Un peu plus de deux semaines avant la sortie d’Holy Fire, Yannis Philippakis nous raconte la création du troisième album de son groupe. Longue rencontre avec le complexe leader de Foals.
Avez-vous dû faire face à des impasses pendant l’enregistrement de Holy Fire ?
Sur certaines paroles oui. Elles n’étaient pas assez claires pour moi. Je suis parti en Grèce à un moment pour prendre un peu de recul. Pour certaines chansons, les paroles sont venues très facilement. Pour d’autres, j’ai dû les retravailler, essayer de trouver de nouveaux points de vue. Je suis très attaché aux paroles. Si elles viennent d’elles-mêmes, ça me va, mais si je peux prendre le temps de dessiner une toile de fond, c’est mieux. Parfois, une chanson peut s’effondrer sous le poids des mots. Il faut sans cesse trouver l’équilibre entre des paroles qui veulent dire quelque chose pour moi et qui me semblent artistiques, sans que celles-ci n’écrasent le morceau. Le pH des paroles, leur acidité, doit s’adapter à la chanson. C’est parfois très difficile. Certains titres ont été écarté de l’album pour cette raison : la mélodie était bonne, mais les paroles ne trouvaient pas leur place. J’y reviendrai sûrement plus tard.
En quoi penses-tu avoir évolué en tant que songwriter ?
Je ne pense pas avoir beaucoup changé de ce point de vue-là. Lorsqu’on écrivait Holy Fire, je gardais toujours un carnet avec moi pour noter des bribes d’idées. C’était un peu comme aller à la chasse aux papillons. Les meilleures idées me viennent souvent juste avant de m’endormir, entre le moment où mes yeux se ferment et celui où mon cerveau se déconnecte, ou même au milieu de la nuit. En général, je pense à un truc et je l’oublie aussi vite ou je ne m’en rappelle pas le lendemain matin. Ce carnet m’a permis d’éviter ça.
Une grande partie des paroles de Holy Fire parlent du manque, du besoin de quelqu’un et même d’un certain besoin d’attention.
Peut-être. Je n’ai pas vraiment analysé les paroles de ces chansons. Je crois que la différence entre cet album et les deux précédents réside dans le fait qu’avant, j’avais peur d’écrire des paroles trop évidentes, trop honnêtes ou trop personnelles. Pour Holy Fire, je me suis débarrassé de cette angoisse. Je voulais même presque être mal à l’aise en chantant certaines paroles. Ça a été le moteur de toute l’écriture de cet album : dès que des paroles me gênaient, dès que je me sentais mal à l’idée de les chanter devant les autres, je les gardais. J’avais besoin d’être hors de ma zone de confort. Si je pouvais y rester continuellement, je passerai mon temps à écrire des paroles abstraites, de belles métaphores ou des jeux de mots étranges. Je m’amuserais à enfiler des dizaines de masques différents et à obscurcir le sens de mes paroles. Peut-être que je reviendrai à ça dans le futur mais pour l’instant, j’avais besoin de ça. Je suis tellement admiratif d’une idée du songwriting très élémentaire auquel tout le monde peut se rattacher, celui où l’on peut faire de très grandes déclarations formulées avec des mots simples. Il y a une certaine beauté dans cette façon de dire les choses.
Comme dans Late Night où tu chantes « oh now mama, do you hear me calling out your name? » (« et maintenant maman, tu m’entends crier ton nom ?« ) ?
Voilà. Je n’ai pas du tout envie que ma mère entende ces paroles, je ne veux même pas que qui que ce soit m’écoute chanter ça. Je serai tellement mal à l’aise d’entendre un truc pareil : c’est se mettre à poil, c’est brut et finalement, ça me fait du bien.
Holy Fire semble encore plus introspectif que Total Life Forever.
Certaines chansons sont plus sombres, comme Moon et Stepson par exemple. J’ai l’impression qu’il y avait déjà des moments comme ça sur l’album précédent. J’adore écrire des morceaux comme ça. Si on me laissait faire, je ne ferais que ça, j’écrirais un album complètement introspectif. Mais c’est aussi ça le but d’être dans ce groupe : ne pas me laisser partir dans cette direction. Foals est là pour ne pas nous laisser faire ce qu’on aurait tendance à faire naturellement. Je crois que cet album est plus contrasté, qu’il y a autant de lumière que d’ombre.
Tu disais il y a quelques temps que Dave Sitek vous avait beaucoup aidé en vous disant que vous n’étiez pas tous obligés d’être là pour composer un nouveau titre, que chacun pouvait changer de place dans le groupe et que vous pouviez supprimer certains instruments parfois : vous aviez ça en tête en écrivant Holy Fire ?
Pour Moon et Stepson par exemple, oui. Ça rejoint aussi l’idée que l’on peut se permettre d’écrire des chansons comme celles-ci mais aussi des titres comme Inhaler ou My Number et que quoi qu’il arrive, tous ces titres sonneront toujours comme du Foals.
Il y a cette chanson, Providence, qui ne ressemble à aucune autre sur Holy Fire. Y’a-t-il une histoire derrière ce titre ?
Cette chanson est née d’un très long jam. C’est un peu une chanson Frankenstein parce qu’on l’a découpée plusieurs fois pour la reconstruire. Les paroles ont un peu changé son esprit en la faisant devenir un peu plus gospel. On était inquiets de la jouer en live, mais finalement, c’est une de celles qu’on s’amuse le plus à jouer. Cette chanson rejoint l’idée de libération dont on parlait tout à l’heure : elle ne sonne comme aucune des chansons qu’on a pu écrire jusque-là mais en même temps, elle ne pourrait être de personne d’autre que nous. On a voulu tout faire sur cet album : avoir des morceaux comme Providence et des titres comme Moon et que l’ensemble du disque ait du sens.