Trois ans après le coulant et solaire E Volo Love, Frànçois & the Atlas Mountains revient avec Piano Ombre, magnifique album conçu comme une course en forêt, pleine d’ombres, de lumières intenses et de transes magiques. Interview.
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Il y avait dans tes deux précédents albums quelque chose de très aquatique, mais il est ici beaucoup plus question de forêt, de bois…
Je vois les trois albums, Plaine Inondable, E Volo Love et celui-ci, Piano Ombre, comme un ensemble : Plaine Inondable comme de l’eau, E Volo Love comme un élément plus solaire, et Piano Ombre comme une forêt -une forêt un peu sombre, mais il y a une sortie.
Il est souvent question de peurs : quelles sont-elles ?
La peur elle-même. Une série de doute, de questionnements, la peur du temps qui passe, celle de la mort. Certaines sont liées à l’âge, à des facteurs qu’on ne comprend pas. D’autres sont venues au moment de l’enregistrement ; elle va désormais mieux, mais ma mère a été malade. J’avais la volonté de m’en sortir : la musique était un but et un moyen. C’est havre de paix et de ressourcement, je règle mes comptes mais c’est surtout un moment où tu peux te fasciner par la beauté, la beauté de la forêt en l’occurrence. C’est un exercice que je m’efforce de suivre quand ça ne va pas : simplement ouvrir les yeux, et trouver ces choses qui sont belles et qui t’entourent. J’ai déjà traversé ça plus jeune, des périodes très violentes. J’ai eu une crise assez dure, comme tout le monde peut en traverser, en enregistrant un album qui s’appelle Brother : on avait de bonnes prises, de bonnes chansons, mais je n’ai pas réussi à le terminer complètement. Mais je trouve que, justement avec l’âge, avec l’aide des amis, avec l’expérience, les choses vont mieux. C’est exactement le cas avec Piano Ombre, qui a été une sorte d’opposé de Brother : il a été nourri de cette expérience. Et par le groupe, sans qui je n’y arriverais pas.
Il est aussi beaucoup question d’amour, d’amour brisé et d’amour à reconstruire…
Oui. Ce n’est rien de précis, c’est une question de cycles, d’expériences que tout le monde a eu ou que tout le monde aura. C’est aussi la question d’abandonner ses peurs. Trouver l’amour même dans la brisure, essayer d’aller au-delà de la souffrance, parce qu’il y a toujours moyen de se débarrasser de l’agressivité, de la rancœur. Il faut avoir confiance en ce qui va se passer, être un peu patient. Il faut lutter contre les ombres, ou plutôt les accepter : vous êtes là, vous me faites flipper, mais je suis là aussi, et je vais suivre mon chemin.
Que peux-tu me dire de ce titre, Piano Ombre ?
J’aimais la manière dont il sonnait, j’aimais le voir écrit. Et il recouvre cette même idée de la forêt, des peurs : « Du calme, les ombres. » Pas mal des morceaux de l’album ont été écrits au piano, et le piano a été le premier rapport que j’ai eu à la musique, à la maison. Quand tu joues sur un vrai piano, tu as la tête plongée dedans, c’est une impression que j’aime. Et c’est un instrument un peu magique : il résonne tellement que tu peux faire des choses assez simple, et les laisser couler.
Piano Ombre semble inspiré de ce qu’est devenu le groupe sur scène, de plus en plus tourné vers la transe sur certaines chansons…
Les morceaux sont plus forts, plus solides : c’est pour ça que cet élément de forêt correspond bien à l’album. Ces éléments de force qui sont enraciné dans le sol mais qui visent le ciel, qui sont robustes, mieux organisés. Les aspects transe font aussi un peu partie des éléments thérapeutiques de la musique : c’est ce que beaucoup de gens recherchent, notamment dans l’électro minimale, dans les soirées dans les clubs. Les gens ont besoin de se soigner par la musique, de manière presque primaire. Nos morceaux sont souvent très raffinés, il y a tout un foisonnement qui se crée, mais à la base, il y a très peu de choses, les morceaux que j’ai écrits se basent souvent sur un seul rythme, partent parfois de peu d’accords.
La tournée africaine que vous avez faite vous a-t-elle marqués ?
Elle m’a marqué, oui, mais « en négatif ». On a toujours été très fans de musique africaine, on s’y est complètement immergés là-bas, on a fait pas mal d’enregistrements mais qui ne sont pas sur l’album : on a pu profiter pleinement de ce fantasme de « l’Afrique en Afrique », puis se concentrer sur quelque chose qui venait vraiment de notre cœur d’Occidental et d’Européen pour Piano Ombre, que je trouve moins africain que les précédents.
Vous avez enregistré en studio, et avec un producteur, Ash Workman, pour la première fois : pourquoi ?
D’abord par curiosité : je voulais tout simplement essayer. Je réalise aussi que quand les choses ne sont centrées que sur ce que je produis, ça ne me satisfait pas, ça m’ennuie, j’aime beaucoup me sortir de moi. Un producteur peut trouver de nouvelles facettes. Il a énormément allégé, en fait. Je ne connaissais pas trop le travail d’Ash Workman, je ne connaissais pas trop Metronomy, mais des amis m’en ont dit du bien. J’aime beaucoup son nom : « ash » est le nom d’un arbre, en anglais, et « workman », c’est un homme qui travaille, ça m’a tout de suite mis en confiance… Il est très fan d’électro, proche de Simian Mobile Disco, de James Ford, et en même temps il est très fan de son analogiques, de sons qui ne passent pas par un ordinateur. Il voulait tout le temps qu’on se débarrasse des séquences, des choses électroniques qu’on avait faites. Mais il était très attaché aux rythmes, il m’a beaucoup repris là-dessus, pour ce que ce soit limpide, qu’on sente que rien ne soit forcé. Quant au studio, ça s’est bien passé, avec une contrainte à laquelle je n’étais pas habitué, celle du temps. J’avais plutôt tendance à laisser couler, mais là on a tout fait très vite, en 10 jours. C’était très intense mais c’est aussi ce que je cherchais : me mettre dans un mode moins intellectuel, plus en pilotage automatique, on avance avec le groupe, on fait les prises… J’ai aussi beaucoup délégué, j’ai fait confiance au groupe, je l’ai laissé prendre des décisions ; j’étais obnubilé par ces problèmes de temps et par mes soucis personnels, j’ai laissé faire et c’était bien ainsi.
Quelle idée initiale avais-tu de l’album, avant qu’il ne prenne forme ?
Qu’il allait m’aider à aller de l’avant. Que ça allait aussi nous aider à aller de l’avant, en tant que groupe. Que c’était un album qui allait avoir quelques complexités, mais que la simplicité serait là, devant, malgré les rythmes chargés. Que c’était une course à travers les bois. Je n’avais pas d’idée de son, du moins pas précise. Je voulais simplement que ce soit peut-être plus simple, direct.
Si tu conçois tes trois derniers albums comme une trilogie, que Piano Ombre boucle, la suite sera forcément différente…
Je n’en suis pas encore là, mais je sens effectivement déjà que ce sera différent. Piano Ombre a de toute façon lui-même un début et une fin : ces premiers mots, « Non je n’oserai pas, non je n’oserai plus, venir te chercher, chercher de ton bois » et le dernier titre de l’album, Bien sûr, cette échappée, qui s’envole vraiment, et se clôt sur « Reste le phare, le phare qui illumine, les illumine, nous illumine ». Les ombres ne sont jamais parties, évidemment, mais ce disque a été le bon moyen de garder le cap.
Photo & teaser : Mathieu Demy
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