Retour à l’Afrique, avec une série de compils qui célèbrent l’âge d’or, les pépites de la Rumba sauce congolaise, et l’importance du guitariste joaillier Franco.
Tous les manuels scolaires vous le diront : la grande affaire de la musique moderne congolaise, c’est la rumba. Qui, contrairement aux apparences n’est pas une stricte adaptation d’un genre homonyme notoirement cubain, ni de ses variantes mambo et cha cha cha. Plutôt la résurgence d’une racine musicale sur sa terre d’origine, lorsque les premiers disques d’Orchestra Aragon et du Trio Matamoros se mirent à inonder les grandes villes ouest africaines.
Outre la langue, le plus souvent le lingala, l’élément qui distingue la Congolaise de sa cousine caribéenne, c’est la guitare. Celle-ci, d’abord désignée en tant que «guitare katangaise» puis «zaïroise», se mit à régner sur toute l’Afrique à partir des années 60. Tous les groupes fondés à l’époque l’auront été le plus souvent autour de virtuoses transposant sur des instruments acoustiques bricolés, puis sur des Gibson SG importées par les studios, la technique et les modes propres au likembé, le lamellophone des régions forestières.
[attachment id=298]L’essor de la guitare zaïroise fut considérable et fit de la rumba le genre panafricain par excellence. Tous les musiciens du continent voulaient s’en approprier les particularités esthétiques, cette fluidité phénoménale, cette maîtrise technique du finger picking renversante, ce parfait équilibre entre rythme et trame mélodique. Curieusement, elle mit aussi à contribution d’éminents musicologues, conscients d’avoir affaire à l’une de ces manifestations spontanées du génie humain dont l’Afrique a le secret. Comme John Low, qui compara le jeu de Mwenda Jean Bosco, premier de la lignée, à une chorégraphie. « Le morceau peut être regardé » disait-il. En effet, rarement instrument aura produit une telle sensation de voltige sonore, comme un ballet de libellules phosphorescentes au clair de lune.
Les plus illustres de ces sorciers furent Franco et Docteur Nico. Diaboliques « ambianceurs », ils ont animé les formations phares de Kinshasa pendant les années Mobutu. Franco dirigeait l’OK Jazz tandis que Dr Nico jouait dans la formation rivale, l’African Jazz, créé par le chanteur Grand Kalle. Plus tard, il brillera au sein de l’African Fiesta. A eux deux, ils ont mis trois générations d’Africains à genoux.
De son vrai nom Nicolas Kassanda wa Mikalay, Nico était déjà surnommé « le Dieu de la guitare » quand Eric Clapton bredouillait encore son Robert Johnson dans les caves de Soho. Venu de la région orientale du Kasaï, il était imprégné de cette science musicale jusque-là réservée aux réjouissances et cérémonies de l’ethnie basongye. Sa palette sonore offrait une infinité de nuances. Sur un extrait de la compilation Congo 70 – Rumba Rock parue récemment, il fait admirer la délicatesse de son jeu sur ce qui semble être une guitare hawaïenne, toute en limpidité et ondoiements gracieux. Le morceau chanté en lingala commence par ces mots français, savoureux eux aussi: « Tu m’as déçu chouchou, je suis resté ignoble…».
La suite du recueil révèle combien l’influence de Nico fut considérable, chaque groupe se mettant en devoir de posséder son virtuose qui flambait au moment du « sebene », la partie improvisée du morceau. Pepe Manuaka dans Zaïko Langa Langa, Dizzi Mandjekou dans les Grands Maquisards, Bavon Marie Marie dans les Négros Succès – ce dernier était le petit frère de Franco, qui demeure l’indépassable modèle. C’est lui qui sut le mieux transposer les sonorités cristallines du likembé sur une guitare, avec ce sens de la répétition rythmique accompagnée de variations souvent imperceptibles, finissant par tisser une scintillante trame harmonique.
La carrière de Franco avec son big band l’OK Jazz a été l’une des plus longues (27 ans) et des plus prolifiques de l’histoire africaine. Le coffret Francophonic nous en propose aujourd’hui un judicieux aperçu sur une trentaine de morceaux, tous merveilleux, tous en mesure de nous faire comprendre les raisons qui valurent au Congo-Zaïre le titre de « paradis de la guitare ».