Gainsbourg ne s’est pas construit tout seul : c’est en allant braconner sur des terres parfois exotiques qu’il a fait de son œuvre un exceptionnel butin.
Gainsbourg est un sacré débiteur : tout au long de sa carrière et de ses albums, il a discrètement empilé des emprunts divers, des influences plus ou moins bien enfouies, parfois à peine implicites. Au-delà des changements de style, ou plutôt des adaptations successives de sa musique aux genres émergents (du jazz au hip-hop, en passant par la pop et le reggae), il a puisé son inspiration chez certains de ses contemporains, dans quelques disques qui regorgent de trouvailles et d’inventions musicales, mais qui n’ont pas tous eu la même postérité que Gainsbarre.
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Chronologiquement, la première de ces sources est Olatunji, un musicien africain installé à New York dans les années 50 qui, en 1959, a sorti un disque au titre évocateur, Drums of passion, suivi en 1961 par un second, Zungo. Drums of passion aurait d’ailleurs déclenché tout l’intérêt de John Coltrane pour les musiques africaines et serait donc un moment fondateur de la vague africaniste du jazz américain. Une chose est certaine : Drums of passion est le premier disque d’influence africaine à avoir pénétré les charts américains, qu’il a squattés pendant près de quatre ans.
Les enregistrements d’Olatunji semblent avoir servi de décalque pour certaines compositions de Gainsbourg percussions, sorti en 1964, et notamment pour les rythmes et beats des morceaux Couleur café et New York, USA. La légende veut que ce soit Guy Béart, de retour des Etats-Unis, qui ait offert un disque d’Olatunji à Gainsbourg. Des années plus tard, le même Guy Béart, en pleine déconfiture télévisée sur le plateau d’Apostrophes, face à un Gainsbourg cassant, ira, toujours selon la rumeur, tout cafter à la Sacem, histoire de se venger…
Au moment de sa conception, un disque comme Gainsbourg percussions est donc loin d’être orphelin : les disques de Les Baxter, Martin Denny ou Perez Prado explorent aussi, dès les années 50, les rythmes afro-cubains.
Gainsbourg est aussi allé puiser du côté de John Barry et pas uniquement pour lui voler au passage sa femme, Jane Birkin. Les arrangements des disques pop de Gainsbourg doivent beaucoup à ceux de Barry, notamment dans l’usage de la basse, sa mise en avant et en effets. Gainsbourg qui détestait, paraît-il, les visites de Barry à sa maison de la rue de Verneuil, ne pipait mot en présence du compositeur anglais.
Une fois Barry parti, il se mettait systématiquement au piano, pour improviser une version négligée et condescendante du thème de James Bond, étendard de l’ œuvre de John Barry. Mais malgré toutes ses tentatives, Gainsbourg ne réussira jamais à égaler l’art de Barry pour les bandes originales : ses essais, depuis Cannabis jusqu’à Madame Claude, restent peu probants.
Compositeur jaloux, Gainsbourg était aussi fin stratège musical, sachant exploiter à bon escient les talents de ses accompagnateurs. En ce sens, sa période reggae doit beaucoup au duo Sly & Robbie, le duo rythmique le plus convoité de la musique jamaïcaine. A leur savoir-faire, Gainsbourg alliera un stratagème digne de l’imprésario Malcolm McLaren avec les Sex Pistols : sa version reggae et iconoclaste de La Marseillaise.
Après ses tentatives jamaïcaines, Gainsbourg change de cap et pioche, pour l’un de ses derniers singles You’re under arrest, sorti en 1988, dans un genre alors en pleine expansion, le hip-hop. Le flow du rap lui correspond plutôt bien : il retrouve ici un exercice vocal abandonné depuis Melody Nelson. Ces tentatives semblent inspirées par l’un des rares crooners hip-hop, LL Cool J, dont le I need love est un hit quasi mondial en 1987.
L’ œuvre de Gainsbourg est ainsi traversée de correspondances, de renvois et d’emprunts qui sont autant d’élans enthousiastes et de coups de génie. L’homme à la tête de chou avait aussi les oreilles bien ouvertes et le flair impeccable.
Joseph Ghosn
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