Révélations du dernier Festival des Inrocks, les Irlandais livrent un premier album sauvage et insolent, à l’image de leurs concerts émeutiers.
22 novembre 2018. Les cinq membres de Fontaines D.C. débarquent à Paris sur la scène de la Gaîté Lyrique pour donner le coup d’envoi d’une soirée du Festival des Inrocks. Propulsés au premier rang des découvertes rock à suivre, sur la foi d’une poignée de singles, ils se montrent largement à la hauteur de la réputation qui les précède. Devant leurs déflagrations cinglantes, à l’urgence échevelée, on a la sensation d’assister aux premiers pas d’un groupe qui compte déjà.
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Leur chanteur, Grian Chatten, magnétise tous les regards en arpentant son terrain de jeu comme un fauve en cage, avec autant de rage que de panache. “Est-ce que c’est trop réel pour vous ?”, éructe-t-il, un brin moqueur, sur l’abrasif Too Real. Ses quatre amis, 20 ans et des poussières eux aussi, jouent sur un mode explosif, au bord de l’autocombustion. On n’aimerait pas être à la place des trois autres artistes à l’affiche qui vont devoir succéder à une telle tornade électrique.
L’authenticité est primordiale dans la musique du quintette
Lorsqu’on les croise juste après cette performance jubilatoire, ils nous glissent avoir fini d’enregistrer leur premier album à Londres et avoir eu envie d’y donner un aperçu de l’intensité et du son en concert. Excellente idée – il n’aurait surtout pas fallu essayer de canaliser, d’apaiser ou de policer leur furie. C’est le producteur réputé Dan Carey (The Kills, Franz Ferdinand, Kate Tempest) qui s’est chargé de les épauler.
Le résultat, intitulé Dogrel, s’ouvre sur Big, un morceau expéditif qui est accompagné d’un des meilleurs clips de l’année. Molly Keane, la réalisatrice, a choisi de tourner un plan-séquence centré sur un jeune garçon. “Mon enfance était minuscule, mais je vais être énorme”, chante-t-il, en play-back et en nous emmenant sur ses pas, le long d’une rue d’un quartier populaire de Dublin.
Le nom de Fontaines D.C. rend hommage à la ville qui les a nourris : D.C. comme Dublin City. Grian Chatten prend un malin plaisir à laisser intact son accent du cru, contrairement à d’autres groupes irlandais qui prennent un accent américain passe-partout. Comme chez Shame ou Idles, l’authenticité est primordiale dans la musique du quintette, qui n’hésite pas à citer ouvertement ses héros, des Pogues à Girl Band, de Mark E. Smith à James Joyce, en passant par la Beat Generation.
Des riffs exaspérés et un humour grinçant
Ces musiciens lettrés sont d’ailleurs devenus amis grâce à leur passion commune pour la poésie, alors qu’ils faisaient encore leurs études à l’université, bien avant de se mettre à la musique. “C’est très important à nos yeux de laisser la poésie se diffuser à travers notre musique, explique Grian. Le songwriting ne doit pas être forcé, ni se conformer à une intention précise. On essaie de garder une sorte de pureté. On adore tous lire et écrire de la poésie, creuser ces pensées toujours plus profond et découvrir des choses obsédantes au fond de ce trou. Tout cela se reflète naturellement dans notre musique.”
Entre humour goguenard, réalisme social et poésie beat, les paroles de Fontaines D.C. alternent spoken word et chant. Elles servent à merveille les riffs exaspérés de ce premier album, notamment sur les foudroyants Hurricane Laughter et Boys in the Better Land. Mais elles contribuent aussi à véhiculer une mélancolie surprenante sur certains morceaux plus calmes comme Roy’s Tune, The Lotts et Dublin City Sky, prouvant au passage que le groupe peut s’évader du post-punk tendu pour mettre au jour des sentiments plus doux.
“On voulait montrer d’emblée qu’on savait faire autre chose, qu’on était prêts à explorer toutes nos émotions”, avoue Conor Deegan III, leur bassiste. Carlos O’Connell, l’un des deux guitaristes, rebondit : “Tous les groupes sont capables de ressentir cette large palette de sentiments, mais la plupart préfèrent les ignorer.” Conor reprend la parole : “On en revient encore à cette réflexion sur l’authenticité qui ne nous quitte jamais. Ne présenter qu’une seule facette, ce serait mentir sur qui nous sommes.”
Il nous confie qu’ils pensent enregistrer leur deuxième album avant la fin de l’année. En attendant la suite, on savoure les onze morceaux de Dogrel, aussi puissants dans la fureur que dans le spleen. Ces deux extrêmes sont visibles sur la pochette : un cheval se cabre pendant qu’un autre est à terre. Les pur-sang indomptables de Fontaines D.C. ne sont qu’au tout début de leur cavalcade.
Dogrel (Partisan/PIAS)
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