Le percussionniste brésilien Airto Moreira rapporte cette anecdote cuisante : débarquant aux Etats-Unis en 1967 pour y rejoindre sa femme Flora Purim, il se retrouva par hasard, dès son arrivée, dans un club californien où répétait Miles Davis. Ne parlant pas un mot d’anglais, il tenta néanmoins d’établir le contact avec le trompettiste à base […]
Le percussionniste brésilien Airto Moreira rapporte cette anecdote cuisante : débarquant aux Etats-Unis en 1967 pour y rejoindre sa femme Flora Purim, il se retrouva par hasard, dès son arrivée, dans un club californien où répétait Miles Davis. Ne parlant pas un mot d’anglais, il tenta néanmoins d’établir le contact avec le trompettiste à base de rudiments du style « Miles’ I love you« . Nullement touché par la déclaration, Davis sonna l’alarme pour qu’on éconduise vertement cet intrus à poils longs dont il ignorait le pedigree.
Deux ans plus tard, c’est le téléphone qui sonna chez Moreira. A l’autre bout du fil, Davis l’invitait à rejoindre sa nouvelle et tentaculaire formation pour les légendaires sessions d’où allait être expulsé Bitches Brew. Airto ? son seul prénom suffira désormais à l’identifier ? sera l’une des clés de voûte du virage fusionnel de Miles Davis, prolongeant durant quelques mois l’aventure sur scène, comme en témoigne le palindrome orgasmique Live/Evil. Mais, surtout, il sera de toutes les aventures post Bitches’ des lieutenants de Miles, de Weather Report première pluie au Return to Forever de Chick Corea. Début des années 70, il n’y a pas que le jazz qui a changé de visage : le rock comme la musique brésilienne sont des rivières chahutées de leur lit, l’un par les débordements progressifs, l’autre par la fièvre tropicaliste. En 1972, pour son premier album sur le label CTI du vénérable Creed Taylor, Airto rassemble large parmi ceux qui ont contribué à remodeler la plastique même de cette musique en chantier permanent : Corea, Keith Jarrett, George Benson, ou des habitués du label ? le contrebassiste Ron Carter ou les flûtistes Hubert Laws et Joe Farrell.
Flora Purim fait quelques figurations vocales mais le propos moteur de Free repose surtout sur ces passerelles jetées entre la forêt tropicale où Airto a grandi et la jungle urbaine de Davis. C’est particulièrement vrai sur le morceau-titre, où la bacchanale des percussions évoque autant d’oiseaux sauvages mêlant leurs cris d’amour. La version de Return to Forever, nocturne et hantée, participe de la même sorcellerie, tout comme Flora s Song et ses strates de flûtes et de cuivres qui se cannibalisent sous les yeux éplorés d’une guitare espagnole. Plusieurs titres en bonus prolongent les retrouvailles avec l’un des tout meilleurs disques de fusion américano-brésilienne jamais enregistrés.