C’est une première : un festival de danse contemporaine française à New York, initié et co-produit par le Ministère de la Culture et l’AFAA. Sous la direction artistique de Yourgos Lokos, dix compagnies sont présentées au public américain, dans six théâtres de Manhattan, et qui plus est des théâtres alternatifs !
New York, vendredi 27 avril
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Décalée, la danse contemporaine française à New York ? Ou juste retour des choses, si l’on songe à l’influence déterminante des chorégraphes post-modernes américains ? de Merce Cunningham à Trisha Brown, en passant par Alwin Nikolaïs ou Lucinda Childs ? sur l’essor de la danse contemporaine française à partir des années 80 ?
Décalée, sommes-nous tentée de dire à l’arrivée en se rendant au Joyce Theater (175 8th Avenue, at 19th Street) pour assister à notre premier spectacle de ce festival de danse contemporaine française à New York (une première, dont on aimerait pouvoir dire qu’elle sera reconduite ces prochaines années) : Les Veilleurs de Josef Nadj.
20 h à Manhattan, 3 h du matin pour l’équipe de journalistes parisiens fraîchement débarquée à l’aéroport JFK ; bientôt 24 heures sans sommeil, légèrement décalqués, mais bon’ Alors, à quoi ressemble ce théâtre, l’une de ces scènes alternatives – avec La Kitchen, la Mama, Saint-Mark s Church, le BAM (Brooklyn Academy of Music) – qui accueillent la programmation de France Moves ? A un cube de béton rehaussé de néons roses’ Tout le gratin officiel français est là (Catherine Tasca, ministre de la Culture, and all the staff ministériel, l’AFAA au grand complet) ; normal, puisqu’ils co-produisent France Moves, avec l’aide de nombreux sponsors, tant privés que publics. Le public local est là aussi, attentif, curieux et un brin circonspect quand vient l’heure des saluts face à l’univers ni vraiment formel, ni franchement narratif de ces Veilleurs.
Contrairement à ses précédents spectacles qui avaient une douloureuse tendance à l’enfermement et au repli sur soi, Josef Nadj déploie ici avec une belle amplitude l’agencement des formes, du décor, des lumières et des êtres qui habitent cet espace mental et ludique inspiré de l’ uvre de Franz Kafka. La simplicité des scènes proposées se conjugue habilement avec de pures illusions d’optique et dégagent un charme indécis auquel le public new-yorkais est visiblement peu habitué. Rideau et au lit !
Samedi 28 avril
Anna Kisselgorf, journaliste et critique de danse au New York Times, nous reçoit dans son bureau (à un bloc du New Victory Theater où nous venons d’assister au spectacle de Maguy Marin, une habituée de Manhattan) et confirme : « Ici, la danse contemporaine se scinde en deux tendances : la danse formelle qui correspond à la génération précédente et, de la part des jeunes chorégraphes, une propension à se raconter qui donne lieu à de longs monologues, sur le thème bien connu de « Je suis une personne ordinaire « , ce qui semble l’ennuyer beaucoup. « Alors que les chorégraphes français ne peuvent être réunis au sein d’un même mouvement. Ils font ce que j’appellerai une danse d’auteur, chaque univers est totalement singulier. C’est cela qui est peut-être le plus étonnant pour le public américain.«
D’où la surprise des journalistes, du public et des diffuseurs, venus de tous les Etats d’Amérique du Nord pour assister aux spectacles et au symposium organisé par France Moves, face à ces OVNI que sont ici les chorégraphies proposées par Josef Nadj, Boris Charmatz, et même Maguy Marin, qui les a plus habitués à présenter des relectures contemporaines de ballets classiques, comme Cendrillon, qu’à cet étrange trio qui interprète Pour ainsi dire, spectacle tout en ruptures de tons, de rythmes et de couleurs émotionnelles. Sans même parler de la rupture avec l’ambiance du quartier où se trouve le New Victory Theater (209 West 42nd Street) où « entertainment » et salles de jeux se mélangent inextricablement, maintenant que le nettoyage du périmètre est opéré ? la Ville a récupéré les salles tenues depuis quelques lustres par des théâtres porno et entrepris de les restaurer. C’est à moitié une bonne nouvelle puisque beaucoup craignent une évidente Dysneylisation de Manhattan ; en effet, il faut avoir les moyens d’investir dans ce quartier mythique de Broadway
Vu en matinée, à l’heure où des hordes d’enfants, de couples et de célibataires envahissent les rues et les salles de jeux, les bras encombrés de sodas et de gigantesques gobelets débordant de pop corn, le décalage est pour Ainsi dire total et, pour tout dire, euphorisant.
Sans mollir, on descend downtown en début de soirée pour se rendre à la Kitchen (512 West 19th Street), haut-lieu alternatif dédié aux formes expérimentales, pour assister à Herses, une lente introduction de Boris Charmatz. Le quartier semble déserté, un no man’s land architectural où se presse un public sensiblement âgé (quelque chose comme celui du Vieux Colombier, mais dans une tenue nettement plus relax). Mais bon’ c’est samedi soir et il y a peut-être plus drôle à faire en ce début de week-end superbement ensoleillé, qui nous change radicalement de ce mois de novembre permanent en guise de quatre saisons de Paname la Grise.
Les premiers échos de la presse concernant Herses’ sont loin d’être positifs. Quoi ? Des danseurs nus sur scène ? Mais on a déjà vu ça dans les années 70, mes pauvres, vous êtes vraiment has been’ Sur place, les sons de cloches diffèrent sensiblement, le public apprécie et le fait savoir ! Il est vrai que cette pièce ne se contente pas de dénuder les danseurs pour offrir un supplément de regard (au sens d’un supplément d’âme) au spectateur ; elle en fait un moyen de débusquer les utopies qui s’y rattachent, définies par le chorégraphe comme étant les « utopies de l’alliance » : « L’utopie naturelle, celle du corps libéré et lâché en territoire vert, happé par les forces dites essentielles, arbres et fleurs ; l’utopie du couple, la construction de l’un par l’autre (et la pérennité du désir), figure chorégraphique irritante et archétypique ; l’utopie communautaire, le corps partagé ou mêlé, les contacts impossibles ou inavouables.«
Et puis, il n’est pas juste de dire qu’ils sont entièrement nus : des perruques recouvrent leurs cheveux. C’est assez pour marquer la distance entre l’engagement personnel des danseurs (Julia Cima, Vincent Dupont, Myriam Lebreton, Sylvain Prunenec et Boris Charmatz) et leur interprétation.
Dimanche 28 avril
Boris Charmatz rit franchement en évoquant sa « mauvaise critique » dans le New York Times et rectifie le tir : « En fait, on a eu de très bonnes réactions et beaucoup de rencontres informelles avec le public. Plusieurs nous ont dit n’avoir jamais vu et ressenti de cette façon la salle de la Kitchen, toujours perçue frontalement : là, le public encadre la scène de Herses. Je connais pas mal d’artistes à New York, chorégraphes ou artistes visuels, dont Jennifer Lacey ou Claude Wampler, avec qui nous préparons un projet pour Bruxelles, Présent, Absent. Comme moi, Claude Wampler s’interroge sur la manière de présenter les corps sur scène. « Alors, y a-t-il un avenir pour Boris Charmatz à New York ? » Oui ! Nous nous sommes retrouvés à la Kitchen parce que c’était la salle qui convenait le mieux à la scénographie de Herses, mais la Mama ou Saint Mark s Church nous voulaient aussi ! On devrait donc revenir ici assez vite «
Ce qui nous permet de préciser que, contrairement à ce que l’on annonçait, à savoir que la programmation de France Moves était plus une vitrine de la danse française des années 80-90 qu’un panorama de la danse actuelle, les organisateurs français ne sont pas seuls en cause. En effet, le choix des dix chorégraphes (Maguy Marin, Angelin Preljocaj, Montalvo-Hervieu, Fred Bendongué, Blanca Li, Philippe Decouflé, Josef Nadj, Boris Charmatz, Lionel Hoche et Dominique Boivin) est autant celui des diffuseurs-producteurs américains que celui de Yorgos Loukos, directeur artistique de France Moves.
Après la photo de groupe des artistes de France Moves sur le toit de l’hôtel Millburn, direction le BAM de Brooklyn pour assister à Shazam ! de Philippe Decouflé. Dans la foulée, le BAM accueille Le Jardin Io Io Ito Ito de José Montalvo et Dominique Hervieu. Traversée à pied du pont de Brooklyn au milieu des joggers, vélos et grappes de touristes, et interview express de John Melillo, directeur du lieu. Son choix est clairement motivé : ils peuvent remplir une salle de 2000 places et, last but not least, donner du grain à moudre aux artistes du cru : « Avec Philippe Decouflé, comme avec José Montalvo, l’utilisation de la vidéo et du multi-média s’inscrit dans la narration ; alors qu’ici, les artistes s’en servent simplement comme décor.«
La standing-ovation à l’issue de chaque représentation de Shazam ! donne entièrement raison à John Melillo. Cela fera-t-il changer d’avis Philippe Decouflé qui, après avoir vendu aux enchères ses costumes et accessoires, s’apprête à dissoudre sa compagnie, pour arrêter ses activités de chorégraphe et se consacrer à un vieux rêve : réaliser un long-métrage ?
Bien que France Moves se poursuive jusqu’au 6 mai, une fête était organisée la veille de notre départ dans la galerie Tribeca Rooftop, 2 Desbrosses Street (à vue de nez, 3000 m2? avec vue sublime sur l’Hudson et un incendie qui obscurcit le soleil couchant). Une fête à l’américaine, comme dirait Jacques Tati : de 20 h à 24 h, et pas une minute de plus ! Mais, entre temps, quel luxe ! Champagne, alcools et vins à volonté? L’attachée de presse de Catherine Tasca nous propose une rencontre informelle qui dure deux secondes et demi. C’est peu de dire que notre ministre n’a pas une seconde à elle. Mais bientôt, les regards se tournent ailleurs et cherchent à reconnaître notre star nationale, en la personne de Laetitia Casta. Mais comment la reconnaître sous son manteau informe, avec son sac à dos en peluche rouge, pas maquillée du tout, le cheveu limite gras (j’exagère, bien sûr !) ? Devrons-nous l’avouer ? Ce look nature nous a fait bonne impression : cette gamine, une star ? ! Mais oui, d’ailleurs, pour nous convaincre, un cadeau nous attend à la sortie de cette fête, sponsorisée par L’Oréal : un ensemble de laques, maquillage et crèmes de soins anti-âge . qui feront le bonheur de ma belle-mère.
Le 3 mai
The Joyce Theater, 20 h : Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj.
The Kitchen, 20 h : Zap !Zap ! Zap ! de Blanca Li.
Saint Mark s Church, 20 h 30 : D’une rive à l’autre de Fred Bendongué.
Le 4 mai
FIAF, Florence Gould Hall, 12 h- 20 h : La danse, une histoire à ma façon de Dominique Boivin.
BAM, HG Opera House, 19 h 30 : Le Jardin Io Io Ito Ito de Montalvo-Hervieu.
The Joyce Theater, 20 h : Zap !Zap ! Zap ! de Blanca Li.
Saint Mark s Church, 20 h 30 : D’une rive à l’autre de Fred Bendongué.
Le 5 mai
The Kitchen, 15 h – 20 h : Zap !Zap ! Zap ! de Blanca Li.
BAM, HG Opera House, 19 h 30 : Le Jardin Io Io Ito Ito de Montalvo-Hervieu.
FIAF, Florence Gould Hall, 20 h : La danse, une histoire à ma façon de Dominique Boivin.
The Joyce Theater, 20 h : Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj.
Saint Mark s Church, 20 h 30 : D’une rive à l’autre de Fred Bendongué.
Le 6 mai
The Joyce Theater, 14 h ? 19 h 30 : Paysage après la bataille d’Angelin Preljocaj.
FIAF, Florence Gould Hall, 16 h : La danse, une histoire à ma façon de Dominique Boivin.
Saint Mark s Church, 19 h 30 : D’une rive à l’autre de Fred Bendongué.
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