Les Ecossais de Geneva poussent dans les cordes de la soul sixties l’urgence mélodique des Smiths et la fièvre blanche de Jesus & Mary Chain. Avec Further, premier album dangereusement incandescent survolé par la voix d’ange d’Andrew Montgomery, ils pourraient bien nous réconcilier avec les frissons de l’observation vulcanologique.On n’a pas tous les jours l’occasion […]
Les Ecossais de Geneva poussent dans les cordes de la soul sixties l’urgence mélodique des Smiths et la fièvre blanche de Jesus & Mary Chain. Avec Further, premier album dangereusement incandescent survolé par la voix d’ange d’Andrew Montgomery, ils pourraient bien nous réconcilier avec les frissons de l’observation vulcanologique.
On n’a pas tous les jours l’occasion de croiser, sous le même ciel, la plus tangible expression du chaos brûlant des enfers et celle d’un possible paradis. Et quand bien même cela devrait se produire, il faudrait encore une sacrée dose d’inconscience pour s’imaginer un instant faisant bonhommement les présentations en espérant être rentré à la maison pour l’heure des Chiffres et des lettres. Faute de quoi, et aussi parce que tout le monde n’a pas la chance de porter les caleçons en amiante avec autant de dignité que Haroun Tazieff, il ne nous reste plus guère que le rock pour espérer connaître les vertiges d’une éruption volcanique, le souffle, le feu et les divines ascensions de matières en fusion, sans risquer de devoir commettre une impardonnable faute de goût vestimentaire. Maigre consolation à une époque où celui-là et particulièrement en Angleterre semble ne plus savoir cracher à la figure du monde que des blocs de lave refroidis depuis plus de trente ans, et dont la moindre fumerolle vaguement merdeuse provoque systématiquement l’effervescence au sein d’une bourse aux valeurs où l’arrogance, l’emphase et la pose se négocient plus cher que le talent. Marché de dupes sur lequel le groupe Geneva aurait bien du mal à se faire référencer tant le quintette écossais, emmené par les inflexions vocales stratosphériques de son chanteur Andrew Montgomery et les harmonies de soufre qu’exsude douloureusement la guitare de Steven Dora sur l’album Further, semble mettre un point d’honneur à éviter tous les pièges les célèbres FFF : Flambe, Frime, et F’est pas moi qui a commenfé ! que lui tend le statut très convoité de « nouvelle signature » du label Nude Records. Ce qui, outre le fait de plonger quelques responsables marketing dans les affres de l’imagination, vaudra d’ailleurs à Geneva d’être taxé de groupe cynique au terme d’une courte tournée en première partie de Suede l’hiver dernier. Mais c’est aussi ce qu’on a dit un jour du triste orchestre de ce pingouin de Martin Rossiter, et le lot de tous ces groupes (Divine Comedy, Baby Bird) qui, tardivement installés dans le quartier, n’entretiendront jamais que des relations de voisinage polies avec le petit monde du rock. Pourtant, après trois années de patience désabusée, on comprendra que Geneva ne soit pas encore prêt à déménager. Andrew : « Nous nous sommes rencontrés à Aberdeen. J’y avais obtenu un poste de reporter, et l’un de mes amis m’a présenté Steven, qui venait d’obtenir un diplôme de zoologie à la fac. Nous avons très vite décidé de monter un groupe : Sunfish. Je me souviens avoir entendu Steven dire un jour, alors que nous cherchions des idées en jouant, qu’il était bon de se fixer un but dans la vie, et que le nôtre devait désormais être de signer un contrat avec une maison de disques. Ça nous a tous deux fait beaucoup rire… Puis, peu à peu, ce qui n’était qu’une plaisanterie s’est transformé en ce qu’on pourrait appeler une probabilité. Nous étions alors convaincus que nous avions quelque chose de vraiment différent. Malheureusement, rien ne s’est concrétisé à l’époque. Certains ont décidé de tout laisser tomber. Nous n’avions plus aucun espoir d’aller où que ce soit. Ce fut une période vraiment difficile, très déprimante. Aujourd’hui, nous avons tous plus de 25 ans, et nous savons que c’est un rêve que nous vivons. Alors, lorsque nous sommes tentés de nous plaindre, nous fermons nos gueules, c’est tout. » Et Steven de renchérir : « Et nous ne voulons surtout pas tout gâcher en faisant les mariolles aujourd’hui et risquer de perdre toute crédibilité auprès du public en finissant ridicules demain. Ce n’est pas comme si nous avions toujours vécu, de près ou de loin, dans ce milieu. C’est un mode de vie totalement nouveau pour nous, et plutôt compliqué à gérer. Par exemple, je n’avais jamais eu l’occasion d’avoir des problèmes d’alcool, comme ces cuites qui te collent au lit pour la journée… Bon, on a le droit de ne pas trouver ça terrible comme existence, mais c’est un peu comme se confronter à une culture complètement différente : il faut un peu de temps pour s’adapter aux coutumes locales, mais c’est très exaltant. Il a fallu changer toutes nos habitudes, car à part Keith et Stuart qui étaient au chômage, nous avions tous un job : Andrew était journaliste, Stuart économiste, et moi, je vendais du poisson ! »
Très rock’n’roll, le poisson. Pas plus, en tout cas, que le groupe sur scène, pour peu que l’on se soit plus volontiers déplacé pour les gouttes que pour l’écoute : désespérément lancé dans une version tout aussi condensée qu’éminemment personnelle des Voyage au centre de la Terre, Cinq semaines en ballon et De la Terre à la Lune de Jules Verne qui mériterait bien tous les parcs d’attractions du monde, Geneva reste, à l’image de son chanteur, curieusement statique, comme figé par l’habitude de toutes ces années à laisser filer sa mélancolie entre les pattes de Johnny Marr, et sa fureur entre les pognes des frères Reid. Déroutant, car c’est pourtant bien la terre que l’on sent trembler et se tendre sous les convulsions rythmiques qui ouvrent le premier album du groupe, pressée par un magma sonore bouillonnant dans lequel Steven Dora, maître des forges de l’enfer, semble avoir dissous tous ses démons pour mieux pouvoir les éparpiller, façon puzzle, dans les couches supérieures de l’atmosphère. Là où le souffle puissant des explosions qui ponctuent le disque s’appliquera à maintenir la voix d’Andrew Montgomery, au milieu des étoiles. On pense bien sûr à Tim Buckley, pour cette façon d’aller chanter sous la fenêtre des anges. Puis aux Smiths et à l’introduction terrifiante de The Queen is dead dont la section guitares cristallise les drapés fantomatiques sur les fulgurantes trois minutes quatorze de Temporary wings, une sale histoire de saut à l’élastique, sans élastique. On pense aussi, en vrac, aux Popguns sur Into the blue ; à un Suede pour qui aurait sonné le glam, et qui aurait oublié de se tapoter le verso avec le recto du tambourin sur le magnifique Tranquilizer ; aux ayres de l’Angleterre élisabéthaine, sans le luth, sur le bouleversant The God of sleep ; aux groupes de doo-wop Motown, sans le doo-wop, que Steven connaît par cœur pour les avoir usés toujours les mêmes des années durant sur le juke-box servant à agrémenter l’ordinaire de la friterie de son père, sur les flambants No one speaks et Wearing off ; à Echo & The Bunnymen sur Fall apart button ; à James, sans James ; ou bien encore à McAlmont & Butler, sans les deux têtes à claques, mais avec tout de même les somptueux arrangements de cordes signés Mike Hedges, producteur de Further. Reste à essayer de comprendre ce qui a bien pu mettre pareils antagonismes au service de la même idée d’absolu, dans cette nouvelle adaptation d’une comédie divinement épique où Héphaïstos, dieu du feu et des forgerons, et Hermès, messager des dieux, unissent leurs dernières forces pour faire face à l’injustice de Zeus. C’est Steven qui avancera le premier, prudemment, quelques éléments de réponse : « S’il ne m’est probablement rien arrivé de particulier, je pense que je suis quelqu’un d’assez sensible pour qu’un ensemble de petites choses anodines ait eu beaucoup d’effet sur moi, inconsciemment, particulièrement dans mon enfance. Par exemple, je me rappelle très bien avoir grandi au milieu de la destruction, dans une banlieue que l’on pourrait comparer à votre Créteil. C’était une période de crise : toutes les industries lourdes, comme celle du textile, périclitaient, et les ouvriers ont tous fini par partir chercher du boulot ailleurs, laissant vides derrière eux les logements construits pour eux. Je passais des journées entières à jouer au cambrioleur dans ces bâtiments abandonnés que l’on détruisait au fur et à mesure. C’est quelque chose qui te donne très tôt un profond sens d’appartenance à une classe sociale, ainsi qu’à une période de l’histoire. » Mais c’est une tout autre malédiction qui semble avoir frappé Andrew, grand blond introspectif dont le sourire ne semble pourtant à aucun moment vouloir quitter le visage, mais dont les histoires d’insomnie, de fuite en avant, autant que de fuite en dedans, nécessiteront toujours plus que le simple confort d’une paire de chaussures noires. « Je me suis mis à écouter beaucoup de musique soul en lisant la presse musicale, puis en allant traîner chez les disquaires pour trouver des trucs à reprendre. J’y ai découvert Dusty Springfield, une chanteuse incroyable, ainsi qu’Al Green et Tim Buckley dont les mélodies m’ont bouleversé. Mon grand frère a aussi beaucoup fait pour mon éducation musicale. Il avait un goût très sûr en blues, ainsi qu’en funk. Il m’a fait découvrir James Brown, le Stevie Wonder du début des années 70, probablement Marvin Gaye, et surtout Curtis Mayfield. Que de voix parfaites, de magnifiques mélodies ! Mais il faut arrêter avec cette mythologie des voix. A ce propos, je trouve d’ailleurs qu’on en fait un peu trop à mon sujet, alors que ça n’a toujours été pour moi qu’un choix commode d’instrument : Geneva, c’est cinq personnes qui jouent chacune d’un instrument. Il y a aussi une dernière chose dont je voudrais parler : ce ne sont pas tant ces chanteurs soul qui sont particuliers à mes yeux, mais plutôt le fait qu’ils ne soient pas cités en référence par plus de groupes à guitares issus de l’underground. Je trouve qu’il y a un peu trop de blanchitude dans cette attitude qui consiste à traiter de cabot le premier qui essaie de communiquer avec le public avec un minimum d’âme et de sincérité. Cela dit, quelque part, je crois que j’éprouve un certain plaisir à emmerder le monde en chantant comme un Noir. »