Extirpé de son image de dandy narquois, Jarvis Cocker revient avec un album rugueux, glam et franchement rock. A 46 ans, un premier pas adulte.
Dandy pop et sexuel, Jarvis Cocker cassait Pulp il y a huit ans et quittait Londres pour s’installer à Paris. Quelques années de mariage, un fils, un disque solo (Jarvis) et une séparation plus tard, il signe aujourd’hui ce qui pourrait s’imposer comme le disque de la maturité (46 ans tout de même) – si la maturité consiste à s’extraire de son narcissisme d’esthète pour inclure les autres dans un processus créatif.
Le control freak de Pulp, qui engueulait ses musiciens s’ils se plantaient pendant l’enregistrement d’un disque, a décidé de s’adoucir, mais aussi de sortir de l’isolement – peu d’amis à Paris – dans lequel il avait écrit Jarvis cinq ans durant. “Si l’album sonne plus garage-rock que tout ce que j’ai fait avant, c’est parce que j’ai décidé d’impliquer les membres du groupe dans l’élaboration des morceaux, et qu’ils savent faire du rock de façon très authentique. Dans le bus, alors qu’on était en tournée pour mon disque précédent, ils me montraient ce qu’ils savaient jouer et ont fait mon éducation en matière de rock, moi qui avais toujours un peu méprisé cette musique. Il ne faut pas oublier que quand j’étais très jeune en Angleterre, il fallait choisir son camp entre le rock et le punk. J’avais choisi le punk”, explique Cocker, plus grand, étiré et éthéré que jamais.
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Comme si dans la trajectoire de cet enfant de Sheffield qui voulait devenir quelqu’un, la pop avait été un tremplin égotiste et le rock l’apprentissage de la collectivité. Et de ses compromis obligés, négociés, acceptés : “Je n’ai pas vraiment changé depuis l’enfance, le noyau dur est toujours le même, mais on évolue. On peut même empirer… On peut, enfant, développer les théories les plus intelligentes sur la vie, mais une fois qu’il s’agit de les mettre en pratique, adulte, tout s’effondre. Parce que le réel nous force à faire des compromis : la réalité, c’est que nous vivons constamment avec les autres, et il faut composer avec eux.”
L’album s’intitule alors, en toute cohérence, Further Complications : “Juste une façon de constater que la vie est compliquée, et que c’est comme ça.”
Nous sommes dans la cour de l’hôtel Amour, dans le IXe arrondissement de Paris, un quartier où Jarvis Cocker vit toujours, mais seulement deux semaines par mois puisqu’il passe désormais le reste du temps à Londres. Ses textes, écrits sur une année comme un journal intime, parlent de désir sexuel, de rencontres faciles, de désir de ne pas s’engager (I Never Said I Was Deep), de rupture (Hold Still), ou de culpabilité (Leftovers) – des thèmes qui hantent plus ou moins toutes les chansons de Jarvis Cocker mais qui semblent aujourd’hui exuder plus de tristesse, d’amertume. Peut-être parce que, pour la première fois, on l’écoutera en connaissant sa vie privée devenue récemment publique, soit sa séparation cette année d’avec sa femme, la mère de leur fils Albert, la styliste Camille Bidault Waddington.
Il acquiesce tout en détournant la tête, refusant de s’étendre sur le sujet et préfèrant parler de légèreté : “Pour moi, c’est mon disque le plus drôle. Musicalement, il s’agissait d’abord de s’amuser, bien plus qu’avec mes précédents disques. Je n’avais aucune règle, sinon celle d’impliquer le groupe. Mais il est vrai que j’écris toujours des chansons pour comprendre quelque chose de moi-même, et que mes textes parlent de ce que j’ai vécu au moment où je les ai écrites. Quand j’entends mes anciennes chansons, j’ai une parfaite vision de qui j’étais ou de ce que je vivais au moment où je les écrivais.” Le single, Angela, est une épure, la quintessence de la chanson rock : un prénom de fille, quelques mots sensuellement moulés sur le rythme, pas plus de trois minutes, et un sens qui échappe, ça doit être sexuel, encore. Et si Jarvis Cocker avait raison lorsqu’il chante “I never said I was deep” ?
“Je suis peut-être superficiel, mais de façon très profonde. Je suis même parfois irrité par mon mental, par ma capacité à prendre un temps fou pour m’intéresser à des choses frivoles. Par exemple, j’ai acheté récemment un oiseau en bois qu’on remplit d’eau, le genre de bibelot kitsch que je n’avais plus revu depuis mon enfance et qui trône maintenant dans la chambre de mon fils. Hier, j’ai cru qu’il était cassé et ça m’a tellement contrarié que j’ai passé vingt minutes à essayer de le réparer… Certains pensent que j’ai un grave problème, mais c’est ce que j’aime, ce que j’admire, ce qui me fascine dans l’âme humaine : cette façon de se distraire constamment de la réalité, du fait d’être vivant. Les chaussures, les vêtements, même la musique au fond, ce sont des luxes par rapport au réel. Ce sont des choses frivoles, peut-être, mais c’est ce que l’humanité a de mieux, parce que c’est ce qu’il y a de plus charmant.” Que ceux qui craindraient d’être déroutés à l’écoute de Further Complications – pas assez pop pour l’ex-Pulp – soient rassurés : Jarvis Cocker a encore le don de transférer du glam au rock, et d’injecter des doses massives de cette frivolité nécessaire à nos vies.
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