Dix ans après la French Touch, une jeune génération d’électroniciens surdoués fomente une nouvelle révolution française. Passage en revue des meneurs de troupe, dont Yuksek, attendu aux plus hautes fonctions.
Le futur de l’électronique française se passerait-il de la capitale ? Depuis l’avènement du haut débit et d’une nouvelle génération nomade – MP3 et wifi –, le temps où Paris faisait figure de pieuvre électronique incontournable, en dehors de laquelle point de salut, semble bien loin. Profitant du coup de projecteur jeté par Justice sur la musique électronique française, dix ans après la French Touch, une nouvelle génération de producteurs déferle aujourd’hui. Ils ont entre 20 et 30 ans, viennent d’un peu partout en France, et souvent de Reims, véritable vivier d’où émergent déjà Brodinski, The Shoes et surtout Yuksek.
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De son vrai nom Pierre-Alexandre Busson, 32 ans, l’oeil bleu et l’élégance tranquille, Yuksek est en train de devenir un pilier central de cette scène, qui partage avec lui une approche beaucoup plus pop et éclectique de l’électronique.
On est loin de l’étalon castagneur et compressé mis en place par Justice et le crew Ed Banger ces deux dernières années.
Sur Away from Sea, son premier album, Yuksek croise ainsi avec une facilité ébouriffant science du beat compressé, influences funk à la Chic, basses disco à la Giorgio Moroder, réminiscences daftpunkiennes mais aussi sonorités hip-hop ou trompettes à la Sergent Pepper’s. Le tout dans un format très pop : la majorité des chansons (sur lesquelles apparaissent les Canadiens de Chromeo, la rappeuse Amanda Blank et le Parisien Vicarious Bliss) n’excèdent pas trois minutes.
“La pop, c’est vraiment la musique que j’écoute”, confie Yuksek, assis dans le salon de son vaste appartement rémois, où il vit avec sa femme et sa fille – il dit y trouver son équilibre, loin de Paris. Près de la platine, on aperçoit un vinyle de Transformer de Lou Reed, un de ses albums référence, des classiques sixties, mais peu de maxis electro qui emplissent d’habitude les appartements de DJ. “J’écoute très peu de techno,sauf avant de préparer mes sets”, ajoute-t-il en guise de confirmation.
La formation musicale de Yuksek est au départ assez classique. Encouragé par des parents pas spécialement mélomanes, fans de “musique sixties, du yé-yé, et puis de Barbara, Brel, Brassens”, il entre à 6 ans au conservatoire en horaires aménagés. “Ecole le matin, musique l’après-midi, jusqu’à mes 17 ans. C’était très dur. Tu n’es pas attendu, on te fait comprendre en permanence que la porte est ouverte. Ça donne une rigueur.”
L’adolescence, au début des années 90, est rythmée par le grunge, le hip-hop West Coast et le rock californien entendu dans les vidéos de skate-board, dont il est un fervent pratiquant. L’électronique vient un peu plus tard, vers 20 ans, par le biais des premières raves organisées, entre autres, par le label F-Com, dans Paris et ses environs. “C’était l’époque de Laurent Garnier, du premier maxi de Daft Punk, une ère pré-French Touch”, se souvient-il. L’énergie, la liberté lui plaisent.
Avec un pote, il se lance dans un duo techno un peu hardcore. Il forme aussi Kmanguage, projet plus electro-rock à trois. Des plans alimentaires décrochés dans la pub (jingles, etc.) paient les factures. “J’ai toujours fait en sorte de ne pas avoir à faire autre chose que de la musique.” En 2004 démarre enfin Yuksek, son projet le plus personnel, qu’il décline dans des lives furibards et extrêmement physiques, proche, dans l’énergie déployée, d’un Vitalic.
En deux ans, lui qui a longtemps eu la sensation “que rien n’allait assez vite” voit s’enchaîner les collaborations : il signe quelques maxis dévastateurs, multiplie les remixes brillants (pour Mika, Booba, Kaiser Chiefs, M83…), et devient un producteur qui compte, remaniant l’album de Birdy Nam Nam ou mettant en forme les tracks de son ami Brodinski. “Lui, c’est un vrai nerd, explique-t-il. Il m’envoie 400 mégas de MP3, il passe sa vie sur le net. Ce n’est pas mon cas. J’écoute la musique que mes amis ou des gens que je rencontre me font passer.”
L’année dernière, il a aimé Sébastien Tellier, Vampire Weekend, The Last Shadow Puppets et surtout MGMT, “c’est l’album de 2008. Il n’y a rien de révolutionnaire dans la production d’un album de pop depuis des années sauf peut-être dans celui-là. Et il ne sonne pas surproduit, il a une immédiateté”. Une qualité qu’il cherche à appliquer à sa musique. Il garde de préférence les premières prises, “les meilleures”, et essaie d’épurer des compositions par ailleurs très construites et pensées, en perpétuel mouvement.
Une façon de faire qui a permis à Yuksek, qui se définit volontiers comme solitaire
et casanier, de concocter un de ces tubes irrésistibles, prompts à enflammer toute une génération. Tonight, avec sa montée à la Vitalic (encore), ses paroles simplissimes (“Take my hand”) et son ambiance Daft Punk, s’est imposé comme un des cartons de l’été. “Je l’ai fait il y a deux ans, en plein été sur la terrasse d’un pote. Je suis content parce que le morceau est assez dur musicalement, très saturé, et ce n’est ni un format de DJ ni un format classique, c’est un format de rien”, conclut-il avec une pointe de fierté, pour le coup bien placée : on voit mal qui, en France et en 2009, pourrait venir lui damer le pion.
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