A l’ouvrage sur le nouveau Charlotte Gainsbourg, Emile Sornin sort une variation autour d’une pantoufle qui marche sur les traces de François de Roubaix et de Katerine.
Il est d’origine charentaise, publie un deuxième album baptisé “La Pantoufle” et, s’il s’enferme souvent avec lui-même pour se raconter en musique des histoires à dormir debout, Emile Sornin n’a rien d’un fainéant. Depuis Rhapsode en 2014 (lire critique), ce jeune (32 ans) magicien en chambre n’a cessé de prolonger de façon tentaculaire son art précieux et ironique de la collusion baroque, d’enchanteur faussement naïf et d’arrangeur brocanteur futé.
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Au générique du nouveau Charlotte Gainsbourg (lire son interview avec Sebastian), qui sortira quelques jours après le sien, il est crédité sur pas moins de six morceaux, aux côtés de noms prestigieux qui lui feront sans doute de l’ombre. Mais qu’importe, de sa Pantoufle au Rest (“repos”) de Gainsbourg, on saura aisément reconnaître des liens de sons et de songes qui valent mieux que la pleine lumière des frimeurs.
Lui, tranquille Emile, est en train de creuser un sillon qui le place dans le même alignement glorieux que ses maîtres Jean-Claude Vannier, François de Roubaix, Michel Colombier, Alain Goraguer ou Ennio Morricone, en affinités électives avec ses congénères Sébastien Tellier, Fred Pallem et toute la bande d’Aquaserge avec laquelle il cousine régulièrement.
Il y a quelques années, c’est d’ailleurs dans l’antre bouillonnant des Toulousains qu’il enregistre le premier ep de sa formation d’alors, un groupe de stoner-prog volcanique baptisé Arun Tazieff. Ce fan de King Crimson et de Soft Machine cherche encore la bonne formule à travers des compositions en longues coulées de lave qui aboutissent à pas grand-chose.
L’influence du hop-hop et des BO françaises
Il fait partie d’une génération, celle des années 1990, qui a longtemps pratiqué la confusion des genres musicaux, sur un terrain miné par le metal, le grunge, la fusion, avec des noms de groupes belliqueux (Rage Against The Machine) gravés sur des sacs US.
Un jour, un camarade peu doué pour la calligraphie mais en recherche de peace et de love a inscrit maladroitement “Flower Power” sur sa besace. Emile croit voir les mots Forever et Pavot, dont l’association lui reviendra lorsqu’il faudra trouver un nom à ses agissements solo. Curieusement, c’est son amour du hip-hop – autre tendance lourde des 90’s – qui l’a conduit à la légèreté de moyens et aux astuces en trompe-l’œil de Forever Pavot.
“J’en écoutais beaucoup quand j’étais ado, et de fil en aiguille j’ai commencé à m’intéresser à la fabrication de cette musique, aux samples, aux collections de disques que l’on épluche à la recherche d’un son étrange ou d’une rythmique.”
“C’est grâce à des gens comme Madlib, qui samplait beaucoup de BO françaises ou de groupes européens des années 1970, que j’en suis venu à découvrir tout un pan de la musique faite ici, ou en Italie, et que j’ignorais totalement.”
Mélodies ludiques et bouffées nostalgiques
Un premier ep en 2013, Christophe Colomb, explore encore les continents du psychédélisme progressif mais tend des ponts vers la pop baroque et les musiques de genre, dont l’album Rhapsode sera l’année suivante le réceptacle magique.
Emile s’est offert entre-temps tout un barnum d’instruments (clavecins, xylophones, flûtes, orgues…) qu’il orchestre seul, entre rêveries orientalistes, comptines anamorphosées, maraboutages surréalistes et bouts de ficelle phosphorescents.
François de Roubaix a disparu au fond des océans depuis quarante ans mais l’époque ne cesse de lui faire des enfants, qui comme lui portent le cheveu long et cultivent un mimétisme musical fait de thèmes hypnotiques et de chocs électro-acoustiques, de mélodies ludiques et de bouffées nostalgiques.
“C’est l’homme qui a expérimenté la musique telle qu’on la pratique aujourd’hui, l’un des premiers à posséder un home-studio, à mélanger les premiers synthés avec l’orchestre et à inclure des instruments bizarres ramenés du monde entier. Il venait aussi du jazz, et il y a dans sa musique un feeling qui résonne encore dans toute notre génération.”
Le Bon Coin Forever
Tout près de lui, son bassiste Maxime Daoud vient de publier le splendide Euphonie sous le nom d’Ojard (lire critique ici), dont les instrumentaux graciles doivent également beaucoup à l’homme-orchestre de la rue de Courcelles.
Avant La Pantoufle, Forever Pavot s’est laissé entraîner dans un drôle de road-trip à travers la campagne du Poitou-Charentes, à la recherche de propriétaires d’instruments rares repérés sur Le Bon Coin, donnant lieu à un documentaire et un album (Le Bon Coin Forever) de miniatures enregistrées chez l’habitant, où Emile s’amuse avec des cymbalums, dulcimers, épinettes et autres harmoniums comme avec des synthés qui somnolaient sur la poussière. De Roubaix aurait adoré.
Agglomérer les histoires, faire revivre les souvenirs, tisser des toiles avec les fibres sentimentales en sommeil, telle est aussi la démarche qui a présidé à la fabrication de La Pantoufle. Son frère Baptiste, de trois ans son aîné, est comédien de théâtre et de cinéma.
Une improbable histoire de godasse
Au cours de l’écriture d’un spectacle basé sur les souvenirs d’enfance, il se rappelle une histoire absurde de pantoufle qu’Emile avait égarée chez ses grands-parents, occasionnant un branle-bas familial à la recherche de l’introuvable godasse.
“Nous étions dans la campagne rouennaise, se souvient Emile, et mes grands-parents avaient un puits dans leur jardin. Après au moins une heure à chercher la pantoufle disparue, mon frère m’a demandé si par hasard je ne l’avais pas balancée dans le puits.”
“J’ai répondu oui du tac au tac, ce qui était entièrement faux, mais sans doute que ça me plaisait de faire croire à un truc un peu mystérieux. Je ne me souvenais pas du tout de cette histoire, mais quand mon frère me l’a rappelée, j’ai immédiatement pensé que ça ferait un chouette fil rouge pour l’album.”
Emile imagine d’abord un récit tournant autour de la seule pantoufle, qui finit par dériver en une fresque absurde où s’entrecroisent des histoires de Beefsteak, d’œufs en chocolat de luxe (The Most Expensive Chocolate Eggs), de groseilles au fond du jardin ou de Soupe à la grolle.
De Katerine à Quentin Dupieux
Il ose le patois charentais et le français dadaïste dans une recette aux arômes chatoyants où les ingrédients s’associent avec autant d’élégance que d’audace dans leurs discordances. Il y a du sexe (Jonathan et Rosalie), de l’étrange (Père, qui évoque les pièces baroques jouées aux synthés par l’homme/femme Walter/Wendy Carlos), des crimes et des procès, des strangulations (Les Cordes), sur des musiques follement expressives et amicalement pop.
Emile adorerait travailler avec Katerine, dont il vénère le dernier album (Le Film), et il y a une parenté évidente entre ces doux excentriques nourris aux mêmes biberons, surtout lorsqu’à la fin de l’album la voix qui nous a pas mal chahutés répète en boucle “C’est reposant, le son des ondes Martenot” comme une dernière énigme à résoudre soi-même.
Parmi les Français libérés avec lesquels il s’estime en télépathie, Sornin cite aussi Quentin Dupieux, avec lequel il partage la double casquette de musicien et de réalisateur. Son CV de clippeur affiche ainsi les noms de Disclosure, Dizzee Rascal ou Alt-J, il a aussi donné alimentairement dans la pub et voit sa Pantoufle comme l’équivalent du pneu de Dupieux (Rubber), sommet de non-sens anthropomorphique.
https://www.youtube.com/watch?v=SFx-kV6z4i4
“J’ai toujours considéré la musique sous plusieurs angles, un son était toujours lié à des images, et j’ai ainsi beaucoup tourné autour de toutes les musiques qui m’intéressaient pour en explorer les différentes facettes. Du coup, mes deux métiers de réalisateur et de musicien me permettent désormais de relier toutes ces fascinations.”
S’il ne comprend pas (et nous encore moins) pourquoi personne n’a encore jamais fait appel à lui pour des musiques de films, en dehors de quelques courts métrages, cette Pantoufle pourrait amplement l’aider à franchir le pas. En attendant, c’est sur le répertoire d’Yves Simon, le temps d’une traversée urbaine de Paris 75 durant laquelle il a embarqué un autre Rochelais, Lescop, que l’on verra l’an prochain Pavot battre le pavé, pour un morceau qui est à lui seul un film.
Album La Pantoufle (Born Bad/L’Autre Distribution)
Concerts Le 2 février à Bordeaux, le 7 à Rennes, le 8 à Nantes, le 14 mars à Villeneuve-d’Ascq, le 15 à Paris (Maroquinerie)
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