C’est contre leurs propres démons, contre un perfectionnisme pathologique et dans un huis clos angoissant que Foals a réussi à accoucher de son second album. Un groupe brillant et une histoire passionnante, déroulée dans une interview au long cours.
A part le disco, le funk, aviez vous d’autres influences, des artistes particuliers, ou des humeurs, un état d’esprit ?
Edwin Congreave : Nous avons beaucoup écouté un groupe suédois du nom de Studio –ils ont un album qui s’appelle West Coast, qui est excellent, une sorte de disco totalement tordue, qui sonne merveilleusement bien.
Yannis Philippakis : Je pense que les influences principales de cet album ont plus été environnementales que musicales. La maison dans laquelle on a écrit, la petite prairie qu’il y avait derrière, la lumière dans notre salle de répétition, le volume plus bas comme nous l’avons dit. Certains livres, également. Notamment Singularity, de Ray Kurzweil, qui m’a rendu très nerveux à propos de certaines choses : la technologie, la modernité, le progrès. D’autres influences : les relations entre les gens, les substances, le fait d’être à la maison, ce qui ne nous était pas arrivé pendant deux ans. Même si je me sentais un peu… déconnecté. C’est assez difficile à expliquer. Peut-être est-ce le fait de vieillir un peu, peut-être l’influence des deux années qui s’étaient écoulées, mais j’avais l’impression d’être dans la peau d’un fils prodigue qui rentrait chez lui, mais dont le père n’était pas satisfait. Il y a aussi le fait de romancer un peu ce qu’est le retour au foyer ; quand tu rentres, l’expérience n’est finalement pas si exceptionnelle que ça. Si une tournée est une forme d’escapisme, quand tu es en tournée, tu essaies aussi de t’en échapper et de revenir à l’endroit dont tu t’échappais initialement… C’est vicieux. Et quand tu reviens, tu te dis que le trajet a été plutôt long pour faire, finalement, pas beaucoup de chemin.
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Peux-tu développer l’influence du livre de Ray Kurzweil ? Il parle de dislocation, de modernité ; peut-être cet album, plus cohérent, est une réaction à la culture du morcellement, justement ?
Yannis Philippakis : Je ne sais pas. Quand tu écris un album, tu espères évidemment que les gens vont l’écouter en entier, comme une chose unique. Mais on veut aussi que les morceaux soient entendus. Même si le format album est important, je me fiche un peu si une personne n’écoute que quelques morceaux, voire une unique chanson, si c’est la manière dont elle consomme de la musique. Tu as lu cette référence au livre de Kurzweil dans le NME, mais ils ont poussé la réflexion plus loin que la mienne : ce truc à propos du monde digital et de la modernité ne me touche pas en tant que membre d’un groupe, ça joue plus à un niveau beaucoup plus personnel, intime et humain. Ca a à voir avec la jeunesse, l’écoulement du temps, la qualité de vie.
[attachment id=298]Pourquoi choisir, au final, la ville spécifique de Göteborg pour aller enregistrer l’album ?
Yannis Philippakis : Parce que nous voulions nous isoler. Et ça a été le cas.
Edwin Congreave : Mais le premier point a été le studio : il correspondait en tout point à ce que nous voulions. Certes, on aurait pu aller ailleurs, rester à Londres. Mais nous voulions effectivement ne pas être distraits.
Yannis Philippakis : Et il y avait cette idée d’exploration. L’idée d’Hawaii venait initialement de ça. L’exploration externe autant que l’exploration de nous-mêmes ; mais les deux se font mieux dans un endroit inconnu. Pour Antidotes, le simple fait de partir, de nous retrouver tous les cinq dans un studio à New York a concrétisé en nous pour la première fois l’idée que nous pouvions faire un album –je me souviens très précisément de ce moment, quand nous avons pénétré les lieux. Il faut couper les liens. Pour extraire le meilleur de nous-mêmes, nous devons provoquer une expérience qui nous absorbe le plus totalement possible. C’est tout ou rien : faire de la musique comme on va au bureau, en 9 heures du matin à 17 heures le soir, ne m’intéresse pas. Nous vivions dans le studio, en Suède : le fait de pouvoir y loger constamment était une condition sine qua non pour nous.
Se trouvait-il en ville, ou à la campagne ?
Edwin Congreave : Non. C’était dans une zone industrielle à moitié désaffectée. Rien de très joli là-dedans…
Et quel impact cela a eu sur vous ?
Yannis Philippakis : Il y a déjà un impact technique : les pièces offraient de beaux effets reverb, et il y avait pas mal de vieux matériel, des micros ou des synthés, que nous avons mis à contribution. Mais sur un plan personnel, nous avons frôlé la folie. On bossait 12 ou 13 heures par jour, et on dormait dans des minuscules cabines à l’étage, séparées de murs extrêmement fins. Chacun à notre manière, crois-moi, nous sommes au bout d’un certain temps tous devenus totalement dingues. Nous n’avions intentionnellement pas terminé l’écriture des chansons avant d’entrer en studio. C’est l’une des réactions que nous avons eues par rapport au premier album : nous voulions laisser de l’espace, dans chaque morceau, pour que nous puissions le combler de manière très libre en studio. Nous ne voulions pas que tout soit déjà bouclé, écrit, terminé avant même d’aller en Suède. Nous avions cette fois le temps. Beaucoup de temps. Mais tout ce temps, sur un plan humain, et étant donné le boulot et l’enfermement, a fini par nous taper sur les nerfs. Il n’y a pas grand-chose à faire à Göteborg, pas vraiment de distraction. Et je ne sais pas pourquoi, mais rien n’y semble simple. Ca finit par rendre un peu dingue. Tu peux demander à Edwin, il a une expérience très particulière de ces semaines passées en groupe, enfermé dans un studio en Suède, à dormir à côté de nous dans une cabine…
Edwin Congreave : Je ne sais pas si je peux vraiment l’expliquer. Tu peux aisément imaginer ce que c’est. C’était comme être en tournée, enfermés dans un tour bus ; sauf que le tour bus ne bougeait pas. Et qu’on ne se dépensait même pas en jouant des concerts le soir.
Jimmy Smith : Nos emplois du temps et la manière dont on s’organisait était aussi assez spéciaux. Il nous a fallu apprendre la patience. Il pouvait se passer une semaine sans que l’un d’entre nous ne fasse quoi que ce soit.
Combien de temps y avez-vous passé ?
Yannis Philippakis : Cinq semaines, puis une semaine de pause, puis de nouveau cinq semaines.
Edwin Congreave : Sur le moment, une expérience très très frustrante et difficile. Mais avec le recul, ce fut quelque chose de très gratifiant.
Yannis Philippakis : De toute façon, enregistrer un album ne sera jamais quelque chose de facile pour nous. Avant d’entrer en studio, je me souviens d’avoir envoyé des mails à Luke, notre producteur, pour lui dire « Ok, faisons de cet enregistrement un truc à la Apocalypse Now, je veux que ça ressemble à ça ». Je plaisantais, mais au final… Ca tient au fait, tout simple, que tout ceci est extrêmement important, pour nous. Nous ne sommes pas le genre de groupe qui entre dans un studio avec 11 chansons toutes prêtes, toutes lisses, qu’il faut simplement jouer juste.
C’est devenu personnellement complexe, entre vous ?
Yannis Philippakis : Pas plus que cela, non. Il y a eu des tensions, bien entendu, mais elles sont surtout concerné les aspects de production plus que le reste. Ce n’est jamais facile de travailler avec quelqu’un d’externe au groupe, même quand c’est quelqu’un de bien comme Luke Smith, quand on est un groupe comme le nôtre. Nous savons ce que nous voulons, et nous avons du mal à nous faire imposer des choses.
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