En pleine tournée du Fair, on a croisé deux projets français parmi les plus fascinants du moment. On s’est tous assis pour discuter un peu, en fin de soirée.
Dans l’ancienne zone industrielle de Rouen, en bord de Seine, les jeunes gens de Grand Blanc déchargent leur matériel. Camille, Benoit, Vincent et Luc découvrent la jolie salle du coin, le 106, installée dans cet ancien hangar portuaire. C’est le milieu de l’après-midi, le 31 mars. La journée est pluvieuse, la lumière bizarrement aveuglante. Camille, qui porte un sweat Com8, et Benoit, avec ses Dr Martens, ont l’air perdu dans un clip.
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A l’intérieur, Flavien Berger est déjà en train de faire ses balances. Le concert du soir est dans plusieurs heures mais ça bosse déjà, d’autant qu’il est un peu malade. « J’ai du mal avec les aigus. Faut que j’aille faire des vocalises », dit-il en sortant de scène. Flavien connaît son affaire : depuis près de deux ans, il enchaîne les concerts un peu partout en profitant d’un succès grandissant, que son premier album n’a évidemment pas freiné l’année dernière.
Aujourd’hui, c’est pour Fair : le tour, la bien nommée tournée du Fair (Fonds d’action et d’initiative rock), que Flavien partage la scène avec Grand Blanc. Dispositif d’aide à l’émergence qui sélectionne chaque année une quinzaine de groupes, le Fair permet l’accompagnement de jeunes projets français vers le chemin de la gestion administrative, de l’achat de matériel, de l’aide à la production, de la mise en contact à l’international, ce genre de choses. Et chaque année, il y a donc une tournée en France, avec des plateaux inédits dans tous les grandes villes. Le rouennais étant particulièrement sexy, on est allé se frotter – attention cliché – à la grisaille normande.
En une seule soirée, à travers les déambulations électroniques bien rodées de Flavien Berger, autant qu’avec les pop-songs rugueuses mais craquantes de Grand Blanc, dont le premier album est sorti il y a peu, on pouvait se faire une idée assez précise de ce qui se passe en France actuellement. C’est d’ailleurs le gros de la discussion ci-dessous, qu’on a eue dans les loges du 106 après les deux concerts. Il est 23h30, la salle se vide, la pression retombe et les langues se délient. Flavien, Benoit, Camille, Vincent et Luc parlent alors tous en même temps, se coupent la parole, ne sont pas d’accord, le sont finalement par moments, et surtout se perdent dans des vortex de vannes sans queue ni tête.
Mais tant pis pour la retranscription (difficile) de cette interview, on ne retiendra que la tendresse.
Benoit – Je commence, c’est moi qui vais poser des questions à Flavien.
Allez okay.
Benoit – Alors, Flavien, ça fait quoi de « Fair : le tour » ?
Flavien – Le tour de la question ?
Benoit – Le tour du Fair. Est-ce que tu vas tout refaire ?
Flavien – Et vous, vous êtes plutôt des gens de la boucle ou du circuit fermé?
Camille – On est un peu des gens du circuit fermé, mais Band-in, tu vois ce que je veux dire ?
Vincent – Disons que le circuit est fermé, mais qu’on essaye de l’ouvrir.
Benoit – On essaye d’avoir une ligne de conduite qui éclate la boucle au maximum. L’avantage qu’on a par rapport à toi, Flavien, c’est qu’on est quatre. Quatre individualités qui ne sont pas du tout d’accord. Tu es d’accord avec toi-même quand tu travailles ?
Flavien – Si j’étais quatre, je deviendrais fou…
Benoit – Bah voilà, c’est ce qui nous arrive. Mais c’est un avantage qu’on a: au fond, on n’est ni boucle, ni circuit.
Vincent – On est quadrilatère.
Benoit – Quadricolor ! (rire)
(Petit moment de dispersion, ndlr)
Vincent – On n’était pas en train de faire une interview, les gars ?
Ouais, d’ailleurs je vais prendre le relais sur les questions ! Flavien, du côté électronique, et Grand Blanc, du côté rock/pop, vous représentez deux pôles majeurs de la scène française actuelle. Vous avez conscience d’incarner ça auprès d’un certain public ?
Camille – En ce moment, il se passe un truc assez cool en France. Les gens qu’on croise, on aime souvent leur musique. Je ne sais pas si on représente quoi que ce soit, on fait tous de la musique dans notre coin. Mais si effectivement les mêmes personnes viennent nous voir, alors c’est beau. Je n’aime pas trop quand on parle de « scène française », en fait.
Flavien – Moi non plus, c’est vrai. Le cerveau humain veut trouver des cohérences entre différents phénomènes. Pour se rassurer, il faut trouver de la cohérence. Mais en vrai, cette « scène » est hyper éclatée.
Vincent – Et en même temps, une soirée comme celle-ci…
Flavien – Oui mais par exemple, moi, je ne suis jamais venu vous voir travailler, composer, etc.
Luc – Tiens, d’ailleurs, on se disait l’autre jour qu’on était chauds pour se faire un mois de musique à donf dans une maison, à la campagne, et qu’il fallait que Flavien vienne nous voir.
Flavien – Chanmé. Avec Plaisir.
Camille – Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a des gens différents qui font de la musique dans le même pays au même moment. Pablo de Moodoïd, par exemple, j’aime beaucoup sa façon de produire. Pareil pour Pierre de Paradis, c’est un producteur de ouf. Flavien aussi. On ne fait pas du tout la même musique mais humblement, on est heureux de se croiser et d’échanger… Flavien nous a fait un remixe trop cool qui sort bientôt.
Flavien – J’ai bossé comme un malade dessus !
Cette question de la « scène » est toujours particulière. Les groupes ont rarement l’impression d’en faire partie et pourtant, il y a quand même des codes communs qui se développent, parfois, sur une période donnée. Depuis quelques années, par exemple, le geste de chanter en français s’est libéré chez les jeunes groupes.
Luc – On a tous été foutus dans le même panier parce que certains groupes ont ouvert des portes. La Femme et Fauve, populairement, ils ont cogné le bordel. Nous, derrière, peu importait la musique qu’on faisait, on a voulu nous rassembler dans un mouvement commun.
Flavien – Un mouvement métissé, plutôt. BB Brunes, ça existait avant La Femme. Après, il y a des vagues. Ce métissage esthétique nous a poussé vers un mix entre psyché, electro et rock. Plutôt que de parler du français qui revient, il faudrait plutôt dire que le français retape dans un genre où il n’avait pas tapé depuis longtemps.
Benoit – Exactement.
Le psyché, c’est effectivement un des points communs entre Flavien Berger et Grand Blanc. Et plein d’autres groupes français, d’ailleurs.
Camille – C’est aussi le cas pour d’autres chose. Est-ce qu’il n’y a pas de la techno et du hip-hop un peu partout, aujourd’hui ? Je pense que Grand Blanc est assez loin d’être psyché ; on est plutôt froids.
Benoit – Mais on a quand même mis du psyché dans l’album.
Camille – Oui, mais ce que je veux dire, c’est que notre génération – même si je n’aime pas ce mot – a grandi avec internet, et a donc eu accès à des tas de choses. On a pu piocher un peu partout, et ça se reflète dans notre musique aujourd’hui.
Benoit – Le grand discours du psyché, au fond, c’est que ça apporte une distance avec ce que tu dis. On a grandi avec le hip-hip, où il y avait trois featuring et quatre producteurs par album : le rapport même à la propriété d’une chanson n’est plus le même qu’avant. On n’est plus dans une relation aussi sérieuse à notre musique. Les groupes très premiers degrés, je ne m’y retrouve pas du tout.
Flavien – Ce qui peut nous relier, c’est un ton.
Benoit – Voilà. Un ton. Un son, aussi. Qui vient peut-être d’Ableton (Un logiciel de prod, ndlr).
Flavien – Moi je suis GarageBand (Un autre logiciel de prod, ndlr).
Camille – Putain, j’étais persuadée que tu étais Ableton !
Benoit – T’es encore plus keupon que nous ! (rire)
(Un autre moment de dispersion, ndlr)
Vous écrivez tous en français, donc, mais pas de la même manière. Chez Grand Blanc, les textes sont très travaillés, très écrits, ciselés. Toi, Flavien, tu as tendance à improviser tes textes, autant sur scène que sur ton album. Quel rapport vous entretenez avec le texte ?
Flavien – Ce qu’on fait n’est pas si différent, au final. Il y a vachement ce jeu multi-syllabique qui vient du hip-hop. Sur mes morceaux les plus récents, j’essaye de revenir à un truc simple et taper directement dans les sentiments, et ne pas être uniquement dans les images, les visions et les contemplations. Chez Grand Blanc, ce qu’il n’y pas chez moi, ce sont des jeux de mots qu’on ne remarque pas forcément tout de suite.
Luc – Il y a toujours des multi-sens dans ce que Benoit écrit. On ne veut délivrer aucun message précis sur ses textes, on est les plus heureux du monde quand chacun y voit quelque chose de personnel.
Camille – Quand une chanson est posée quelque part, sur un disque, un mp3 ou n’importe quoi, elle ne t’appartient plus. Ça fait un peu de peine, mais quand les gens viennent te voir ou t’écrivent pour te dire que ça les a touchés pour telle ou telle raison… Par ailleurs, dans nos chansons, certaines voix sont délibérément sous-mixées, donc ça arrive que certains comprennent carrément autre chose que les vraies paroles, et c’est hyper cool ! Ça crée une multiplicité des sens assez rigolote.
Benoit – On essaye d’avoir une langue la plus « disponible » possible. On a vachement appris avec des gens comme Flavien et des groupes comme Bagarre. A la base, Grand Blanc est une formule rock plus traditionnelle. Mais sur scène, on a appris à laisser de la place à la parlotte, à l’impro.
Flavien – Vos petits jeux d’allers-retours sont hyper biens.
Camille – Mais je pense qu’on peut encore pimper le truc…
Benoit, la dernière fois qu’on s’est vus, tu disais que plus personne, aujourd’hui, ne pouvait chanter sans avoir en tête la notion de flow.
Benoit – Le flow, c’est tout.
Flavien – C’est absolument essentiel comme notion. C’est à l’intérieur du flow que je place les mots et les syllabes. Le flow, pour moi, c’est une mélodie rythmique avec une idée de swing.
Flavien, tu es seul sur scène. Ça ne te manque jamais de ne pas avoir un ou deux musiciens derrière toi pour jouer différemment tes morceaux ?
Flavien – Si… En vrai, deux mains, ce n’est pas assez. Mais ça recentre l’attention, et c’est ce qui fait mon live. Avec un dude supplémentaire, il faudrait entièrement repenser le truc.
Camille – Etre seul comme tu le fais, ça donne un coté ultra ludique et participatif. Les gens te voient faire les choses, ils savent ce qui se passe, ils comprennent que c’est toi le petit laborantin de ces morceaux.
(L’interview se termine sur un dernier moment de dispersion, ndlr <3)
propos recueillis par Maxime de Abreu
La tournée du Fair continue le 6/04 à Strasbourg (avec Broken Back et In The Canopy), le 7/04 à Amiens (avec Mansfield Tya et Samba de la Muerte), le 8/04 à Sannois (avec Stuck In The Sound et Last Train), le 9/04 à Vannes (avec Odezenne et Samba de la Muerte), le 16/04 à Grenoble (avec Jeanne Added et Last Train), le 16/04 à La Rochelle (avec We Are Match, Samba de la Muerte et Hyphen Hyphen) et le 28/04 à Nancy (avec Jeanne Added et Mansfield Tya). Quant aux tournées perso de Flavien Berger et Grand Blanc, ells sont à retrouver ici et là.
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