Furieuse machine scénique, le groupe Londonien sort enfin son premier album. Un grand disque politique, agité et dansant.
En athlétisme, c’est un curieux instrument qui donne le top-départ des compétitions : un pistolet. Dans la grande partouze punk-funk, c’en est un autre, détourné, qui marque le début des festivités : la cloche de vache.
Mieux connue sous le nom de cowbell, cette percussion métallique alimenta longtemps la furie des musiques latines, avant de devenir la petite reine du dance-floor dans les années disco. Un peu plus tard, quelques maigres gandins venus du punk l’empruntèrent pour faire gigoter les fesses d’une musique qui se décoinçait en direct, des Mancuniens d’A Certain Ratio aux New-Yorkais de Talking Heads. Précisons que la cowbell est par adoption un instrument new-yorkais, dont abuseront plus tard The Rapture ou LCD Soundsystem.
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https://www.youtube.com/watch?v=BRadZghXBz8
Mais on la retrouve sur un piédestal, constante chez des jeunes Anglais frénétiques au nom infernal en ces années Google : Formation. “J’aime son côté bruyant, dissipé, » s’enthousiasme le chanteur Will Ritson. « Dans le chaos, elle me permet d’offrir au public une corde à laquelle se raccrocher. C’est comme un tocsin, une alarme. Et ça m’occupe les mains !”
Enrichis de milles influences
A l’écoute de ce fatras punk-funk que constitue le premier album du groupe après une brochette d’ep en feu, on pensait les frères Ritson biberonnés à ce son agité du New York de la charnière 70’s/80’s. Mais leurs références sont autrement plus surprenantes, comme si, enfants, ils n’avaient eu accès qu’aux étages bas d’une discothèque familiale classée par ordre alphabétique : W comme Wu-Tang Clan. Et Y comme Yes. Pas de ZZ Top en vue.
“La musique est pour nous une quête, confirme Matt Ritson. Nous avons passé notre adolescence à nous impressionner l’un l’autre, avec mon frère, en dénichant les albums qui tuent… Tago Mago de Can ou Fragile de Yes…”
On retrouve les deux frangins Ritson, et leurs trois partenaires de sueurs, dans leur studio de répétition, dans le nord de Londres, face à la prison de Pentonville. On s’attendait à des jams furieuses, à une transe électrique : on est estomaqué par la précision, la méticulosité avec laquelle les jeunes hommes règlent leurs chansons. On attendait une débauche d’énergie, on se retrouve face à un brainstorming. Mais une fois détails et sons en ordre de bataille, le groupe leur donne une immense liberté, leur autorise toutes les étirements. Comme si, après de longues heures de classe de physique, c’était l’heure de la récréation. La transformation est radicale, mais correspond bien à ce groupe aussi physique que cérébral.
On déniche une constante dans cette musique, des concerts enragés aux répétitions en petits souliers : la sensualité, la félinité de chansons portées par une rythmique caoutchouteuse, sexuelle. Elle fait à elle seule chavirer ces refrains parfois raides comme le post-punk, offre de la soul à ces ambiances glagla. Ce rock sans guitares, ce növö-funk à la fois anguleux et charnel est résolument destiné à la scène, farouchement conçu pour les clubs et strictement réservé aux plaisirs des foyers lubriques : il est tripolaire, à l’aise partout. Expérimental et fêtard. Contemplatif et explosif. Le nom du groupe le décrit bien : ce son est en formation, en mouvement, éponge de vacarmes et de sensations aux pourtours en extension, en révolution permanente.
C’est si bon de croiser un groupe qui ne semble pas empêtré dans sa propre formule, pas encombré de règles, nomade, novice par essence, par gourmandise d’émerveillement.
“L’inconnu est ce qui nous attire. Nous adorons jouer ce que nous ne savons pas jouer… Chez Formation, tout reste instable, sans routine, sans dogme.”
« Nous voulons être plus que juste un groupe »
Depuis quelques années en Angleterre, en ligne directe avec les révoltes scandées par la scène grime, toute une jeune génération de groupes à guitares – Shame, Cabbage, Goat Girl… – semble (re)découvrir l’engagement politique. Venus de la working class plutôt que des universités cossues (c’est un énorme changement), ces adolescent(e)s ont grandi avec le hip-hop et le grime londonien en fond sonore. Ils refusent du coup cette “apathie in the UK” dans laquelle s’était assoupi le rock. Le Brexit et sa campagne ont ainsi radicalisé une génération entière de groupes, comme Thatcher l’avait fait en 1979 : de ce chaos émergera peut-être des voix qui résonneront aussi fort et loin que celles de Clash ou des Specials.
“Ecrire est ma soupape, ce qui me maintient en vie”, dit Will, par ailleurs poète et éditeur. Citant en influences majeures aussi bien Guy Debord que Fernand Léger, les frères Ritson incarnent ainsi jusqu’à l’exaspération, l’indignation, la tradition des jeunes hommes en colère, qui donnèrent à l’Angleterre tant de grands romans et albums.
“A notre façon, nous sommes les héritiers du punk. C’est juste une autre forme de vacarme, mais l’attitude reste la même. Avec mes paroles, je veux rassembler les gens. Comme La Société du spectacle a trouvé les mots pour décrire ce que je ressentais confusément, j’essaie de dénicher un espace où les rejetés peuvent se reconnaître, s’assembler. La notion de famille est fondamentale pour nous. Nous voulons être plus que juste un groupe. C’est un gang, un mouvement, une armée de parias.”
Album Look at the Powerful People (Meno/WEA), sortie le 24 mars
Concert le 17 mai à Paris (Badaboum), puis en tournée et en festival.
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