Le brillant Gaëtan Roussel s’aventure en solo hors de Louise Attaque ou de Tarmac. Le résultat : le très étonnant Ginger, album ludique et bidouilleur, complexe et d’une grande liberté, rappelant parfois Gorillaz ou Beck. Interview.
Comment a émergé cette idée d’album solo ?
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Depuis qu’on s’est mis en pause avec Louise Attaque et que je me suis retrouvé à faire des collaborations. Petit à petit, ces collaborations m’ont renvoyé vers l’idée d’un album solo. Il n’y a pas eu de déclic, c’est plutôt une évolution. J’avais le temps, l’envie, et la place de le faire. Avec Louise Attaque, on a fait les disques qu’on avait envie de faire, c’était le côté dynamique de notre groupe. Alors l’idée initiale, c’était de me proposer autre chose, être dans un contexte différent, ailleurs, prendre d’autres décisions. Aller toquer à des portes, qui allaient m’en ouvrir d’autres encore, et travailler avec d’autres musiciens. C’est comme ça que je vois la dynamique de création : avoir une idée, la confronter à quelqu’un et essayer d’imbriquer les idées. C’est ce qui s’est passé avec Joseph Dahan (ex-bassiste de la Mano Negra et guitariste des Wampas déjà engagé chez TaRMaC ndlr) sur la longueur, puis avec d’autres personnes que je n’ai croisées que vite. Un album solo donc, mais surtout pas tout seul.
Pourquoi avoir choisi ne pas utiliser de pseudonyme ?
Je me suis posé la question, et puis je me suis dit que j’avais déjà utilisé mon propre nom pour mes précédentes collaborations. Et puis c’était une nouvelle aire de jeu, la mienne, dans laquelle je pourrais collaborer avec d’autres et avancer de mon propre côté, en marge des deux groupes.
Il y a un côté très ludique, très joueur, dans cet album…
Je comprends aire de jeu comme un espace. J’avais vraiment envie de faire un album plus pop, être dans une approche peut-être plus anglo-saxonne, basée au départ sur les sons, les rythmes et le groove et de voir seulement après quels mots viendraient.
Tu as ressenti une pression depuis la pause de Louise Attaque et l’entame de Ginger ?
Je vis beaucoup de premières fois, collaborations, co-réalisations d’albums depuis bientôt trois-quatre ans. L’excitation était là à chaque fois et c’est ce qui a provoqué une certaine tension, mais positive. Toute l’ambition était dans le fait que les gens ne me connaissent pas à la base par mon nom, mais comme le chanteur de Louise Attaque.
Qu’est ce que le succès avec Louise Attaque a changé ?
J’essaye juste de continuer à avancer. On a eu la chance de croiser le succès tôt avec Louise Attaque. Ça a créé une trajectoire qu’il a fallu essayer de maîtriser au mieux. Mais c’est vrai que c’était perturbant, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a fait un deuxième disque plus en réaction à ce qui nous était arrivé. Puis on a fait une pause et ensuite un troisième album, différemment. Savoir ne pas faire certains disques, je crois que ça permet d’avance autrement, de rester libre.
As-tu parfois eu l’impression que les gens avaient une image erronée de toi ?
Quand on a fait le premier album avec Louise Attaque, on était à fond dans les Violent Femmes et pourtant on nous a illico collé l’étiquette chanson française. On s’est demandé ce qui s’était passé, si on avait raté quelque chose, mal exprimé ce qu’on voulait. Puis on s’est aperçu que le mieux restait de ne pas trop s’attacher aux étiquettes. Même si ce qui est pris n’est pas toujours ce que tu voulais dégager, même s’il y a souvent des incompréhensions…
Tu as fait énormément de scène avec Louise Attaque. Aujourd’hui, Ginger sonne vraiment comme une œuvre studio…
Je n’ai pas pensé une seule seconde à comment on pourrait jouer les morceaux sur scène. Il fallait se concentrer avant tout sur le studio. Ginger ne s’est pas fait dans un seul endroit et il a fallu revenir plus d’une fois sur la matière. La scène n’était pas vraiment un leitmotiv à ce moment-là, mais elle va le devenir maintenant que nous avons terminé l’album.
D’ailleurs, comment se sont passées les sessions en studio ?
Je fonctionne pas mal dans le doute et dans le questionnement. Je suis toujours d’accord si on peut modifier les choses. Mais c’est périlleux de se décrire soi-même. Le studio peut faire en sorte que les choses soient interminables. Parfois il faut se faire confiance, et savoir dire qu’une chanson est terminée. Je vis beaucoup plus le studio aujourd’hui comme un espace de création que comme un espace où on va enregistrer ce qu’on a créé.
Un enregistrement qui s’est partagé entre Paris et New-York…
Ça s’est fait à travers les gens avec lesquels j’ai travaillé, entre Paris avec Julien Delfaud et Benjamin Lebeau de The Shoes, et New York avec Tim Worthy de DFA. En plus, le côté new-yorkais était parfait ; il y a une idée de mouvement dans ce disque, qui concordait avec ce voyage. DFA, Mo’Wax, c’étaient des univers auxquels je ne m’étais jamais confronté. Mais j’étais persuadé qu’ils pourraient m’aider à me décaler, à faire d’autres choix que je n’ai pas l’habitude de faire, pour toquer à d’autres portes, et que ça groove derrière.
La présence de Gordon de Violent Femmes était une évidence ?
Ça me paraissait naturel qu’il y participe, j’en avais très envie. Je me disais que si je lui proposais quelque chose dans lequel il n’allait pas me reconnaître, il en ferait de même, et on collaborerait alors différemment. Je misais sur le fait qu’on arriverait à avancer tous les deux.
Tu avais déjà entendu parler des The Shoes ?
Je ne les connaissais pas avant, c’est Julien Delfaud qui m’a proposé de les rencontrer. Je n’ai compris pourquoi qu’après, lorsque ce mélange s’est révélé plus qu’intéressant.
Pourquoi avoir invité Renee de ESG sur l’album ?
Je l’ai découverte il y a dix ans et ça m’a immédiatement parlé : la voix de Renee, le groove hyper fragile et qui avance malgré tout. J’avais envie de collaborer avec elle car j’aimais la musique, et je pensais que ça permettrait de décaler les choses, de mêler ma voix à la sienne. Et puis c’était cohérent avec DFA, comme des liens qui se tissent. C’est à la fin qu’on se dit que ça devient cohérent. Ça passe par des moments d’incohérence, où il faut se réapproprier les choses. C’est ce qui me faisait peur : revendiquer l’ensemble mais seulement par unité. J’aime bien l’idée que les morceaux prennent de la résonance par frottement. Je trouvais intéressant que Renee chante deux fois par exemple. Après ça passe aussi par des choses plus techniques et moins glamour comme le mixage.
Comment en es-tu arrivé à travailler avec Vanessa Paradis ?
Je savais qu’elle cherchait des morceaux et on m’a demandé si ça m’intéressait. J’ai composé une chanson en pensant à elle, alors on s’est rencontrés et on a fait quelques allers-retours. C’était un beau moment.
Et qu’as-tu retenu de ton travail avec Alain Bashung ?
La curiosité, le fait d’essayer d’aller de l’avant, d’être très large dans sa façon d’avancer tout en restant attentif aux détails qui peuvent dénouer le morceau. C’est une autre démarche d’écrire pour les autres, tu ne ressens pas les mêmes choses, tu ne t’attardes pas sur les mêmes endroits, même en studio, tu n’es pas au même endroit. Mais à chaque fois les collaborations ont été vécues par le fait de rencontrer la personne, et d’échanger. Ça n’a jamais été une commande, j’étais toujours partie prenante dans l’enregistrement, dans le studio. Ce qui change, c’est qu’à un moment ton idée ne t’appartient plus.
Tu as pensé à d’autres collaborateurs pour plus tard ?
Je pense qu’il a autre chose à faire, mais pourquoi pas Damon Albarn.
C’est vrai qu’il y a dans Ginger un côté joueur et expérimental propre aux travaux de Gorillaz et de Beck…
Ce qui m’intéresse chez ces artistes, c’est ce qu’ils dégagent : le côté bidouille et libertés, tous les ponts que ça permet, comme chez Vampire Weekend par exemple… Si tu écoutes les albums de Gorillaz, tu as le sentiment que tout est possible. Je voulais faire ce genre de disque diversifié et autoriser d’autres gens à chanter.
Qu’en est-il de tes autres projets ?
On dit simplement qu’on est en pause, c’est simple comme expression mais c’est très vrai. Aujourd’hui ce qui est en mouvement, c’est Ginger. Chacun est en mouvement de son côté, mais je ne sais pas comment demain sera fait. Je pense que ce ne sont pas des choses définies et d’un autre côté, je ne suis pas sûr que Ginger sera un one-shot. Il faut juste se laisser emporter.
Album Ginger (Polydor / Barclay)
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