Sur un album éclatant, les jeunes Californiens de Foxygen ressuscitent le psychédélisme sixties. Ils nous ont ouvert leur ancienne chambre d’ados. Reportage, critique et écoute.
Un matin de décembre 2012, alors qu’on peaufinait le classement des meilleurs albums de l’année, on a reçu au courrier de quoi promettre, déjà, un millésime formidable pour 2013. Le nom du groupe : Foxygen. Celui de son disque : We Are the 21st Century Ambassadors of Peace & Magic. Un titre à rallonge pour un recueil plutôt court – neuf morceaux –, qui déroule dès la première écoute de formidables chapitres de psychédélisme à l’ancienne. En vrac et dans la joie, ces chansons épiques ressuscitent les fantômes des Rolling Stones, d’Elvis, des Kinks, de Bowie, du Velvet Underground et, histoire de citer un groupe né au troisième millénaire, de MGMT. Tout ça sur un même disque et sans que celui-ci ne ressemble à un triste best-of ou à un pastiche.
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Époustouflé par ce niveau de compète et désireux d’en savoir plus sur ce nouveau groupe, on part à la recherche d’informations. Première découverte : Foxygen n’est pas un nouveau groupe. Née en banlieue de Los Angeles, la troupe, formée autour du tandem Sam France/Jonathan Rado, a déjà publié un mini-album intitulé Take the Kids Off Broadway, qui n’avait pas traversé l’Atlantique. Deuxième enseignement : Foxygen a beau composer et écrire ses chansons comme si l’histoire de la musique s’était arrêtée à l’été 1967, ses membres sont nés en 1990. Ils ont tout juste l’âge de boire de l’alcool dans leur pays, et ils pourraient être non pas les enfants, mais les petits-enfants des Beatles. Bref, ils jouent une musique beaucoup plus vieille qu’eux.
Un mois plus tard, on part rencontrer le duo dans la banlieue de Los Angeles, où il a grandi. Une fois n’est pas coutume, il pleut sur la ville. Pour rejoindre le Westlake Village, il faut quitter le centre-ville et rouler, longtemps, direction Malibu. Là, entre l’océan et les montagnes, se succèdent des dizaines de maisons bourgeoises, toutes flanquées de piscines familiales et rassemblées autour d’un lac artificiel en pétales qui donne à l’ensemble des allures improbables de Dubaï wasp.
On a rendez-vous chez Jonathan Rado. Le jeune homme nous accueille chaleureusement et nous guide vers ce qui fut – il y a encore peu de temps – sa chambre d’ado. Une chambre bordélique, sombre et très moyennement aérée. Dans la chambre de Rado, on trouve tout un tas de reliquats de l’adolescence : des orgues, une batterie, un lit (quand même), des dizaines de vinyles. Il y a également une petite salle de bains personnelle, qui sert plutôt aujourd’hui de salle de joints personnelle : c’est là que Sam, la deuxième moitié de Foxygen, ira régulièrement tirer sur son petit pétard pendant l’interview qu’on donnera assis en tailleur sur la vieille moquette.
“Voilà la chambre où j’ai grandi et voilà où Foxygen est né. Westlake Village ressemble à n’importe quelle ville de banlieue californienne. C’est joli et plutôt agréable mais il ne s’y passe pas grandchose. La ville est construite autour d’un faux lac sur lequel tous les parents du coin viennent défiler avec leur bateau l’été – et c’est à qui prendra la plus grosse cuite (rires)… Les jeunes sont un peu désoeuvrés. J’ai l’impression d’avoir passé mon adolescence à manger des glaces, fumer des cigarettes et traîner chez Barnes & Noble où on essayait d’emmerder le vigile à l’entrée.”
Comme beaucoup d’adolescents du quartier, quand il ne zonait pas entre les rayons de bouquins de Barnes & Noble, Rado jouait dans un groupe de rock teenager qui reprenait des titres des Doors. C’est lors d’une de ces répétitions, il y a presque dix ans, que le jeune homme, alors âgé de 12 ans, croise le chemin de Sam France. Le soir même, Sam rentre chez lui avec les enregistrements du jour et décide d’y ajouter tout un tas d’éléments expérimentaux. La chose, qui déplaît à la plupart des membres du groupe, séduit Rado. Dans la foulée, la paire décide d’en finir avec les mauvaises reprises, quitte le premier groupe et monte un nouveau projet : ce sera Foxygen – que deux amis ont récemment rejoint pour assurer les tournées.
Pendant des années, chaque aprèsmidi après les cours, les deux garçons se retrouvent dans la chambre de Rado et enregistrent leurs chansons entre quatre murs recouverts de posters des Rolling Stones, période Their Satanic Majesties Request. Jonathan joue de la guitare, Sam chante. Toujours un peu dans la lune, ce dernier ressemble aujourd’hui à un personnage échappé du casting de Presque célèbre, un peu maladroit dans son manteau de fourrure, toujours à ricaner. Au total, Sam et Jonathan enregistrent et autoproduisent dans leur chambre plus de dix albums, dont la plupart traînent aujourd’hui sur le disque dur d’un vieux PC, perdu au fond de la pièce. “On avait quatre modèles en commun : Beck, les Flaming Lips, Adam Green et The Brian Jonestown Massacre. C’étaient nos héros, ceux qui nous donnaient envie de faire de la musique.”
Bientôt, le groupe se passionne pour la discographie du musicien Richard Swift, récemment enrôlé dans les Shins et dont les disques solo, entre pop sixties et garage-blues, restent de beaux trésors cachés de l’Amérique. Le bac en poche, Jonathan Rado part étudier à New York avec sa petite amie. Là-bas, France le rejoint pour un concert de Richard Swift, qui se produit dans un club du Lower East Side, le Mercury Lounge. À la fin du spectacle, le duo approche son idole et lui offre un exemplaire fraîchement gravé de son récent mini-album Take the Kids Off Broadway, dont le dernier morceau s’intitule Middle School Dance (Song for Richard Swift). Non seulement Swift écoute le disque mais il tombe immédiatement sous le charme du groupe, et insiste auprès de l’équipe de son label pour qu’elle leur propose un contrat.
L’histoire, déjà bien belle, ne s’arrête pas là : Foxygen obtient alors de la structure que Swift en personne réalise son nouvel album. Celui-ci s’intitulera We Are the 21st Century Ambassadors of Peace & Magic et la paix et la magie nous sont donc arrivées par la poste un beau matin de décembre 2012. “Avant même qu’on le rencontre, Richard Swift avait toujours été le parrain spirituel de Foxygen. Ça nous semblait donc à la fois incroyable et très logique de prolonger ça. On est partis dans son studio à Cottage Grove, une petite ville de mille habitants de l’Oregon où il vit avec femme et enfants. On y a passé deux semaines ensemble. On se levait, on regardait des vidéos sur YouTube, on fumait quelques joints. Puis Richard endossait son rôle de chef d’orchestre. Il nous parlait avec une voix très grave. On était sur la même longueur d’onde.”
Avec Richard Swift, Foxygen partage en effet un certain goût pour le savoir-faire sixties, les enregistrements analogiques. S’il appartient à la génération Y et consacre autant de temps à vivre sa vie qu’à la raconter sur Twitter – difficile, même pendant les sessions photo, de lui faire abandonner le smartphone –, le groupe écoute en revanche la musique sur vinyle et se passionne pour les instruments vintage : Fender Rhodes, orgues Farfisa… Sur disque aussi, Foxygen joue comme si les quatre dernières décennies n’avaient pas existé.
“On nous a souvent demandé si on était nostalgiques des années 60, développe Rado. Ça ne peut pas être le cas puisqu’on n’a pas vécu à cette époque. Mais nos disques préférés datent de cette décennie : il y a Arthur (or the Decline and Fall of the British Empire) des Kinks, Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, Odessey & Oracle des Zombies. La production, l’expérimentation, l’écriture : tout était neuf et excitant à l’époque. En comparaison, le reste nous semble aujourd’hui plutôt ennuyeux. J’aime le son, l’écho, l’humanité voire les imperfections qui s’échappent des vieux orgues. Certaines personnes achètent des voitures, d’autres dépensent leur argent dans les vêtements ou l’herbe. Moi, j’achète des vieux instruments, idéalement des instruments restés oubliés pendant trente ans au fond d’un garage.”
Anachronique, Foxygen fait aussi figure d’anomalie dans son pays : élevé non loin du Laurel Canyon qui vit fleurir les folk-songs de Crosby, Stills, Nash et Joni Mitchell, et à quelques encablures du Sunset Strip et de ses légendaires Byrds, Love et Doors, le groupe semble accorder peu d’importance à l’héritage californien, voire à la musique US en général. Son panthéon pop est britannique, tout comme son écriture et, même, sa façon de chanter. “Le fait d’avoir grandi à L. A. a peu d’impact sur ce qu’on fait. On écoute très peu de musique du coin, à part quelques albums des Beach Boys. Le coeur de Foxygen est résolument anglais : on se sent proches des Kinks, des Rolling Stones. Il y a dans les textes de ces artistes une ironie, une dérision, un sens de l’humour qui nous plaisent beaucoup.” Pour l’album, le groupe avait pensé chanter avec un accent anglais. Mais, se souvenant que les Beatles et les groupes de la British Invasion essayaient à l’époque de chanter avec un accent américain, Sam France a décidé de “chanter comme un Anglais qui essaierait d’imiter l’accent américain.”
Fruit de ces influences et de ce cahier des charges, We Are the 21st Ambassadors of Peace & Magic est probablement le plus britannique des disques façonnés en Amérique ces dernières années. Il s’ouvre sur un flamboyant In the Darkness, qui évoque l’âge d’or où les Rolling Stones jouaient leur Rock and Roll Circus. Vient ensuite No Destruction, ballade souple et sensuelle comme sortie d’un dialogue entre Mick Jagger et le Velvet Underground. Au coeur de l’album, la guillerette San Francisco continue de dresser des ponts entre l’Ouest américain et le Royaume-Uni : si le titre du morceau pouvait laisser augurer un hommage à la ballade beatnik de Scott McKenzie, il réaffirme au contraire les liens qui unissent Foxygen au songwriting piquant des Kinks en moquant gentiment l’héritage hippie.
Le titre de l’album tout entier, du reste, ne répondrait-il pas au mythique We Are the Village Green Preservation Society de Ray Davies et ses complices ? Un peu plus contemporains, le single groovy Shuggie et la bombe bondissante et charnelle Oh Yeah n’auraient enfin pas détonné sur le deuxième album de MGMT, dont l’écho se fait entendre à plusieurs reprises sur le disque. Peu importe d’ailleurs qu’ils se ressemblent ou qu’ils partagent l’art de passer à la moulinette celui des autres. Il y a dans l’histoire de la pop si peu de bons élèves pour tant de pâles copistes qu’après avoir encensé le génie de MGMT, on transmettrait bien à Foxygen ce qui fut justement le titre du deuxième album des New-Yorkais : “Congratulations”.
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