Comme Radiohead, Foals incarne une certaine idée du rock expérimental anglais. A l’heure du périlleux second album, le groupe d’Oxford a choisi de s’isoler, frôlant la folie pour accoucher dans la douleur d’un grand moment de volupté.
Pour beaucoup de ceux qui avaient sué sang et eau sur les premiers singles ou dont les membres s’étaient embrasés lors des concerts du groupe, l’étrangement produit Antidotes avait provoqué une légère déception. Yannis, un brin péremptoire : “Si nous avions été pleinement satisfaits, nous n’aurions pas enregistré de deuxième album. Pourquoi le faire ? Nous avons toujours expliqué que chacun de nos albums serait différent du précédent. Nous ne cherchons pas à créer une formule et à la répéter ad lib. C’est simplement l’évolution. Elle s’oppose à l’extinction. Nous avons donc choisi l’évolution.”
Changer ou mourir, donc, au risque de tout perdre, ses fans comme soi-même. Radicaux et braves. Quand ils provoquent une révolution interne, les garçons ne font pas semblant. A peine le temps de souffler, Foals se remettait à la tâche dans une grande maison louée dans les environs d’Oxford et aménagée en studio. Les Anglais vont méthodiquement tout péter, à la masse, à la hache, à la rage et à l’instinct, déconstruire les évidences qui enfermaient Antidotes dans un systématisme qu’ils n’ont aucun mal à avouer, puis reconstruire un modus operandi absolument différent.
Premier changement : une plus grande démocratie. Premier problème : une plus grande démocratie. Car si Foals a tant de mal à expulser définitivement ses morceaux, c’est l’oeuvre de cette saloperie de démon qui, en anglais, porte le nom un peu flippant de control freak. “S’il y a un perfectionniste dans le groupe, ça peut compliquer les choses, explique le claviériste Edwin Congreave. Mais quand il y en a cinq, chacun pense que son instrument est primordial, sa partie essentielle, ce qui, bien sûr, n’est pas faux…”
Dans le processus forcément complexe d’une écriture morcelée, montée par fragments, la santé mentale de cinq obsédés du détail, jaloux de leurs propres prérogatives, peut en prendre un sacré coup. Elle sera ébranlée dès Oxford, mais les choses iront bien plus loin encore lors de l’enregistrement de Total Life Forever par les garçons, enfermés à triple tour dans un studio suédois, en plein hiver et dans la désolation d’une zone industrielle livide – une sorte de version musicale du Shining de Kubrick.
“Pour extraire le meilleur de nous-mêmes, précise Yannis, nous devons provoquer une expérience qui nous absorbe le plus totalement possible. C’est tout ou rien : faire de la musique comme on va au bureau, de 9 heures à 17 heures, ça ne m’intéresse pas. En Suède, nous vivions dans le studio : c’était une condition sine qua non pour nous. Mais sur un plan personnel, nous avons vraiment frôlé la folie. On bossait douze ou treize heures par jour, on dormait entassés dans de minuscules cabines à l’étage, séparées par des murs très fins. Crois-moi : au bout d’un certain temps, chacun à notre manière, nous sommes tous devenus dingues. Avant d’entrer en studio, je me souviens d’avoir envoyé des mails à Luke Smith, notre producteur, pour lui dire : “OK, faisons de cet enregistrement un truc à la Apocalypse Now, je veux que ça ressemble à ça.” Je plaisantais, évidemment. Mais au final…”
Mais au final : bien que le groupe ne s’étale pas sur les remous intimes et tensions collectives qui l’ont fait tressaillir pendant les dix semaines d’enregistrement, on comprend que le Vietnam, en comparaison, ressemblait à une promenade guillerette au pays des Bisounours.
Et pourtant. Sachant tout cela, connaissant le goût des Anglais pour les uppercuts nucléaires, pour un math-rock anguleux et des guitares tendues jusqu’à la déraison, on s’attendait assez logiquement, en crispant les muscles pour éviter les bleus, à un disque plus physique, bien plus claustrophobe encore qu’Antidotes. Que nenni, et loin de là.