Foals revient, et revient très fort : interview exclusive de Yannis Philippakis à propos du phénoménal nouvel album des Anglais, « What Went Down ».
Les Anglais ne sont pas revenus à La Fabrique depuis la fin de l’enregistrement de leur nouvel album, intitulé What Went Down et à paraître le 28 août. Ils auraient pu nous inviter à Londres, ou chez eux à Oxford, pour cette première écoute. Mais Yannis Philippakis et Jimmy Smith, chanteur et guitariste de Foals, ont préféré le décor magique de ce studio grandiose, lové au cœur de la Provence et au pied des Alpilles, où ils ont passé quelques mois cet hiver, produits par James Ford, à enregistrer cette suite du Holy Fire paru en 2013.
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On les comprend. Sous le soleil et dans un mistral printanier, l’immense parc, ses arbres centenaires, sa source cachée, son âne tranquille dessinent un paradis merveilleux, retiré des excitations mondaines. L’imposante bâtisse, ancien moulin à garance abritant dans infinies ses bibliothèques l’ahurissante collection d’Armand Paginel (200 000 vinyles classiques et 40 000 films) ressemble quant à elle à un refuge où seul le bonheur, le calme et la plénitude semblent pouvoir s’exprimer -Nick Cave, Christophe, Morrissey, Arthur H, Julien Doré ont, notamment, trouvé ici le havre nécessaire à leur création.
Est-ce la magie de l’endroit, une nouvelle médication, un changement dans la chimie de ses humeurs ? Impossible à dire. Mais c’est un Yannis Philippakis transformé que l’on rencontre. Un nouvel homme : autrefois sombre, tortueux et torturé, le chanteur de Foals est cette fois ostensiblement heureux, paisible, souriant, rigolard. L’Anglais est en confiance et le dès le premier morceau qu’il nous fait écouter, le massif, enragé et enrageant morceau-titre et ouverture What Went Down, dont on entend quelques secondes dans le teaser ci-dessous, on sait pourquoi : le quatrième album de Foals est phénoménal.
Bien meilleur encore que ne le fut sans doute Holy Fire. Plus varié, plus abouti, mieux écrit. Plus direct, plus instinctif, d’une puissance sonique et mélodique ahurissantes. Une boule d’énergie ravageuse en même temps qu’une collection de tubes impeccables (Mountains At My Gate, Albatross, Night Swimmers ou Snake Oil notamment), une fusion d’influences metal et de reflets pop, de blues primal et de mélodies Technicolor. Une alternance d’uppercuts sanguins, de chansons sexuelles et de balades sombres, un disque bigger than life où Foals scrute les horizons à 360° et rencontre les Black Keys, Queens of the Stone Age, Two Door Cinema Club, les Pixies, Eagles of Death Metal, Depeche Mode, les White Stripes, Jon Spencer, le soleil et l’obscurité, les racines et les étoiles, l’amour et la violence, la fosse et le dancefloor.
Gigotant à nos côtés comme s’il s’excitait à la première écoute de la musique d’un autre, Philippakis nous fait fièrement écouter 13 morceaux de l’album à venir. Tous excellents. Seuls 10 finiront sur What Went Down et les choix n’ont pu qu’être cornéliens : cette profusion prouve que Foals, pour qui la création fut jadis une torture, est en immense forme et que le groupe n’a sans doute pas encore fini de grandir. Avant une plus longue interview dans les semaines à venir, et le dévoilement d’un premier single dans les jours qui viennent, l’Anglais nous explique, au débotté, pourquoi.
ENTRETIEN
Vous avez commencé à écrire cet album pendant vos tournées.
Yannis Philippakis : Oui, quelque chose d’un peu nouveau pour nous. On a trouvé quelques riffs de guitares, notamment, pendant les soundchecks. Nous avons essayé d’écrire un peu plus proprement en avril, à Oxford, mais ça n’a pas été très productif. Nous avons repris la tournée et sommes retournés dans notre studio en septembre, où au contraire les choses sont venues assez naturellement : nous avons écrit jusqu’en février de cette année, ce qui est pour nous un processus très rapide. Puis nous sommes venus enregistrer ici, à la Fabrique.
Vous aviez gagné en confiance, pendant la tournée, pour écrire si vite ?
Oui, probablement. Nous avions plus d’appétit. Auparavant, à la fin d’une tournée, nous avions besoin d’un peu d’air, de mettre un peu de distance entre nous, avant de nous remettre à travailler. Mais ces dernières tournées se sont faites dans de bonnes conditions, nous étions un peu plus relax, je crois que nous avions déjà, même en pleine action, cet espace dont nous aurions pu avoir besoin dans d’autres circonstances. Pas seulement de l’espace entre nous, mais surtout de l’espace pour nos propres vies respectives, nos plannings nous laissaient vivre une vie normale pendant quelques jours, on pouvait voir nos familles. On pouvait même commencer à s’ennuyer : l’appétit pour la création a tout de suite été là, sans délai. Et le faire rapidement était un désir. Pour Holy Fire, nous avions décidé de ne nous imposer aucune limite, notamment temporelle. Et avoir trop de temps pour écrire peut devenir néfaste : cette fois, nous voulions nous imposer un peu plus de pression.
Cette confiance s’entend clairement sur ce disque, et notamment dans ton chant.
Oui. Je suis plus à l’aise avec ma voix, je me sens désormais vraiment chanteur. Auparavant, on avait tendance à finir par mes voix, et j’étais très conscient de ça. Mais j’ai découvert que ma voix pouvait structurer, mener une chanson, qu’on n’avait pas à se concentrer comme des fous sur les instrumentations en faisant de mon chant un élément secondaire, pour lequel il fallait ensuite créer de l’espace. Nous avons commencé à écrire avec Jimmy, juste une guitare et un piano Rhodes au départ, nous n’avons ajouté des couches de son que plus tard, et les morceaux étaient naturellement plus menés par ma voix qu’auparavant. J’avais également le désir, simplement, de communiquer plus avec ma voix. J’ai aimé écrire des mélodies vocales plutôt que des mélodies de guitare. Et j’ai aimé me concentrer beaucoup plus sur l’écriture des textes. Plus tôt dans l’histoire du groupe, écrire pour des pop songs m’a frustré, mes textes étaient trop complexes ou trop délicats par rapport à ce que l’on peut mettre dans une chanson ; il faut s’adapter au rythme, aux pieds, et ça peut perturber le message que l’on cherche à transmettre. Les mots venaient après le reste mais, cette fois, je voulais pouvoir exprimer exactement ce que j’avais envie d’exprimer, et ça a nécessité beaucoup de travail en amont, et un inversement des priorités.
Tu sembles avoir beaucoup évolué depuis quelques années : plus assuré, plus tranquille, plus relâché, peut-être plus positif ou heureux.
Heureux, je ne sais pas. Je me sens plus satisfait de certaines choses, je reste en revanche en conflit avec d’autres. Mais c’est vrai, je suis probablement une personne totalement différente de celle que j’étais il y a cinq ans. Je ne me souviens même pas qui j’étais alors –probablement un connard. (rires) Je reste cependant animé par quelque chose : je ne suis pas du genre à m’asseoir sur mes lauriers, en attendant qu’un esclave me nourrisse de foie gras et de raisin… J’ai faim de création, et je reste prêt à me sacrifier pour ça. J’ai longtemps développé beaucoup d’énergie, mais une énergie souvent négative. Et j’avais toujours au cœur cette insécurité de l’artiste qui écrit, enregistre, publie un disque et espère qu’il sera entendu. Mais cette peur a disparu. Nous avons déjà sorti trois albums, des gens les ont écoutés et personne ne peut plus nous enlever ça : nous ne seront jamais totalement effacés. Nous avons aussi beaucoup évolué, gagné en confiance, en tant que groupe. Nous avons réussi à créer notre espace, nous y évoluons naturellement, nous nous approchons du point où nous pouvons communiquer, musicalement, de manière télépathique. Nous sommes plus libres, et ça nous permet d’être plus directs dans notre écriture. Nous pouvons faire ce que nous voulons, plus facilement. Nous n’avons plus autant besoin de nous parler qu’auparavant. Nos discussions sont devenues assez minimales, nous savons quand quelque chose est bon ou quand quelque chose ne va pas. C’est un instinct collectif : nous fonctionnons comme une meute de loups. Ca vient du temps passé ensemble, des concerts que nous avons enchaînés. Un bon concert, pour Foals, est quand nous avons l’impression d’être une bête à dix jambes, une masse unique de chair qui bat au même rythme, sur le même tempo. L’une des raisons de faire cet album aussi vite était de conserver ce type d’énergie : quand on se sépare deux mois et qu’on se retrouve à nouveau dans la même pièce, on doit réapprendre à se connaître, on doit retrouver cet instinct, qui peut vite s’effacer.
Dans quel état d’esprit étiez-vous après Holy Fire, votre précédent album, et les tournées qui ont suivi ? Etiez-vous satisfaits ou frustrés par quelque chose en particulier ?
Nous étions heureux, nous n’étions pas las les uns des autres, nous prenions beaucoup de plaisir à jouer : nous voulions tout de suite utiliser cette énergie dans un nouveau processus de création. Holy Fire avait bien marché commercialement mais il avait des défauts, et j’avais l’impression qu’on aurait pu faire mieux. C’est ce que nous avons essayé de faire avec celui-ci : je pense sincèrement que c’est le meilleur que nous ayons enregistré. Je suis habituellement amoureux de l’album tel que je le fantasme, avant de l’enregistrer. Mais à mesure que les choses se réalisent, qu’il prend une forme concrète, je suis déçu par certaines choses, je suis frustré par les disparités entre ce que j’avais en tête et ce que nous enregistrons. Je me suis souvent senti un peu trahi par mes propres fantasmes. Ca a cette fois beaucoup moins été le cas : cet album est beaucoup plus proche de ce que j’avais en tête que les précédents.
Quel était le fantasme initial ?
Je voulais qu’il soit beau, fou, puissant, passionné, violent, sexuel. Je voulais qu’il soit tout cela à la fois. Ca ne peut jamais être tout à fait le cas. Mais quand j’écoutais les précédents albums, après leur enregistrement et avant leur parution, je leur trouvais toujours des manques, des défauts. Je suis cette fois satisfait de ce que j’écoute : nous avons trop de chansons pour un album, et j’ai du mal à choisir celles qui y figureront et celles qui n’y seront pas. C’est un bon signe.
Ce disque sonne comme un album de Foals mais il semble beaucoup plus varié, sur un plan stylistique, que les précédents. Il y a notamment une influence beaucoup plus marquées de la soul ou du gospel. Pensez-vous avoir réussi à affiner votre formule ?
Nous ne pensons jamais en termes de formule, de genre, de collage : nous faisons les choses de manière plutôt instinctive, selon nos goûts, notre feeling de ce qui est bon pour nous, pour le morceau. Nous faisons de la musique comme moi, en tant qu’auditeur, j’en écoute : tous azimuts et sans me poser d’autre question que celle de la simple appréciation. Nos chansons peuvent sonner comme du heavy metal, elles peuvent être des balades très calmes, mais à partir du moment où je chante, à partir du moment où ce sont nous cinq qui l’écrivons, ça sonnera comme du Foals. Je ne veux pas évoluer dans un espace étroit, je veux que nous soyons, sur un plan créatif, avides et affamés.
Que peux-tu me dire de l’influence de James Ford, qui a produit l’album ?
Il a renforcé les liens qui existaient entre nous, il a permis cette télépathie dont je parlais plus tôt. Il nous a laissés faire. Il peut avoir des avis tranchés sur certaines choses, mais nous nous sommes vite rendu compte que nous avions souvent le même avis, les mêmes goûts. Le processus a cette fois été harmonieux, et c’est quelque chose d’assez neuf pour nous. Ca s’était un peu amélioré avec Alan Moulder et Flood sur Holy Fire, mais nos deux premiers albums avaient souvent été marqués par des désaccords avec nos producteurs.
Pourquoi l’avoir choisi ?
Nous en avions déjà parlé dès 2007, et il avait été question qu’il enregistre notre premier album, mais ça ne s’est pas fait. Nous avons en revanche toujours gardé cette envie à l’esprit. Nous-mêmes ainsi qu’Alan Moulder et Flood sentions, collectivement, que nous ne devions pas refaire un album comme Holy Fire, en suivant les mêmes méthodes. Et nous avons pris l’habitude de changer de producteur à chaque album. Nous n’avions entendu que du bien de James Ford. Nous aimons ses propres disques, ceux de Simian Mobile Disco, comme ceux qu’il a produits. Celui des Arctic Monkeys, par exemple, sonne selon nous incroyablement bien, nous avions adoré son travail avec les Klaxons notamment. Le choisir nous semblait donc logique. Nous avions un respect préalable pour lui, nous nous sommes rencontrés, le courant est bien passé, et avant d’avancer plus avant, nous avons testé des choses avec lui, qui ont immédiatement bien fonctionné.
Existe-t-il des groupes actuels que tu admires pour leur musique, ou leur manière de la concevoir ?
J’aime beaucoup Jai Paul. J’adore sa furtivité, la manière qu’il a de faire les choses dans l’ombre, de manière assez déconnectée des canons habituels de l’industrie du disque. Il ne donne pas d’interviews, on sait peu de choses de lui, mais sa musique est géniale, incroyablement novatrice, il semble être le seul à réfléchir comme il le fait. J’envie assez cette manière d’opérer. Les autres groupes que je peux admirer sont souvent plus gros que Foals. J’aime Arcade Fire, par exemple : un groupe énorme, mais qui a su conserver ses qualités.
Que peux-tu me dire de l’enregistrement de cet album ? Il a été intégralement conçu à la Fabrique ?
Oui, nous sommes arrivés fin février et avons terminé début avril. Quand nous sommes arrivés, il faisait encore froid, les arbres étaient nus, le Mistral était déchaîné, puis nous avons progressivement vu les prémisses du printemps arriver. C’est ma saison préférée, la plus belle de toutes. Et c’était particulièrement spectaculaire ici en Provence, dans cet endroit merveilleux. On a vu la vie renaître, les arbres se sont recouverts de feuilles, les libellules sont arrivées, les grenouilles se sont mises à chanter, on a croisé des serpents. Enregistrer ici était vraiment agréable. Sortir d’Angleterre a été bon pour nous. L’ambiance et les conditions offertes par la Fabrique ont eu un grand effet sur le moral du groupe. Il y a toujours eu, lors de nos précédents enregistrements et de manière plus ou moins marquée, un moment où nous sombrions dans quelque chose d’assez sombre, parfois très négatif. Je pense qu’il est impossible ici de s’adonner à la colère : l’énergie est restée du côté positif, même quand les morceaux étaient rageurs ou sombres. C’est clairement le meilleur studio dans lequel j’aie pu passer du temps. Une autre des différences majeures avec les précédents albums a résidé dans l’avant-enregistrement. Nous avions auparavant l’habitude d’enregistrer, à Oxford, des démos très lo-fi, brutes, primaires, puis de les retravailler intégralement en studio. Nous avons cette fois enregistré des démos beaucoup plus abouties, sur une vraie console, épaulés par notre vieil ami qui s’occupe de notre studio. Les ébauches avec lesquelles nous sommes arrivés en studio étaient bien plus que des ébauches : elles étaient finalement assez proches des versions finales des morceaux. Ca nous a beaucoup aidés. Moi, notamment, pour mes voix : j’ai pu commencer à me pencher dessus beaucoup plus tôt que sur les précédents albums.
Comment décrirais-tu ce nouvel album, avec tes propres termes ?
C’est toujours difficile de le faire, et je manque encore un peu de distance. Je dirais qu’il est audacieux, qu’il est assez animal et primal. C’est également un disque profond par les thèmes qu’il aborde, ou la manière dont il le fait –la séparation, la disparition, se sentir perdu dans une ville, le futur, la fragilité humaine, la mortalité, l’horloge qui file inéluctablement, la destruction programmée de la planète. J’ai travaillé très dur, longuement, sur les textes. J’avais une machine à écrire dans ma chambre ici. Et je continuais à travailler le soir, après une journée de dix heures d’enregistrement : je me punissais presque pour être certain qu’ils soient bons. Sur les précédents albums, avec le recul, je trouve que j’étais parfois un peu facile, complaisant. Je suis fier de ce disque. Il reflète parfaitement ce dont nous sommes capables à ce moment précis de notre histoire. Il est ce que nous sommes alors que j’ai parfois senti, par le passé, un léger décalage entre le groupe et nos disques.
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