On retrouve avec une joie terrifiée le fondamental Kool Keith, tripoteur visionnaire d’un hip-hop déréglé et vicelard. Booyaa Bang ! Le retour du rapper aux mille vies est saignant : il faut moins de trente secondes à Kool Keith pour faire la peau de son ancien alter ego Dr Octagon sur ce nouvel album. Liquidé […]
On retrouve avec une joie terrifiée le fondamental Kool Keith, tripoteur visionnaire d’un hip-hop déréglé et vicelard.
Booyaa Bang ! Le retour du rapper aux mille vies est saignant : il faut moins de trente secondes à Kool Keith pour faire la peau de son ancien alter ego Dr Octagon sur ce nouvel album. Liquidé pour d’obscurs contentieux entre Kool Keith et son producteur Automator, le dérangé Dr Octagon laisse la place à Dr Doom. A-t-on gagné au change ? Pas sûr : ce docteur-là est encore plus inquiétant. Alors que les délires de l’un restaient circonscrits au périmètre rassurant d’une clinique, celui-là se balade en toute liberté. Et ses malheureux voisins du ghetto ne se doutent de rien. Nous si. Car les inconditionnels de Kool Keith savent bien qu’il va leur falloir à chaque nouvelle livraison entamer un passionnant jeu de piste pour s’y retrouver entre les divagations du plus audacieux MC de la planète.
Mis en musique par Kurt Master Kurt, qui a formidablement orchestré les climats tordus et imprévisibles tout du long, plusieurs titres dessinent ici les contours de sa nouvelle incarnation : Apartment 223, hanté par des choeurs de films d’horreur, plante le décor. Avec Neighbors next door, le profil se précise. Il s’en passe de belles dans cet appartement : ça daube sévère, il y a un bras dans le freezer. A bord de sa Dodge Plymouth, Keith sirote un soda, les Stapple Singers à fond. Mais l’encens s’impose : un pied voisine avec une part de tarte aux myrtilles, et huit cadavres s’entassent dans le coffre. Sur sa Shopping list, ce serial-killer cannibale a inscrit « lait au chocolat, nourriture pour le chat, bonbons, vitamines, gants blancs et désodorisant ». Un mec normal. Insoupçonnable. Body bag fait le compte : 27 meurtres à Pontiac, 28 à Denver et des faux alibis en pagaille. Voilà pour le déguisement et l’entertainment. Car le meilleur est ailleurs, à la racine de la colère homérique manifestée par Kool Keith sur cet album, lorsqu’il hache menu la concurrence et l’industrie avec ses rimes sans merci. C’est No chorus (« Les mecs de ton staff n’osent pas t’avouer que tu es nul car ce sont tous des béni-oui-oui, regarde-toi dans le miroir, tu es minable, ton truc sonne faux, le mix est bancal, les voix sont trop en retrait, ta cadence déconne, tes shows sont atroces »), You live at home with your mum ou surtout le dévastateur Leave me alone, sur lequel il s’en prend notamment à ces « hippie kids » de sa maison de disques, fans de Mariah Carey qui voudraient le faire sonner « comme Dru Hill » et « collaborer avec Insane Clown Posse ». Inespéré au coeur de cette féroce apocalypse verbale, le Graal absolu attend son heure : Welfare love, morceau le plus touchant et le plus personnel jamais écrit par le « terrible masturbateur ». Où l’on apprend qu’il regardait « les rats danser », enfant, dans son appartement glacé, et s’amusait à « couper les pattes du cafard/pour voir s’il allait rester en place sur un mouchoir ». Avec Welfare love, Kool Keith exprime infiniment plus de violence, de tendresse et d’ironie qu’avec n’importe quel long discours convenu sur la malédiction du ghetto. On est inconditionnel de Keith notamment parce que sa fêlure multidimensionnelle est unique, incomparable, inimitable. Et toujours en avance de trois trains au moins.
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