Depuis qu’il a tué ses exemplaires Pixies, Charles Thompson, dit Frank Black, ne vit plus que pour ses trois obsessions éternelles : le punk-rock, revisité une nouvelle fois sur le rugueux The Cult of Ray, les plaisirs de la table et les ovnis. A Los Angeles, son terrain de jeux, il reçoit sans façons, humble et généreux.
De comptoir de café en restaurant japonais, de balades en Cadillac en visite de chantier dans les ruines de sa maison, le regard d’un homme marié au rock sur sa vie « trop facile ».
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Cet homme et cette ville étaient faits pour s’entendre. Frank Black et Los Angeles : lui, généreux, rond, curieux de tout ; elle, saisissante, dense, interminable. Lui, toujours fiable, bonne pâte. Elle, trompeuse, envahissante, conviant à toutes les (més)aventures. Le premier a le caractère requis pour s’entendre à merveille avec la seconde. De ce soleil permanent, il a fait son décor quotidien, peinard sous son chapeau de paille. De ces espaces indéfinis, son terrain de jeux, couvrant un bon millier de kilomètres par semaine au volant de sa Cadillac jaune pâle.
Frank Black ne vit ici que depuis quelques années mais il y est chez lui, indiquant au visiteur d’improbables raccourcis, bon prétexte pour dénicher le petit restaurant mexicain qui faisait si cruellement défaut à son carnet d’adresses culinaires. Rarement avait-on vu homme plus heureux de recevoir sur ses terres adoptives. Que sa Cadillac traverse la vallée bétonnée qui mène vers le nord ou qu’elle s’égare dans les chemins poussiéreux qui courent sur les collines sèches, c’est par un même sourire repu que Charles Thompson, dit Frank Black, ponctue ses commentaires avisés. « J’aime cette ville pour ses dissemblances, ses inégalités. A Los Angeles, contrairement à ce qu’on dit, on ne peut pas rouler tout droit pendant très longtemps, ou alors il faut avoir le c’ur bien accroché et se préparer à des rencontres fortuites. Celui qui veut connaître la ville doit d’abord apprendre à y conduire. Un virage à gauche ou un virage à droite peut vous faire basculer dans des mondes opposés. Je suis très attaché à cette idée : ici, rien n’est aussi tranquille qu’on pourrait le croire au premier coup d’œil. » Ce qui pourrait constituer la mise en garde alarmiste et paternaliste de l’autochtone au touriste prend vite chez Frank Black une tournure vibrante, un ton passionné. Deux journées en sa compagnie nous en convaincront : l’ancien chanteur des Pixies voit la vie en couleur, indiquant quelques bouis-bouis immanquables là où les guides de voyage ne verraient que danger et piège à touristes, dissertant pendant dix minutes sur la poésie d’une autoroute balayée par le vent. Pour sa cuisine, pour son soleil, pour ses routes et ses collines et malgré ses fondations menaçantes , Frank Black vieillira en Californie.
Frank Black : J’ai passé une excellente année 95. J’ai joué avec beaucoup de musiciens différents pour essayer de trouver la bonne alchimie. J’ai mis un peu de temps avant de trouver la formule gagnante je joue désormais avec deux anciens membres de Miracle Legion. J’ai toujours un besoin physique de me sentir entouré par un groupe, je suis incapable de me passer de cette mentalité de gang. Parallèlement, je ne connais plus les problèmes d’ego liés au groupe : je paye mes musiciens et nos rapports sont très sains. Jouer sous mon nom me donne une liberté immense.
Pour la première fois, tu as enregistré un album sans producteur à tes côtés. Par souci de liberté, par lassitude, par défi ?
Je voulais impressionner les gens qui dirigent ma nouvelle maison de disques aux Etats-Unis, American Records. Le type qui tient le label, Rick Rubin, est un producteur fantastique. J’aurais pu facilement lui demander de m’aider mais j’ai voulu prouver que j’étais capable de tout contrôler. Il était essentiel pour moi de montrer que je savais être indépendant, libre, que la rupture de mon contrat avec les Anglais de 4AD m’avait davantage motivé que déprimé. Lorsque j’ai signé mon nouveau contrat, je me suis tout de suite dit « Vous allez voir ce que vous allez voir, je vais vous montrer qui je suis. » J’ai maintenant la certitude que la formule basique du rock’n’roll est celle qui sert le mieux mes chansons. Deux guitares, une basse, une batterie. Pas de clavier, pas de tambourin : juste le strict nécessaire. Bien que je sois incapable d’affirmer que je n’enregistrerai jamais un disque avec voix et piano, je me complais parfaitement dans cet univers restreint, basique, bien défini. Il y a déjà tellement à faire dans cette prison-là… Je suis sans cesse dans l’attente d’une sortie d’album, d’une tournée. Je rêverais de pouvoir avancer plus vite et sortir deux albums par an, l’un très classique, l’autre plus expérimental. Quand j’étais gamin, je rêvais d’un univers artisanal, plus spontané. Parfois, je prends un peu de recul par rapport à tout ça et je me dis « Bon sang, quel bordel ! Comment le rock a-t-il pu devenir ce gigantesque business ? »
Tu mènes à Los Angeles une vie que tu qualifies toi-même de paisible et confortable. Cette aisance favorise-t-elle ton travail ou bien constitue-t-elle une entrave à ton inspiration ?
Je sais que cela peut paraître assez loufoque, mais je tire surtout mon inspiration de mon instrument préféré, la guitare. Que je sois tranquillement chez moi, dans mon petit studio ou dans la chambre d’un motel, l’écriture suit toujours le même schéma physique, matériel, charnel. Une guitare, un ampli, une chaise et le tour est joué. Je sais que si je dispose d’une heure devant moi, je vais trouver quelque chose, une mélodie, un riff. Et ensuite, je travaille aussi vite que possible : je me jette sur le téléphone et je réserve un studio d’enregistrement. Parfois, le soir même, la chanson est complètement enregistrée.
C’est une recette fiable ?
Depuis des années, c’est le même processus, la même montée d’adrénaline. Il y a peu de choses au monde qui me satisfont autant que cette course effrénée, cet accouchement précipité et cette idée magique que je vais repartir avec ma création en poche. Et la nuit, lorsque je rentre chez moi en bagnole avec ma cassette dans l’autoradio, je suis un homme comblé. Je me dis parfois que je mène une vie trop facile, que j’ai eu une chance énorme.
Tu joues et tu composes tous les jours ?
Non : surtout quand je m’ennuie, quand je n’ai rien de mieux à faire. J’aimerais être plus prolifique, mais je ne veux pas devenir esclave de mon travail. Un type comme Costello écrit sans doute vingt chansons par semaine, mais lui, c’est un musicien. Pas moi. Deux ou trois fois dans ma vie, il m’est arrivé d’entendre une mélodie très forte dans ma tête pendant que j’étais au lit, en cherchant le sommeil. J’aurais dû me relever et attraper ma guitare, mais je suis tellement paresseux que j’ai préféré rester au lit, bien au chaud, sous ma couette. Evidemment, le matin, j’avais tout oublié, la mélodie s’était envolée. Je suis sûr que Costello, lui, se serait relevé et aurait bossé toute la nuit.
Tu n’as jamais réussi à t’imposer une discipline plus stricte ?
J’en suis incapable, je crois que ça ne me réussirait pas. J’ai besoin d’avoir la paix, de travailler sur des coups de tête comme je le fais depuis des années. Le travail ordonné, quotidien, très peu pour moi. Ça peut paraître étrange, mais j’ai vraiment l’impression d’être un chanteur folk, pas un rocker besogneux. J’écris au rythme où va ma vie, c’est-à-dire sur un tempo indolent, tranquille. Je roule en bagnole, j’essaye des nouveaux restaurants. Et puis, quand je rentre chez moi, j’attrape ma guitare et je gratouille paisiblement. (Il se met à chantonner)… La la li la la la… Cette musique-là n’est pas laborieuse, elle ne s’apprend pas dans les écoles. Vraiment, je crois que c’est de la musique folk, mais de la musique folk électrifiée. J’ai 30 ans et pourtant, j’ai toujours le même rapport à la guitare, un rapport physique, un peu bébête, comme les morveux devant leur glace. J’ai plusieurs guitares acoustiques chez moi mais je ne les touche jamais. Je suis sans doute attardé, mais à mes yeux, rien ne vaut une bonne guitare électrique sur laquelle on s’agite comme un damné. C’est le meilleur moyen que je connaisse pour véhiculer les sentiments les moins nobles chez l’homme : la colère, l’énervement, la déception. Même si je vis sous le soleil et que je suis globalement très heureux, ces sentiments ne me sont pas étrangers. Il y a beaucoup de colère et de tristesse sur The Cult of Ray. Et puis, évidemment, il y a des tas de chansons sur les extraterrestres et la science-fiction : celles-là me servent de défouloir, d’échappatoire d’ailleurs, je crois qu’elles ont la même fonction pour mon public. Si je ne chantais que des trucs tristes, ça n’intéresserait personne. Je suis là pour divertir les gens, pas pour les déprimer. De quel droit pourrais-je passer mon temps à pleurnicher sur mes disques ? Je fais partie de ce que j’appelle l’élite du bonheur, des 5 % d’êtres humains qui n’ont pas le droit de se plaindre.
Ce n’est pas que ça me blesse, mais je voudrais qu’on comprenne qu’il faut arrêter de me gonfler avec les Breeders. Kim Deal fait son truc, ça la regarde, et moi je fais mes disques dans mon coin. Musicalement et personnellement, nous n’avons plus rien à voir. Nous vivons à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, et c’est très bien comme ça. Je comprends que les gens aient envie de nous comparer, mais c’est une tentation qui devient de plus en plus stupide et hors de propos. Cela m’irrite d’autant plus que ce réflexe comparatif est particulièrement vivace en France, un pays que j’adore… Je sais que si je dois avoir un hit quelque part, ce sera en France il y a longtemps que je ne me fais plus trop d’illusions sur ma carrière aux Etats-Unis. Le public français m’a toujours été très fidèle, il est d’une loyauté rare. Mes meilleures performances en termes de ventes de disques et de tickets de concerts ont toujours été françaises. Je me dis souvent que ce que je vis en solo, c’est du bonus, une sorte de complément à ce que j’ai réalisé avec les Pixies. J’ai connu le succès artistique et commercial pendant des années, toutes mes ambitions ont été assouvies. Désormais, je vivrai tout ce qui se passera autour de moi avec sagesse et légèreté. C’est déjà formidable d’avoir la chance d’enregistrer toutes ces chansons et de voyager comme je le fais.
Tu ne crois donc plus au succès de masse ?
Ce genre de considérations ne va pas m’empêcher d’être heureux. Je sais qu’en matière de rock une génération dure quatre ou cinq années. La masse qui peut permettre à un artiste de mon statut de sortir du rang se compose d’abord de gens qui s’intéressent au rock avec passion pendant quelques années, puis qui passent à autre chose ils trouvent un boulot, font des gosses ou se passionnent pour le golf. En ce moment, les gamins veulent Green Day. La génération suivante voudra-t-elle de moi ?
Ne ressens-tu pas un peu de jalousie en voyant le succès d’un groupe comme Green Day ?
Si, bien sûr, c’est un peu énervant, mais les Pixies avaient un petit côté intello qui nous interdisait le passage au stade supérieur. Je ne me suis jamais considéré comme un grand cerveau de ce siècle, mais les Pixies n’appartenaient certainement pas à l’univers bas du front de Green Day. Il y avait une profondeur, une finesse, plusieurs niveaux de lecture des éléments assez perturbants pour le grand public. Qu’on ne vienne surtout pas me dire que Green Day et les Pixies ont construit leur carrière sur les mêmes fondations celles du punk-rock , que nous venons du même monde. Moi, si j’ai envie d’écouter du punk-rock, je ressors un album de Clash, pas Green Day. Lorsque mon manager parle de Green Day, il les appelle The Clash Light. Mais je ne vais pas partir en guerre contre ces mecs-là. D’une certaine manière, ils font évoluer les esprits dans le bon sens.
Tu as des souvenirs précis des grandes années du punk ?
Aucun. J’étais déjà fou de musique, mais je suis passé totalement à côté du punk. A l’époque, je ne vivais que pour les groupes des années 60. Par contre, je connais un tas de gens qui ont vécu le punk originel de l’intérieur et ces gens-là sont rarement très fans de Green Day (sourire)…
Tu as un jeune frère de 13 ans. A ses yeux, fais-tu figure de tuteur, de guide artistique ?
Il ne m’écoute pas. L’autre jour, je vais le chercher à l’aéroport. « Salut, ça va, mon vieux ? Dis donc, j’ai bien écouté ton nouvel album. C’est pas mal, mais je le trouve un peu faible. Ça manque de pêche. » Et là, le frangin sort de son sac un album de White Zombie. Qu’est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Il a 13 ans, nous n’appartenons pas au même monde. Mais bon, à part ça, c’est un chouette gamin. A cause de MTV, j’ai l’impression que le fossé se creuse davantage chaque jour entre sa génération et la mienne. MTV ne diffuse pas mes vidéos et je comprends très bien pourquoi. Ma musique et mon image si j’en ai une ne rentrent pas dans la norme. Je suis un cas à part : je n’ai pas de tatouage, pas de barbichette, pas d’anneau dans le nez. Je suis un type bizarre… Cette chaîne me donne la nausée. Je n’aime ni sa politique ni la tronche de ceux qui présentent les clips. Le plus souvent, ce sont donc les mêmes quelques disques qui me motivent et me donnent envie de jouer de la guitare, les mêmes albums de Clash. Je ne veux pas céder à la tyrannie de la nouveauté, au « son contemporain ». Je me fous bien de savoir ce qu’est le « son contemporain ». Si l’un de mes disques correspond à son époque, s’il est dans l’air du temps, alors ce sera par accident. Il n’y aura jamais d’effort conscient.
Je ne sais pas ce que je deviendrais si l’on me privait des plaisirs de la table. Lorsque je me lève le matin, je ne pense qu’à deux choses : où vais-je manger le midi et où vais-je manger le soir ? (rires)… Voilà pourquoi je suis heureux d’avoir réussi ce que j’ai entrepris : le succès de mes disques me permet de manger au restaurant aussi souvent que je le souhaite et de mettre de l’essence dans ma voiture. Que demander de plus ? Pourtant, pour la bouffe, attention : avant de partir en tournée, je vais devoir faire attention à ce que je mange. Il faut que je perde un peu de poids, sinon je ne tiendrai jamais sur scène plus d’une heure. Je m’essouffle, je crève de chaud, c’est terrible.
Tu sembles dévoré par certaines obsessions : la bonne chère, le punk-rock, mais aussi les phénomènes surnaturels.
La source de mon inspiration est toujours la même : toutes ces histoires étranges d’envahisseurs, de créatures, la science-fiction, les rapports du pouvoir et de l’autorité aux phénomènes. Je trouve ces histoires passionnantes à raconter, tellement plus frappantes et stimulantes que les petits problèmes intimes. Men in black, par exemple, est une chanson sur cette rumeur populaire selon laquelle ceux qui ont observé des phénomènes surnaturels et s’apprêteraient à les révéler à la presse ou à des amis reçoivent la visite d’hommes en noir. La nuit, d’immenses types habillés en noir de la tête aux pieds, enveloppés dans de grands manteaux et chapeautés, arrivent chez vous dans de gigantesques limousines noires, tous feux éteints. Ils frappent à votre porte et vous donnent l’ordre de vous taire un truc vraiment effrayant. Il y a eu des dizaines de témoignages concordants sur ces apparitions, mais les enquêtes de police et les plaintes déposées n’aboutissent jamais. Récemment, plusieurs journaux ont consacré des dossiers aux hommes en noir, avec témoignages, dessins…
Et tu crois sincèrement à ces histoires ?
Je ne sais pas, mais j’y suis trop attaché pour accepter l’idée qu’elles seraient inventées de toutes pièces. Tout ce qui touche au sentiment paranoïaque me fascine et je trouve un certain plaisir à entretenir ma propre parano avec ce genre d’histoires.
Tu te documentes, tu archives ?
Je dévore tout : les X-files à la télévision, les sujets sur Roswell, les magazines spécialisés. J’ai une grande chance, c’est de m’être intéressé à tous ces thèmes depuis des années, dès les premiers disques des Pixies. On ne peut pas m’accuser d’avoir cédé à la mode du surnaturel… Je n’appartiens à aucun club de pseudo-scientifiques, je ne fréquente pas les conventions, Dieu merci. L’esprit communautaire équipe de sport ou collectionneurs de papillons me terrorise. Je me contente donc de m’intéresser à tout ça dans mon coin, chez moi, comme des millions de citoyens américains. La peur du futur est une crainte légitime, un souci de notre temps. Chez moi, c’est d’ailleurs davantage une fascination, comme un gosse qui fixerait un feu de très près sans craindre de se brûler. Il m’arrive de me dire que j’ai été choisi par certaines forces extraterrestres pour transmettre des messages, que je suis une sorte d’élu, un homme plus sensible et lucide que les autres, capable de raconter ce qu’il voit et entend. Un jour, peut-être, je serai témoin d’une chose extraordinaire. Je deviendrai alors un messager. J’attends ce jour avec impatience.
Pourquoi serais-tu l’élu ?
Je m’intéresse à toutes ces choses depuis que je suis tout petit, je suis donc un terrain très fertile. Mais à force de faire cas de cette fascination dans mes chansons, je sens que mon fluide s’amenuise. Il y a sans doute là-haut un type qui me regarde et se dit « S’il continue comme ça, ce Frank Black, il va falloir couper les ponts avec lui. Plus de communication, plus d’interaction, le silence radio » (rires)…
Tu as des souvenirs précis de communication avec ces forces ?
J’ai un souvenir plutôt flou et une histoire très concrète un truc qu’on se raconte régulièrement en famille, le dimanche, autour d’une table. Le souvenir, c’est d’avoir vu un vaisseau, une sorte de fusée, stationné à quelques dizaines de mètres, en plein jour. Le truc était parfaitement silencieux et semblait inanimé. J’étais très jeune, avec mon frère, on habitait près de Boston.
Lui n’en a jamais parlé à personne et moi, j’ai attendu qu’il en parle récemment à des copains pour apporter mon témoignage. Avant, j’avais peur qu’on me prenne pour un maboul… Quant à l’histoire, ce sont mes parents qui me l’ont racontée. Moi, j’étais encore bébé, je ne me souviens de rien. Ma mère m’a dit que quelques ovnis sont apparus au-dessus de notre maison et que tout le monde s’est mis à hurler. Les gens pensaient que c’était la fin du monde. Ils ont appelé la police puis ont poursuivi les ovnis jusqu’au bout d’une route, avant de les perdre de vue. Entendre ma mère qui est une femme extrêmement cartésienne raconter ce genre d’expérience m’a profondément marqué. Lorsqu’on fait le tour de ses connaissances, il n’est pas rare de rencontrer deux ou trois personnes qui ont vu des choses et devant témoins. Ces manifestations ne sont plus marginales, il faut les prendre au sérieux. Pour moi, l’avenir de l’homme est là : dans l’espace, pas sur terre. Si l’homme s’intéresse davantage au cosmos, il cessera de perdre son temps en faisant la guerre sur terre. Je donnerais cher pour savoir à quoi ressemblera le monde dans cinq cents ans.
Un des premiers à avoir abordé le futur dans son uvre est l’écrivain Ray Bradbury, à qui tu rends hommage sur The Cult of Ray.
Il habite Los Angeles. Je l’ai croisé quelquefois à la bibliothèque il y donne des conférences passionnantes sur la science-fiction et sur le futur , mais je n’ai jamais eu le plaisir de discuter avec lui. C’est un vieux monsieur de 75 ans, je ne veux pas l’embêter. Pour moi, c’est l’un des très grands écrivains de ce siècle. Il nous a montré la route de l’avenir en pointant son doigt vers le ciel, vers la « nouvelle frontière ». C’est un maître pour moi, un guide. Un jour, si je me sens assez fort et courageux, je me lancerai dans l’écriture d’un roman. Ce sera sans doute un livre de science-fiction. Depuis la fac, je rêve de devenir écrivain.
Quand as-tu écouté un disque des Pixies pour la dernière fois ?
Probablement lorsque j’appartenais encore au groupe. Je n’aurais aucune raison d’écouter un de nos albums aujourd’hui. A quoi bon ? Je le ferai peut-être quand je serai plus vieux, mais pour le moment je n’ai aucune raison de me retourner sur mon passé, ça ne m’intéresse pas. Je préfère écouter Clash, les Damned ou Johnny Cash. Les Pixies sont sortis de ma vie. Nous étions jeunes, nous faisions les malins, je chantais n’importe quoi et ça marchait. Mais ce temps-là est révolu. J’ai changé.
Quels sont tes meilleurs souvenirs de vie en groupe ?
Nos débuts. Il y avait une énergie naturelle, une véritable envie d’en découdre, mais en suivant nos propres règles. Je venais de quitter la fac, j’avais emprunté du fric à mon père et acheté du matériel. Très vite, nous avons eu assez de chansons pour donner des concerts : tout paraissait si simple. On se sentait invincibles. J’avais l’impression d’être un type bizarre que des gens très normaux venaient voir faire le con sur scène. Ça me donnait une force folle et ça m’encourageait à être encore plus étrange. Là-dessus, Joey Santiago se pointait et se débrouillait toujours pour trouver des lignes de guitare hallucinantes à plaquer sur mes chansons. Joey n’était pas un très bon guitariste il était incapable d’exécuter un solo ou d’assurer un rythme de blues. Par contre, lorsqu’il s’agissait d’aligner quelques notes marquantes, une mélodie improbable, il était imbattable. La force des Pixies était là : personne ne se posait de questions.
Une reformation du groupe te paraît-elle possible ?
(Il éclate de rire)… Non, c’est absolument hors de question. Un groupe comme les Pixies est trop difficile à gérer, il y a trop d’egos en jeu, trop de pression. Lorsqu’on me demande pourquoi les Pixies se sont séparés, je réponds toujours en retournant la question à celui qui m’interroge : « Et toi, parle-moi de ton boulot. Est-ce que tu t’entends bien avec tout le monde à ton travail ? Tes collègues sont-ils tous des amis ? » A mon avis, les Pixies auraient dû se séparer plus tôt. Il faut savoir tourner la page, avancer, et même si cela m’a été très pénible, je ne ressens absolument aucun regret. Artistiquement, je n’ai jamais été aussi heureux qu’aujourd’hui. Les Pixies ne se reformeront jamais.
Frank Black, The Cult of Ray (Small/Sony)
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