Cet oncle de Tricky est aussi son cadet de six ans : plus qu’une simple anomalie d’état civil, le réjouissant Finley Quaye pourrait vite s’imposer comme l’une des grandes révélations de l’année avec son album Maverick a strike. Chaloupant, roublard et hautement lascif, il invente le reggae new-age.
« Cool » : adjectif, se dit de celui qui, tel le jeune et fringant chanteur anglais Finley Quaye, prend les choses tranquillement, sans se presser. Le plus souvent un gros joint à la main. Se dit plus généralement de ces artistes débutants qui refusent d’entrevoir leur carrière autrement que comme une longue et joyeuse incursion dans un monde hôtels chics et limousines qui n’est pas tout à fait le leur, mais qui profitent de chaque seconde de cette heureuse parenthèse pour dérouler sur des moquettes épaisses leur suave démarche de jeunes gens pas stressés.
Ultracool, donc, ce Finley Quaye fraîchement réveillé il est bientôt midi en ce jour de juillet , tout juste tiré du lit pour venir discuter de tout et (surtout) de rien avec quelques journalistes épatés par son premier album, le jouisseur Maverick a strike. Ultracool, mais pas dupe : « J’ai un peu l’impression d’être un imposteur. Je n’ai rien fait, rien prouvé. Le public n’a jamais entendu parler de moi, mais déjà, on me traite comme un pacha. Ça me donne envie de rire, mais ça me fait aussi franchement culpabiliser. J’ai l’impression d’être un profiteur, et puis un égoïste aussi. J’aurais voulu amener quelques copains de Manchester pour qu’ils profitent de tout ça avec moi : les bonnes bouffes, le vin français, les lits douillets. Ça les aurait bien fait rigoler, mes potes. »
Yeux clairs et profonds, rire épais, voix joueuse : les premiers instants en compagnie de celui que le magazine The Face présentait récemment comme une « véritable star née, bien décidée à prendre le monde par surprise » ne laisseront guère indifférent. Quitte à abuser des clichés, on dira qu’il y a du soleil chez cet homme-là, de grands rayons de lumière semblant irradier chacun de ses gestes pas étonnant pour quelqu’un dont le premier single s’intitule Sunday shining. Au cinéma, Finley ferait un formidable jeune premier, tout en charisme naturel, facile à Hollywood, des yeux comme les siens valent de l’or. Mais c’est à Londres et dans la musique qu’il a choisi de se faire un nom, sans pourtant jamais jouer à fond le jeu de l’autopromotion. Officiellement, la première interview « en longueur » entre un journal français et Finley Quaye vient de commencer. Quelques minutes d’une discussion agréable mais pas bouleversante sur Paris, Londres et les mérites comparés des grandes capitales européennes , dialogue inoffensif dont le débutant Finley, peu enclin à l’introspection, se contenterait volontiers. Souriant, agréable, mais pas bavard. « Autant vous le dire tout de suite : le problème avec moi, c’est que je n’aime pas trop parler de moi. Mes chansons, ça va. La musique, les textes, je maîtrise. Mais pour ce qui est de ma vie, de ce que j’ai connu avant la musique, alors là, je ne sais pas quoi vous raconter. A quoi bon vous parler de toutes ces conneries ? »
Ultracool, l’ami Quaye, mais aussi ultra-ébahi lorsqu’on lui apprend que ce sont précisément ces « conneries » qui justifient notre présence. « Vraiment ? Ça vous intéresse de savoir si j’étais bon en classe ou quels disques j’écoutais quand j’avais 15 ans ? Vous avez un drôle de boulot. » Trois éclats de rire et dix nuages de fumée plus tard au bar de l’hôtel, un serveur hume l’air puis demande à son collègue si le restaurant voisin s’est lancé dans les grillades , Finley ne nous a toujours pas donné le moindre détail, la moindre indication sur le chemin qui l’a mené jusqu’à Maverick a strike. C’est un peu fâcheux mais, lorsqu’on y repensera plus tard, on se dira que c’est toujours mieux que de se faire jeter comme ce valeureux confrère français et ces deux reporters anglais, tous repartis bredouilles après avoir voulu malmener à l’oral Finley le faux doux. Lu dans un magazine anglais : « Là où j’ai grandi, dans le nord de l’Angleterre, les gens ne parlent pas de leurs problèmes, ne racontent pas leur vie. Ils se contentent de faire leur boulot, parce qu’il faut bien ramener du fric à la maison à la fin du mois. Quand on bosse à l’usine, on n’a pas le temps d’avoir des états d’âme et d’une certaine manière, je suis comme quelqu’un qui bosse à l’usine. En un peu plus gai, quand même. »
Finley Quaye ne parlera pas de lui. Alors on le fera à sa place, en s’en tenant aux éléments contenus sur sa courte biographie officielle : anglais donc, mais de sang partagé entre des origines ghanéennes son père et écossaises sa mère. 23 ans à l’état civil, dont plus de quinze partagés entre différents ports d’attache, l’enfant et l’adolescent étant successivement trimballés de Manchester à Edimbourg en passant par Londres et diverses villes-dortoirs au hasard des déménagements et des dissensions familiales. « Des événements dans ma vie m’ont contraint à grandir sans mes parents (sa mère est morte lorsqu’il avait 7 ans). J’ai donc vécu entre le domicile de mes grands-parents, en Ecosse, et la maison de l’oncle ou de la tante qui voulait bien m’accueillir quelques mois lorsque mes vieux ne me supportaient plus. Tout ça m’a sans doute forcé à mûrir un peu plus vite que la majorité des gamins. A 15 ans, j’avais déjà vu pas mal de choses : la zone, les quartiers difficiles, la délinquance, les trafics en tout genre, mais aussi des trucs plus enrichissants, comme le bonheur de se balader dans la campagne ou de voyager à travers le pays. Il y a vraiment eu un moment dans ma vie où j’aimais autant être dans les quartiers chauds de Manchester avec mes potes que tout seul dans la campagne écossaise. Mes copains me prenaient pour un taré. Ils ne comprenaient pas qu’on puisse aimer ces deux mondes à la fois. »
Côté musique, l’histoire officielle fait état d’une passion tardive pour le reggae et la musique soul, les premières amours ayant été réservées aux habituels Beatles. Puis vint le goût du jazz inculqué par son père, le compositeur Cab Quaye, lors de ses trop rares visites et un intérêt soudain pour la musique traditionnelle du Ghana. « Ensuite, je me suis mis à aimer de tout, aussi bien Metallica et Faster Pussycat que King Tubby, James Brown ou Bob Marley. Je n’ai jamais supporté cette étroitesse d’esprit qui pousse les gens à croire que telle musique est supérieure à telle autre ou que seuls les groupes et les chanteurs sérieux présentent un intérêt. J’ai toujours adoré les groupes sans profondeur, sans la moindre prétention. » Un parcours en zigzag qui rappelle étrangement la culture aussi personnelle qu’iconoclaste de Tricky. « Lorsqu’on se voyait lui et moi, on parlait un peu de musique et on écoutait quelques disques de reggae, mais à vrai dire, on ne se voyait pas si souvent que ça. Tricky n’est pour moi qu’une sorte de cousin éloigné. » Ce qui n’aura pourtant pas empêché le gourou du trip-hop de reconnaître publiquement les qualités manifestes de son lointain parent. « Ça m’a fait très plaisir que Tricky dise du bien de moi. Venant d’un artiste de sa classe, c’est réellement encourageant. »
Riche d’un tel vécu et d’une première expérience musicale en 94 avec les Mancuniens de A Guy Called Gerald on l’entend toaster sur l’album Black secret technology , il eût été étonnant que le jeune Finley, une fois à Londres, accouche d’autre chose que de chansons naturellement faciles et joueuses, somptueusement métissées et souvent plus complexes qu’il n’y paraît à la première écoute. « Il y a un peu de chaque facette de mon caractère dans toutes mes chansons. Les plus légères montrent mon côté insouciant, les plus étranges mon côté imprévisible. Ce serait quand même un peu dommage si je n’étais qu’un type simple et charmant. Ça vous rendrait la vie trop facile si vous étiez capable d’expliquer qui je suis en moins de trois minutes. » Personne ne s’y risquera. Incapable de cerner le personnage, on s’en tiendra pour l’instant à une étude ébahie de son Maverick a strike. Pour faire simple, le premier Finley Quaye, c’est du mélange quatre-temps dub, reggae, rock, soul , du brassage pluri-ethnique, de la purée de cultures. Une fusion d’un genre nouveau, aussi tonique et vivifiante qu’un jus de carottes allongé au nectar de guajana. Ultra stimulation, The Way of the explosive, Sweet and loving man : autant de partitions volontiers rieuses sur lesquelles s’étalent lascivement de réjouissants feuillets de poésie écolo-cosmique on pense souvent au monde tout vert du druide pop Julian Cope , le tout donnant naissance à un genre neuf et frais : le reggae new-age. Joué à l’énergie, à l’enthousiasme, ça donne Sunday shining, furieux hymne estival vaguement emprunté à Marley pour danseurs de tout bord. Joué à l’économie, ça donne le très suave Your love gets sweeter, ou bien encore l’amusant Falling. Car c’est surtout en levant le pied et en se mettant à l’abri du cagnard que le reggae new-age selon saint Finley trouve ses lettres de noblesse, dans ces moments où Finley la canaille le petit dur élevé dans les rues chaudes de Manchester laisse la place à Finley le rêveur, celui qui a toujours vécu en Jamaïque même s’il n’y a jamais mis les pieds. Là, dans ces moments d’apesanteur nourris à la ganja, Maverick a strike prend ses marques, se trouve un style bien à lui, même si la voix reste ni plus ni moins l’incarnation moderne du grain classique et un peu rugueux du vieil Horace Andy. Disque ludique, parfois contradictoire mais régulièrement bourré de promesses, Maverick a strike se refermera pourtant trop vite, sans nous avoir complètement renseignés sur les motivations de son intrigant auteur, ni sur les raisons qui le poussent, en de rares occasions comme sur l’étouffant I need a lover à s’éloigner des traditions. Ne reste plus alors que l’impression un peu déboussolante d’avoir effleuré un petit homme excentrique et plein de contradictions : aussi simple qu’il peut être équivoque, aussi doux qu’il peut être intimidant. Un mystère nommé Finley, à l’oeuvre exactement aussi réjouissante que frustrante.
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Finley Quaye, Maverick a strike (Epic/Sony).
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