En faisant retomber l’électronique en enfance, en écrivant des bandes-son rêveuses pour l’ORTF, les Anglais de Plone viennent de sortir l’album le plus étonnant et ravissant de la rentrée : For beginner piano, ou comment présenter Kraftwerk et John Barry dans un bac à sableTout confondu, c’est sans doute de cette rentrée l’album le plus […]
En faisant retomber l’électronique en enfance, en écrivant des bandes-son rêveuses pour l’ORTF, les Anglais de Plone viennent de sortir l’album le plus étonnant et ravissant de la rentrée : For beginner piano, ou comment présenter Kraftwerk et John Barry dans un bac à sable
Tout confondu, c’est sans doute de cette rentrée l’album le plus pétillant, ludique, mélodique, ingénieux et intrépide. C’est aussi le disque le plus mélancolique, doucereux, poétique et déroutant. For beginner piano, le premier album de Plone, trio de Birmingham porté sur l’électronique simplette et les soundtracks de poche, est d’un bout à l’autre un ravissement. Un de ces machins bizarroïdes a priori sans grande allure qui s’incrustent pourtant très profond dans la mémoire, à la manière sournoise et drôlement troublante des odeurs ou des sons du premier âge, quand on n’a pas acquis d’habitudes ni de réflexes de protection émotive, lorsqu’on demeure encore d’insatiables buvards à sensations auditives.
Un jeu d’enfant, donc, à l’adresse de tous ceux qui auraient l’intention de le rester ou de le redevenir au moins de temps à autre. Aux jeunes pères et mères de famille, on le conseillera d’ailleurs en administration intensive quand il faudra tamiser les colères du nourrisson. A l’instar des Soothing sounds for baby du bon vieux pédiatre musical Raymond Scott subtiles miniatures électroniques à l’adresse des moins de 3 ans , c’est radicalement plus efficace qu’une peluche Disney ou qu’un mobile Fisher Price dont le tourniquet aérien n’est rien comparé aux mouvements apaisants de ces musiques à fort pouvoir hypnotique et à l’euphorie tendre et magnétique. De petites musiques synthétiques qui, du coup, synthétisent sur leur passage des rayonnages entiers et éloignés de nos discothèques : de Kraftwerk à Morricone, de François de Roubaix aux Residents, des airs cartoons de Jean-Jacques Perrey à l’univers carton-pâte d’Air, pour ne citer que les plus évidents. Musique interdite aux cyniques, qui ne devraient pas manquer de dégoiser sur la légèreté puérile et sentimentalement régressive de ces gentilles acrobaties à l’élasticité suspecte.
Billy, Mike et Mark, moins drôles et éveillés que leur musique, nettement plus anodins individuellement qu’on l’aurait cru en écoutant leur babillage collectif, n’ont rien à dire pour leur défense et ne se sentent d’ailleurs accusés de rien. Ils ont raison. Leur album retrace deux années de circonvolutions musicales au beau fixe, depuis Press the key, le premier single sorti sur l’excellent et défunt label Wurlitzer Jukebox il y a deux ans, jusqu’à Plock, titre onomatopéique qui marqua leur alunissage chez les fêlés de Warp l’an passé. Une assez flatteuse collection de vignettes rétrofuturistes sans prétention mais sûrement pas sans substance, qui, sous ses dehors décoratifs, possède d’assez puissants moyens de séduction, telles ces musiques au mètre des librairies de sons sixties et seventies dont on découvre peu à peu les charmes décapants. Des musiques dégriffées essentiellement destinées à l’illustration d’images et qui sont ainsi parvenues aux oreilles adolescentes des futurs membres de Plone via la démocratie cathodique : « Nos parents n’avaient pas assez d’argent pour nous payer des chaînes stéréo et des disques, donc notre culture musicale s’est principalement forgée à partir des génériques d’émissions et de séries télévisées. Même à l’école, quand les professeurs en avaient marre de nous supporter, ils nous passaient des vidéos scientifiques dont le contenu était assommant mais les musiques d’accompagnement géniales et futuristes. » C’est encore en pleine lucarne que Mark, au début des années 80, capte sa première grande révélation esthétique : « Il y avait ce programme éducatif de la BBC intitulé Tomorrow’s world et je me souviens y avoir vu Kraftwerk jouer live sur le plateau. Je n’ai plus pu depuis ce jour-là envisager la musique autrement. »
Les trois membres de Plone n’avouent aucun passif en matière de sudation rock’n’rollienne, pas la moindre envie coupable à la vue des rondeurs d’une guitare et pas de fascination particulière non plus pour les héros qui les empoignent. Ils ne goûtent pas davantage les prouesses digitales des programmeurs fous et toute la chirurgie informatique de la techno de pointe : « Nous aimons juste appuyer sur des touches de claviers, sentir la pression sous nos doigts et agencer les sons analogiques de nos vieilles bécanes détraquées. Tous nos synthés sont d’époque, nous n’utilisons jamais d’ordinateurs et la pratique froide et rigide de la techno nous est totalement étrangère. » Ils se définissent avant tout comme des mélodistes, des agitateurs d’airs et comme des agenceurs d’ambiances, revendiquant l’héritage des Beach Boys, des Flying Lizards, de Joe Meek ou de Lee Scratch Perry. Du reste, il y a dans les dix airs friables et solubles de For beginner piano beaucoup de citations apprises par coeur, notamment chez John Barry (On my bus, Top & low rent), mais comme récitées à l’envers ou librement complétées, hachées, parasitées et raturées.
Chez eux pourtant, le détournement musical n’a rien d’une profession de foi libertaire. Ils préfèrent à l’image de leurs cousins français d’Air passer pour d’inlassables naïfs plutôt que d’avoir à se protéger derrière un bouclier esthétique, quitte à risquer l’opprobre des éternels petits épiciers du modernisme. Oui, Plone aime vraiment la préhistoire de l’électronique musicale, quand les ordinateurs ressemblaient à d’énormes mouches et que les synthétiseurs émettaient des fréquences métalliques semblables à des couinements sympathiques de Martiens. D’ailleurs, certains titres (Marbles, Be rude to your school) auraient pu figurer tels quels au générique délavé d’une obsolète série documentaire ORTF dont on imagine d’ici l’habillage vasarélien. C’est précisément cette perfection dans le clonage qui cette fois emporte la mise, Plone s’y illustrant comme une parfaite usine à débiter des madeleines. Ne dissimulons pas les plaisirs aigrelets que procure un tel effort de mémoire. Nous sommes ici plus sûrement dans le rituel que dans le virtuel, dans une stimulation des valeurs affectives plus que dans la simulation propagandiste et simpliste de Matrix.
For beginner piano pianote donc sur nos cordes sensibles avec l’agilité ensorcelante de ces grands maîtres de l’illusion sonore que sont les musiciens de cinéma et autres trafiquants anonymes de nos plus vibrants souvenirs visuels. Plone use ainsi d’une grammaire commune à tous, d’un vocable identifiable de 7 à 77 ans et pourtant, sur ce tronc commun, leur marque propre apparaît facilement, comme entaillée au canif, affirmant au fil des titres une personnalité imposante. Warp ne s’y est pas trompé, qui a signé dans l’embryon ce non-groupe dont John Peel, en bookmaker avisé, programmait les premiers pas lors de l’édition 97 du festival Meltdown. Depuis, la presse anglaise, la fierté tuméfiée d’avoir dû concéder la domination française sur ce terrain de l’electro ludique, leur confie ses plus nationalistes espoirs de reconquête.
« On laisse les gens parler de nous, définir notre son, élaborer des théories sur notre approche de la musique. Nous, on ne veut rien en dire parce que, honnêtement, on n’a rien à en dire. Les gens doivent croire qu’on a une culture musicale immense et que notre projet a été longuement élaboré. Pourtant, on n’est ni des sorciers de studio ni des stratèges de la création électronique. Tout ce que nous jouons sur l’album, nous l’avions appris quelques jours plus tôt. Nous sommes non seulement des musiciens débutants, comme l’indique le titre de l’album, mais aussi des débutants dans la vie. Nous sommes tous les trois monstrueusement paresseux, ce fut une aubaine d’apprendre qu’on pouvait écrire de vraies chansons avec un minimum de technique. » Un dernier effort, néanmoins, permettra à Mark d’improviser une explication farfelue du nom Plone : « Disons que c’est comme le mot « phone » avec un « l » à la place du « h ». Ou comme « plane » dont on aurait remplacé le « a » par un « o ». Pour s’amuser. »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}