les squats.
Justement, quel public attendez-vous au Garage MU Festival ?
VT – Contrairement à un public “festif”, du genre à venir à La Station pour clubber une soirée sans même connaître les artistes à l’affiche, je pense que le public du Garage MU Festival représente plutôt des fidèles. Celleux qui viennent régulièrement à La Station et qui suivent tel ou tel artiste ou label depuis longtemps.
Et quels liens entretenez-vous avec le quartier à Porte d’Aubervilliers ?
VT – C’est assez étrange car il y a le périphérique, les nouveaux ateliers Chanel et il y a deux ans, il y avait le plus gros camp d’exilé·es de Paris. Environ 2 000 ou 3 000 personnes vivaient là, le long de La Station. Tout près, il y a aussi la Cité Charles Hermitte, l’un des quartiers les plus populaires de Paris intramuros. C’est une sorte de zone tampon entre la banlieue et Paris. Mais c’est parce que le quartier est comme ça qu’il est très inspirant. Avec le quartier immédiat, on a fait des projets variés comme des petits événements, des barbecues et on a également accueilli l’association Coucou Crew qui vient en aide aux jeunes en situation d’exil. Mais on a arrêté d’ouvrir en fin de journée en mode bar et terrasse avec un DJ set car les gens ne viennent pas. Ils viennent vraiment quand il y a un événement.
À l’heure où la musique, même de niche, est devenue facilement accessible à une majorité des publics, quel est le rôle d’un festival comme le Garage MU et d’un label indépendant comme Teenage Menopause ?
F – On fait un peu le tri des patates face à l’offre pléthorique de musiques. Après tu as l’ADN de la proposition, que ce soit un festival, un lieu ou un label. Tu ne viens pas à La Station pour écouter de la house. Il y a une identité particulière. Mais aujourd’hui, entre le Covid et la crise du disque, beaucoup de labels ont arrêté. Je pense aussi que les gens qui ont un peu de sensibilité dans le milieu ne sont plus dupes des produits marketing musicaux. Tu as des gens qui adorent les campings-cars et tu en as qui adorent les musiques radicales. Mais ils ne sont plus dupes du rôle de pseudo indépendant qu’ont joué certains majors.
VT – En toute humilité, quand on programme ici, on se demande si les groupes ont un son Station. Parce que l’idée c’est quand même d’obtenir une sorte de bordel pensé et de raconter une histoire.
F – Il y a quelques années, tu étais soit dans la marge, soit dans le mainstream. Dites-moi si je me trompe, les gars, mais il y a un glissement aujourd’hui. On peut se permettre de faire des choses beaucoup plus radicales qu’à une époque. La libération de la parole ou les féminismes, le fait de revendiquer et assumer nous permet d’élargir notre spectre et d’aller petit à petit vers d’autres communautés.
VT – C’est très intéressant ce que tu dis car à La Station, il y a un côté politique. Notre programmation a bougé en terme de parité, de goûts et de propositions parce que de nouvelles personnes ont rejoint l’équipe. On s’entoure aussi de gens extérieurs qui vont relayer tel ou tel message. En fait, au-delà de l’esthétique musicale, on sert à ça : permettre à d’autres de s’exprimer sur la scène, d’organiser un truc et de faire un événement qui a du sens. Ça fait six ans qu’on existe, donc forcément on se remet parfois en question. À quoi bon ? Mais quand tu vois qu’un tel s’empare d’une soirée, que tu y es et que tu trouves ça génial, tu te dis : pour ça.
Propos recueillis par Juliette Poulain.
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